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Se focaliser sur un objectif commun, à atteindre dans un délai imparti, tout en sortant du cadre purement professionnel, c'est l'une des expériences de management testées – et réussies – par la collectivité de Lieusaint. Voilà quelques indices...
Article publié le 26 juin 2017
Ils se sont retrouvés sur un parking en face d’un grand centre commercial. À la ville, leur identité est celle de cadres de la commune de Lieusaint, mais là, ils agissent en tant qu’agents de la CIA. Il ne leur a fallu que quelques minutes pour rejoindre le bâtiment et atteindre leur cible : la « White Room ». Ils ne savent pas ce qui les attend à l’intérieur, juste que leur contact à l’agence les a prévenus qu’ils n’auront que soixante-quinze minutes pour entrer puis ressortir, une mission éclair…
La synergie du jeu
Inutile d’envoyer cet article à la Direction générale de la sécurité intérieure : en effet, il clôt une série de retours d’expériences commencée dans de précédents numéros de La Lettre du cadre sur la synergie jeu – en l’occurrence un escape game ((L’escape game – ou jeu d’évasion grandeur nature – est un loisir en fort développement qui consiste à parvenir à s’échapper d’une pièce dans une durée limitée (généralement une heure). Par groupe de deux à dix participants, les joueurs doivent chercher des indices disséminés dans une pièce, puis les combiner entre eux pour pouvoir avancer dans l’énigme et sortir de la pièce. Jeu d’évasion grandeur nature – et atelier dans le cadre de la formation managériale !
« L’issue est positive puisque le groupe a réussi à sortir de la pièce, ce qui était le but de l’exercice » conclut Lionel Reynaud, en charge du service urbanisme, un des « agents de la CIA » qui ont triomphé de la « White Room ». « Il y avait une petite tension induite par la recherche des indices et la résolution des énigmes, mais globalement, tout le monde était concentré et la progression a permis au jeu de se dérouler dans les meilleures conditions. L’observation, l’analyse, l’écoute, l’échange, l’inventivité, la créativité sont les principaux facteurs qui ont permis à notre groupe de réussir. »
L’analogie avec le milieu professionnel et ses situations, objectifs et échéances est effectivement une évidence.
Quand il relate cette expérience, il décrit une saine émulation, profitable à l’ensemble : les avancées et les découvertes des uns entraînaient les avancées et les réflexions des autres. Il fait l’analogie entre cette partie d’escape game et son travail de manager : « Si on compare le jeu que l’on a pratiqué à la menée d’un projet dans le monde professionnel, on peut trouver un rapport dans les étapes du jeu et celles d’un projet, notamment dans l’état d’esprit dans lequel se trouve le groupe à chacune de ces phases ».
Perdre de vue le but…
L’analogie avec le milieu professionnel et ses situations, objectifs et échéances est effectivement une évidence. Un escape game se compose de trois fondamentaux : un cadre de jeu (par exemple : vous êtes un agent de la CIA en mission dans une pièce énigmatique) ; un défi (vous devez vous échapper) ; une durée (une heure et quart). Dans les parties d’escape game, le défi/objectif est clair et il est même contenu dans le nom du loisir ! « Bien que la durée soit courte, il n’est pas rare de voir des groupes perdre de vue leur but et échouer car les participants se sont égarés dans des actions qui ne contribuaient pas à les faire avancer. » constate Mélanie Orfila, dirigeante du département « professionnels » chez le spécialiste de l’escape game Locked Up ((http://www.lockedup-escapegame.com/)) et animatrice l’atelier qui suit la séquence ludique.
« Il n’est pas rare de voir des groupes perdre de vue leur but et échouer pour s’être égarés dans des actions qui ne contribuaient pas à les faire avancer ».
S’il n’y avait qu’une seule leçon à tirer de l’escape game pour la performance des équipes professionnelles, ce serait celle-là : la focalisation sur l’objectif est la clé la plus importante, notamment parce qu’elle permet que chacun s’inscrive dans la même optique et agisse de manière plus naturellement cordonnée.
Manager dans un « contexte VUCA »
Quand Lionel Reynaud constate que le groupe a réussi à sortir de la pièce et qu’il souligne que c’était le but de l’exercice, il touche du doigt cet enseignement : garder le but bien en tête contribue à son accomplissement ! Une évidence ? Oui, mais concrètement ce n’est pas si simple. Pour décrire le monde contemporain, les chercheurs de l’armée américaine ont inventé un acronyme, désormais largement utilisé dans les autres sphères privées et publiques : VUCA, pour Volatility Uncertainty Complexity Ambiguity, c’est-à-dire volatilité (le contexte social et professionnel change constamment), incertitude (le savoir et les certitudes évoluent très rapidement), complexité (les connaissances s’accroissent et les problématiques s’élargissent de plus en plus), ambiguïté (le sur-flux croissant d’informations perturbe la clarté du monde et des organisations).
L’escape game permet de « mettre en situation » les équipes dans un contexte de collaboration puis souligner des dysfonctionnements si la cohésion n’est pas entière.
Cela dessine quatre fonctions pour les managers : instaurer des fonctionnements agiles, organiser la sélection et la circulation de l’information, développer la transversalité, donner des repères. Au sein d’une équipe, l’objectif est un sésame : en le formalisant sous une forme explicite pour en faire une référence partagée constante, en évaluant régulièrement sa progression afin de créer de la motivation et permettre des éventuelles actions correctives, en acceptant les doutes de manière à les traiter, à rassurer et si nécessaire être alerté.
Les cadres ont besoin de temps collaboratifs
Nathalie Meira, directrice générale des services, à l’origine de cette initiative, tire un bilan positif de l’action. « Les cadres ont besoin de temps collaboratifs, ludiques, qui, en les extrayant de leur milieu professionnel classique, permettent de fédérer autour d’objectifs communs et de favoriser la transversalité » estime-t-elle. Elle n’en est pas à son coup d’essai : elle recourt volontiers à des temps de travail hors des sentiers battus. Elle s’est intéressée à l’escape game pour l’enchaînement séance de jeu - atelier de formation afin de « mettre en situation » les équipes dans un contexte de collaboration puis de souligner des dysfonctionnements si la cohésion n’est pas entière.
« Bien sûr que c’est sérieux… Nous développons beaucoup des modes de travail collaboratif innovants, sur la base de technique de jeux ».
Elle note deux conditions de réussite pour qui voudrait tenter l’expérience. Premièrement, construire des équipes réunissant des collaborateurs qui n’ont pas forcément l’habitude de travailler ensemble. Deuxièmement, que la formation soit bien ancrée dans la réalité du temps ludique précédent pour prendre appui sur ce qui s’est passé et montrer en quoi la dynamique collective aurait permis de mieux atteindre les objectifs. Enfin, quant au sérieux, pour des managers responsables, de recourir au jeu, Nathalie Meira répond sans hésitation : « Bien sûr que c’est sérieux… Nous développons beaucoup à Lieusaint des modes de travail collaboratif innovants, sur la base de technique de jeux. Ces modalités permettent d’appréhender le thème de manière différente, plus ludique, plus créative, mais toujours aussi professionnelle. L’objectif final n’est jamais oublié ».
À lire
• Sur la formation managériale à base d’escape games
Des managers territoriaux de mèche avec la mafia ! La Lettre du cadre 507, mars 2017.
Une directrice générale des services jette ses cadres en prison ! La Lettre du cadre 506, février 2017.
• Sur le « monde VUCA »
Un schéma synthétique publié par la Harvard Business Review, janvier-février 2014 (en anglais)
• Sur l’utilisation du jeu dans le management
Jouer ensemble pour produire ensemble, La Lettre du cadre 501, octobre 2016.
• Sur l’utilisation « sérieuse » du jeu
Gamification : Enjeux, méthodes et cas concrets de communication ludique, Éditions Territorial.