En ville, le désamour de la voiture

Marjolaine Koch
En ville, le désamour de la voiture

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De plus en plus de villes repensent leurs aménagements et leurs plans de circulation pour laisser la part belle aux autres types de mobilité. Question de survie : pour que les centres restent vivants et attractifs, ils doivent être vivables.

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Dans ces grands centres où les transports sont suffisamment développés, où les distances à parcourir permettent d’envisager la marche ou le vélo, la voiture n’a aucune raison d’être prépondérante.

Des modifications visibles induisent un sentiment chez le conducteur : il n’est plus l’élément central de la circulation

Après des années de vision « autocentrée », la plupart des grandes villes changent leur fusil d’épaule et élaborent des plans de circulation tournés vers les habitants et non plus vers ceux qui traversent la ville. Plusieurs outils peuvent concrètement changer la donne.

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Le pouvoir de la zone 30

Le premier, et certainement le plus couramment utilisé, est la zone 30. Des villes entières, comme Grenoble, Rennes (pour 80 % des rues) ou Paris (sauf les grands axes), ont franchi le pas de passer en zone 30. Dans les faits, l’adoption de cette limitation ne garantit pas un respect de la vitesse maximale autorisée. Ces villes ont néanmoins constaté une baisse effective de la vitesse moyenne, et s’attellent ensuite à faire respecter rue après rue la limitation, en repensant l’aménagement. Car des modifications visibles induisent un sentiment chez le conducteur : il n’est plus l’élément central de la circulation. C’est ce changement de perception qui aura un véritable impact sur le ressenti de tous les usagers.

Pour dissuader les usagers de la voiture, la suppression des parkings est un autre outil capital.

À côté des zones 30, les zones apaisées, limitées à 20 km/h et dans lesquelles les véhicules se trouvent en minorité sur les autres modes de déplacement, assurent une plus grande sécurité aux riverains. Le chercheur Sébastien Marrec se satisfait d’ailleurs de ce que le Cerema vient de réviser ses jauges : « L’organisme estime dorénavant qu’il faut une circulation de moins de 4 000 véhicules par jour pour réellement apaiser une voie. Certains techniciens vont plus loin, en adoptant les critères néerlandais de 2 000 véhicules par jour, et 1 000 véhicules par jour dans une vélorue ». Seuls les riverains peuvent circuler à l’intérieur d’un quartier ; les autres, s’ils empruntaient cette voie de circulation, feraient une boucle et reviendraient à leur point de départ.

Dépolluer, végétaliser, « déstationner »

Pour dissuader les usagers de la voiture, la suppression des parkings est un autre outil capital. À Charleville-Mézières, l’historique place Ducale a longtemps connu le sort de bien d’autres : elle n’était qu’un immense parking à ciel ouvert. Aujourd’hui, après avoir partiellement piétonnisé la place, la mairie envisage de créer une continuité jusqu’à une autre place elle aussi nettoyée de ses voitures, où les passants peuvent à nouveau flâner en sécurité. Orienter les véhicules vers des places payantes ou des parkings hors du centre n’est pas une aberration : l’usure des routes et l’espace qu’il faut leur dédier empêchent des projets urbains destinés à rendre la ville plus vivable pour les habitants, notamment en la végétalisant pour éviter l’accumulation de chaleur durant l’été.

L’urbanisme tactique passe moins par la concertation, mais il est largement compensé par l’expérimentation, qui donne le droit de retoucher, à coups de peinture et de panneaux, des tracés qui n’étaient pas optimaux au départ

Certaines villes, comme Lyon, commencent à anticiper ces phénomènes qui risquent de faire vivre un enfer aux habitants des hypercentres. Revégétaliser pour rafraîchir, dépolluer en écartant les voitures, la logique permettra à ces villes de conserver leur attractivité. Toujours dans cette optique, la ville de Lyon a choisi d’adopter les « superblocks » à la manière de Barcelone ou de Berlin. Seuls les riverains peuvent circuler à l’intérieur d’un quartier ; les autres, s’ils empruntaient cette voie de circulation, feraient une boucle et reviendraient à leur point de départ. Il devient impossible de traverser les blocs, obligeant les automobilistes à rester sur les grands axes. En quelques jours, ces zones deviennent apaisées et permettent d’envisager une réduction de la place de la voiture, au bénéfice de zones piétonnes végétalisées. Couper des axes de substitution permet aussi, à terme, de générer du report modal et provoque l’évaporation d’une partie du trafic, l’usage de la voiture devenant moins pertinent sur certains trajets.

Finis les grands projets

Les contraintes financières exercées sur les budgets des collectivités vont les conduire à envisager des changements par touches. Moins de projets emblématiques, plus de requalifications d’espaces publics à l’échelle des quartiers.

Des chercheurs allemands ont étudié l’espace urbain de la ville de Fribourg-en-Brisgau via des images satellites haute définition. Résultat : 19 % de l’espace urbain est dédié au transport de passagers, dont 55 % uniquement pour les voitures. À Paris, en 2008, une étude similaire recensait 27 % de l’espace urbain alloué aux transports, dont 57 % dédiés aux voitures (chaussée et stationnement).

Une planification plus souple depuis la crise

La crise a provoqué un changement d’état d’esprit très récent et incroyablement rapide. Depuis quelques mois, il est beaucoup plus populaire de changer les plans de circulation dans les quartiers résidentiels. Fabien Bagnon, vice-président du Grand Lyon, estime d’ailleurs que la liste écologiste a été élue sur son programme d’apaisement de la ville. L’équipe, avec la mise en place des superblocks, oriente peu à peu les voitures vers du stationnement souterrain. « Ces stationnements seront moins lucratifs puisque tournés essentiellement vers des abonnements, mais nous récupérons ainsi de l’espace public pour le redistribuer, dans un contexte où celui-ci est rare et précieux », estime l’élu en charge de la voirie et des mobilités actives. Fabien Bagnon note un autre effet positif de la crise sur leur planification : « elle a développé la notion d’urbanisme tactique, qui restait méconnue et peu utilisée jusque-là. La communication autour de ce terme nous a offert un outil que l’on n’aurait jamais autant exploité sans cela : 77 km de pistes cyclables ont été aménagés d’un seul coup dans le Grand Lyon, c’était inespéré ».

L’urbanisme tactique passe moins par la concertation, mais il est largement compensé par l’expérimentation

Tout en développant des projets pérennes en parallèle, les collectivités ont effectivement vu débarquer dans leur panoplie cet outil agile qui va leur permettre d’être plus réactives et de procéder autrement. Certes, l’urbanisme tactique passe moins par la concertation, mais il est largement compensé par l’expérimentation, qui donne le droit de retoucher, à coups de peinture et de panneaux, des tracés qui n’étaient pas optimaux au départ.

Cette somme d’outils devrait, sur le temps long, amener la voiture à être moins attractive, dans des zones denses où les solutions de repli ne manquent pas.

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