Espace public : changer la ville

Marjolaine Koch

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Espace public : changer la ville

DOSS_tramway_de_Grenoble©Jvillafruela-wikimediacommons

Ça peut paraître une évidence, mais le partage de l’espace public n’a rien de naturel. Il faut au contraire faire des efforts pour qu’il laisse sa place à tout le monde. Et accepter de rompre avec les habitudes.

Avoir confiance en marchant dans la rue, en buvant un verre à la terrasse d’un café… Après les événements de 2015, la notion de confiance dans l’espace public a pris une résonance particulière. Pourtant, confiance et risque sont les deux faces d’une même médaille : gérer la confiance consiste à identifier le niveau de risque que l’on est prêt à prendre avec les autres. Une réflexion qui vaut pour l’usager, mais aussi pour le concepteur, le politique en charge de l’aménagement de l’espace public.

Quelle confiance est-il prêt à accorder à ceux qui utiliseront le lieu au quotidien ? Est-il disposé, en amont, à les écouter, à intégrer leurs réflexions, propositions ? Peut-il leur faire confiance lors du recueil de l’énoncé de leurs pratiques, ou y a-t-il distorsion ?

La réflexion sur l'espace public vaut pour l’usager, mais aussi pour le concepteur, le politique en charge de l’aménagement de l’espace public.

Enfin, accorde-t-il la même confiance à tous les usagers, selon leur âge, leur catégorie socioprofessionnelle, le lieu aménagé ? D’après Marie-Christine Couic, sociologue urbaniste, « on a plus confiance en les usagers en ville qu’en banlieue et en centre-ville que sur les axes routiers. »

Produire des lieux adaptés aux usages

Pour la sociologue, en se montrant plus confiant, on a pourtant tout à gagner. « Par exemple d’un point de vue écologique : si l’on a une confiance a priori forte que les choses vont bien, on peut envisager de baisser un niveau d’éclairage la nuit, sauf dans certains lieux identifiés. On réduit la dépense énergétique. On peut également gagner en qualité si l’on produit des lieux de pause vraiment reposants, où les personnes âgées pourront déambuler plus facilement, trouver un espace de repos et repartir. Sans confiance, pour limiter des petites incivilités comme les gens qui dorment sur un banc, il n’y a pas de banc ou des bancs scindés en plusieurs morceaux, ce qui constitue une perte de confort mais aussi un coût supplémentaire. »

S’il y a un maire qui l’a bien compris, c’est Miguel Anxo Fernandes Lores, édile d’une ville de 82 000 habitants en Galice, Espagne.

Le maire de Pontevedra part du principe qu’un cycliste, un piéton et un automobiliste – devenu minoritaire – sauront se côtoyer en bonne intelligence.

À Pontevedra, les changements ont été radicaux : partant du constat que la ville était impraticable et irrespirable, il a tout bonnement supprimé la voiture du centre. Aménageant de larges trottoirs pour les piétons, des zones où la route disparaît totalement, le maire assure que ces modifications lui coûtent seulement 8 millions d’euros par an. Car il a choisi, en outre, de réduire la signalétique au minimum en ne sectorisant pas l’espace public. Dans cette ville par exemple, vous ne trouverez pas de piste cyclable : le maire part du principe qu’un cycliste, un piéton et un automobiliste – devenu minoritaire – sauront se côtoyer en bonne intelligence. Et les faits lui donnent raison, les accidents sont rarissimes.

Pour un partage naturel de l’espace public

Marie-Christine Couic, installée à Grenoble, a fait l’expérience inverse dans la capitale des Alpes, avec l’aménagement du cours Jean-Jaurès qui accueille désormais une ligne de tram. « Trottoirs, espaces de verdure, piste cyclable, route, voie de bus, voie de tram… En fonction des contre-allées et du stationnement, 12 à 15 voies se côtoient ! Au niveau des ambiances, l’aspect routier du cours a disparu et les trottoirs sont plus larges, mais on aurait pu franchir un cran dans la confiance en séparant moins les espaces, en faisant cohabiter les usagers. D’autant plus qu’avec cette succession d’usages par bande, il devient difficile de traverser la rue, des barrières doivent même être contournées à certains endroits ! »

Un espace partagé a pourtant tendance à responsabiliser les groupes qui se côtoient, et donc à rendre les lieux plus sûrs.

Était-il par exemple nécessaire d’accorder une bande spécifique aux cyclistes ? La piste cyclable est un incontournable de la voirie moderne, mais ne pouvait-on imaginer un partage de l’espace avec les piétons, les poussettes, les trottinettes ? Un tel espace partagé a pourtant tendance à responsabiliser les groupes qui se côtoient, et donc à rendre les lieux plus sûrs. « D’autant plus, estime la sociologue, que les cyclistes grenoblois devenant le groupe dominant, un déséquilibre est en train de se créer avec les piétons. Ils deviennent agressifs, parfois même vengeurs. On assiste à une montée de « fous du guidon » comme il y a les fous du volant ! »

Si le fait de scinder les usages est parfois inévitable pour protéger certaines populations, le faire à l’excès revient à oublier qu’une régulation naturelle peut s’installer. Sans cela, dans quelque temps, nous risquons de voir apparaître, comme la ville de Chongqing en Chine, des voies réservées aux accros du smartphone…

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