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De fausses évidences
La réforme à abroger était fondée sur de fausses évidences. La plus significative est sans doute celle qui procède d'une simple approche arithmétique de la réalité communale française. Au 1er mars 2008, la France comptait 36 783 communes (36681 au 1er janvier 2014), un nombre présenté comme aberrant pour qui le compare à ce qui se fait ailleurs en Europe. Il faudrait donc réduire le nombre de communes.Mais pourquoi ? Pour réduire le nombre d'élus ? Parce que toutes ces assemblées locales coûtent trop cher ? Parce qu'il est bon d'éloigner les représentants des représentés ? Parce que, loin du peuple revendicatif, il est plus aisé de réduire la République, d'amoindrir l'investissement dans les services publics, qui appartiennent à tous, pour canaliser plus encore de richesses vers quelques-uns ? Parce qu'un faible niveau de démocratie sied au bon fonctionnement de l'économie de marché ? Ce technocratisme était déjà en vogue à la fin du XIXe siècle et, surtout, au lendemain de la Première guerre mondiale. C'est devenu l'idéologie du Fonds monétaire international. ll fallait donc faire mener de force les communes à l'intercommunalité par des préfets eux-mêmes revenus, non sans états d'âme parfois, au temps de Napoléon.Mais la véritable modernité, ce peut être autre chose. Et ce peut être surtout plus efficace que les recettes du FMI, dont on sait les faibles compétences réelles et leurs effets partout où elles ont été subies ((Independant Evaluation Office of the International Monetary Fund. « Research at the IMF - Relevance and utilization ». Washington DC, mai 2011. Commentaire par Pierre Rimbert, Le Monde diplomatique - août 2011, page 2.)).L'existence des 36 700 communes procure à la France le plus riche réservoir d'idées et de bonnes volontés dont elle puisse rêver.
Un riche acquis démocratique
Au contraire, nos nombreuses communes peuvent être considérées, au début du XXIe siècle, comme une avance de la France sur la voie d'une démocratie réelle. Un remède possible aux pathologies de la démocratie. Une texture vivante et intelligente, particulièrement adaptée au territoire français.L'existence des 36 700 communes procure à la France le plus riche réservoir d'idées et de bonnes volontés dont elle puisse rêver. Dans ces communes existent autant de conseils municipaux qui attirent vers la vie publique des centaines de milliers de citoyens, parmi lesquels une quantité de personnalités inventives, amoureuses de leur territoire et qui en conservent bénévolement l'habitabilité, y inventent en permanence d'originales solutions. Cette intelligence collective est le ferment d'un développement véritablement soutenable, car ascendant, autocentré, fondé sur le réel, dont la région Provence, alors présidée par Gaston Defferre, fut le laboratoire durant les années 1970. ll y était alors question de développement autocentré, de « technologies appropriées ». La décentralisation fut un produit de ce laboratoire ((Lire par exemple : Godard Olivier et Ceron Jean-Paul. Planification décentralisée et modes de développement. L'exemple du Bureau méridional de développement agricole en Provence. Paris. Maison des sciences de l'Homme. 1985, 205 pages. Les ressources de l'intelligence collective suscitent en ce début de xxie siècle un intérêt qui émerge. Lire à ce sujet : Surowiecki James, La Sagesse des foules, Paris, 2008 (traduction), Éditions Jean-Claude Lattès.)).La proximité de la population communale et du conseil municipal confère à celui-ci une forte légitimité, que les structures intercommunales n'ont pas à rechercher si elles s'en tiennent à leur fonction technique. Au moment même où d'autres pays s'efforcent d'inventer la démocratie participative en segmentant, justement, leurs grandes collectivités locales, faudrait-il en France défaire un maillage de communes qui n'est rien d'autre qu'une forme de démocratie participative déjà ancienne ?La géographie de la France affirme que le fin maillage des communes est au territoire ce que la peau est à un corps.
Tenir compte de l'intérêt du territoire
La nouvelle réforme territoriale doit, en somme, tenir compte de l'intérêt du territoire. Pour cela, le législateur gagnerait à se fonder sur l'histoire et sur la géographie, en renonçant à la politique hors sol de ces dernières années. Le sens de l'histoire commande que les communes demeurent l'échelon fondamental de la démocratie française. La géographie de la France affirme que le fin maillage des communes est au territoire ce que la peau est à un corps. Les 36 700 communes sont cette texture vivante, ce tégument qui doit pouvoir s'adapter régulièrement aux enjeux locaux.Les communes doivent pouvoir s'en tenir à leur plus simple expression, ou bien s'épaissir, se complexifier en fonction des circonstances et se doter des services et des équipements les plus onéreux grâce à une coopération intercommunale librement choisie. La loi doit laisser s'exprimer cette souplesse et cette intelligence.L'État doit, quant à lui, assumer les responsabilités que lui confie la Constitution. Assurer de nouveau l'indispensable contrôle de la légalité et conduire une politique nationale d'aménagement du territoire, conditions de la cohérence et de la solidarité républicaines.Après plus de vingt ans d'expériences et d'échanges dans le monde des collectivités territoriales, en France ou ailleurs, je suggère une approche de la démocratie territoriale à l'opposé de la pensée dominante. J'affirme qu'il n'y a pas assez de communes en France et qu'il faut considérer nos 36 700 communes comme une peau vivante, que les lois de la République doivent laisser s'adapter aux enjeux très variables d'un territoire français très varié.