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Le concept de leader serviteur n’est pas une énième mode dans le management, mais un retour à une expérimentation pragmatique et pleine de bon sens, tablant sur l’écoute, l’éthique et l’altruisme. À l’opposé du management gestionnaire, il peut apporter à la crise managériale actuelle une réponse adaptée aux collectivités.
« Les leaders les plus révérés travaillent dans une position d’humilité et de service aux autres. L’excellent leader en réalité ne dirige personne. » Lao Tzu
Article publié le 18 mai 2017
Les lecteurs avertis de la Lettre du cadre pourraient penser, à l’intitulé de cet article, qu’il s’agit encore d’une nouvelle mode managériale, importée des États-Unis, puisque le terme de leader serviteur est en effet directement emprunté du terme anglo-saxon « servant leader » et que les collectivités territoriales n’ont peut-être pas besoin, en ce moment, d’expérimenter une énième « technologie managériale », tant nos organisations seraient déjà sur-managées…
Et pourtant… de plus en plus d’observateurs font remarquer que ce qui manque peut-être cruellement dans nos collectivités, c’est sans doute une insuffisance de pratiques managériales adaptées à de nouveaux contextes sociétaux.
Le modèle hiérarchique en défaut
Le modèle hiérarchique et bureaucratique qui est le socle du modèle administratif en France et qui s’est aussi répandu dans le secteur privé, sous l’effet de la philosophie « néotaylorienne » « hypergestionnaire », est de plus en plus contesté.
Le parti pris est bien d’inscrire les propos dans une démarche pragmatique d’expérimentation de nouvelles pratiques managériales.
Philippe Laurent, auteur du rapport sur le temps de travail dans la fonction publique rappelle que l’une des difficultés dans la compréhension des enjeux du temps de travail tient précisément à un défaut de management qui se retrouve dans des organisations de travail inadaptées.
Le parti pris de cet article est bien d’inscrire les propos dans une démarche pragmatique d’expérimentation de nouvelles pratiques managériales, qui peuvent apparaître radicales alors qu’elles ne sont bien souvent qu’un retour à quelques attitudes de bon sens, aucun risque donc de jouer aux apprentis sorciers lorsqu’il est question de leader serviteur !
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Un manager au service de ses collaborateurs
Alors de quoi s’agit-il et pourquoi ce modèle de leadership peut s’avérer adapté aux collectivités territoriales ?
Tout d’abord, précisons que ce modèle s’inscrit bien dans la catégorie des modèles de leadership, ce qui signifie qu’il s’inscrit dans un « processus par lequel un individu influence un groupe d’individus afin d’atteindre un but commun » ((Northhouse, 2010. Voir « Hommes femmes, leadership : mode d’emploi », page 22, Valérie Petit, Sarah Saint-Michel.)). Comme tout processus, il s’apprend, se conforte et se confronte et, surtout, il n’est pas lié à une position hiérarchique, même si les représentations et croyances empruntées à la logique gestionnaire tendent à superposer leadership et place dominante dans une organisation ((Voir l’article « Le leadership » de Denis Cristol sur le blog Appendre Autrement, 10 avril 2017)).
Dans la pyramide inversée, les salariés sont au service des clients et les managers sont là pour servir leurs collaborateurs.
Le « servant leadership » a été mis en évidence aux États-Unis dans les années soixante-dix par Robert Greenleaf (1904-1990), patron d’une grande entreprise américaine, qui propose un modèle de management alternatif à celui fondé sur le commandement et le contrôle, en prenant tout simplement le modèle d’une pyramide inversée, dans lequel les salariés sont au service des clients et les managers sont là pour servir leurs collaborateurs. En se plaçant dans une posture de mise au service d’autrui, les managers invitent leurs collaborateurs à en faire de même avec les clients et un cercle vertueux sur la performance de l’organisation et la qualité des prestations peut se développer harmonieusement.
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Une approche altruiste et humaniste
Cette approche reposait au départ sur une intuition, selon laquelle « les leaders dirigent mieux quand ils adoptent une position de serviteurs », qu’il a ensuite expérimentée auprès d’un certain nombre d’entreprises, essentiellement aux États-Unis, même si quelques dirigeants d’entreprises françaises s’identifient aux leaders serviteurs. Jacques Lecomte, Docteur en psychologie, est parti à la rencontre des dirigeants humanistes, dans son ouvrage « Les entreprises humanistes, comment elles vont changer le monde ».
Cette posture crée un système vertueux dans lequel le salarié (subordonné, agent…) se met lui-même au service du client (usager pour un agent du service public).
Le leader serviteur s’inscrit dans la catégorie des leaders éthiques et inspirants, au même titre que les leaders transformationnels et authentiques. Ce modèle est fondé sur une approche altruiste et humaniste qui fait de la place des salariés au sein de l’organisation une finalité, la productivité n’étant qu’un moyen et non l’inverse. Il postule que « le leader dirige mieux lorsqu’il adopte une mentalité de serviteur », ce qui signifie qu’il est capable de mettre son ego de côté pour se concentrer sur les autres, ses subordonnées, en mettant son énergie et ses compétences afin de les accompagner dans la réalisation de leurs activités. Cette posture crée un système vertueux dans lequel le salarié (subordonné, agent…) se met lui-même au service du client (usager pour un agent du service public), mais également des autres parties prenantes de l’organisation, générant ainsi des attitudes proactives, favorisant la coopération, l’agilité et l’intelligence collective.
Les 10 principes du servant-leader
Comme la plupart des modèles de management, il repose sur un certain nombre de grands principes, mis en évidence par Robert Greenleaf, puis développés par Larry Spears, ancien directeur du Greenleaf Center for Servant Leadership qui réalisa en 1995 une liste de dix principes d’un servant-leader, que l’on retrouve également pour partie dans les autres modèles de leadership éthique, sont les suivants :
1• l’écoute, au sens de permettre aux personnes d’apporter leurs idées et d’influencer les décisions, mais également l’écoute au sens de l’attention portée aux autres, y compris dans une posture d’écoute silencieuse, qui permet d’entendre y compris ce qui n’est pas exprimé ;
2• l’empathie, à savoir la capacité à comprendre et à reconnaître les perspectives de l’autre, sans qu’il y ait de jugement de valeur ou d’affinité avec cette perspective ;
3• la guérison, signifie à l’inverse du mouvement du management gestionnaire, que l’individu au travail est une personne entière, qui interagit dans son environnement professionnel y compris avec des comportements qui peuvent s’avérer négatifs dans le travail, mais qu’il faut prendre en compte ;
4• la conscience, le leader serviteur a une conscience de soi élevée qui lui permet de comprendre les aspects liés à l’éthique, aux valeurs et d’avoir une approche globale des situations ;
5• la persuasion, le leader serviteur applique un management fondé sur la confiance et la recherche du consensus, plutôt que le management directif et autoritaire ;
6• la conceptualisation, le leader serviteur travaille en permanence à clarifier la vision de l’organisation, à donner du sens et à maintenir un équilibre entre des approches conceptuelles de l’organisation et le pragmatisme de l’action au quotidien ;
7• la prévoyance, le leader serviteur tire les leçons du passé pour se projeter dans le futur, ce qui lui confère un esprit créatif et intuitif ;
8• la gérance, signifie que le leader serviteur agit en vue d’assurer la bonne gestion des ressources de l’organisation, non pas pour son bénéfice, mais pour celui de la communauté ;
9• le développement des personnes, le leader serviteur s’emploie à faire grandir ses collaborateurs, convaincu de leurs valeurs intrinsèques qui dépassent leur seule qualité de salarié ;
10• le développement de la communauté, c’est le dernier et très important principe du leader serviteur, qui travaille en permanence à consolider les rapports de communauté entre les salariés et les clients.
Un modèle à confronter au réel
Comme tous les modèles de management, le servant-leadership n’est pas non plus exempt de critiques et de points de vigilance, notamment par son aspect très normatif qui peut apparaître trop instrumental et qui nécessite d’être en permanence confronté à des situations professionnelles pour confirmer son mode opératoire.
Ce modèle de management est apparu dans les années soixante-dix, en même temps que le mouvement des entreprises libérées et dans le prolongement de l’École des relations humaines (Mayo, Lewin, Rogers, MacGregor, Maslow, Hertzberg, etc.) qui avait déjà mis en évidence la nécessité de mieux prendre en compte la psychologie humaine pour susciter l’engagement et la coopération au sein des collectifs de travail. Mais ce mouvement ne s’est pas imposé face à la vague du management gestionnaire, du Command and control, de la rationalité mécaniste et de sa version appliquée au secteur public avec la Nouvelle gestion publique, qui a fait passer l’être humain d’une finalité à un simple moyen de production.
La crise actuelle remet au goût du jour ces modèles de management éthiques qui peuvent s’avérer tout à fait adaptés au management des collectivités.
La crise actuelle, qui se traduit aussi par une crise managériale, avec le développement des RPS, de phénomènes de désengagement au travail, d’absentéisme, de défiance… remet au goût du jour ces modèles de management éthiques qui peuvent s’avérer tout à fait adaptés aussi au management dans les collectivités territoriales.
Le modèle du leader serviteur s’intéresse d’abord à l’individu, plutôt qu’à l’organisation ou au statut et, à ce titre, sa mise en œuvre dépend d’abord de la volonté du dirigeant territorial d’impulser, au sein de la communauté territoriale, un management humaniste, éthique, qui prend soin de ses collaborateurs, pour qu’ils se développent en tant que personne, mais également qu’ils apportent aux citoyens un service public de qualité.
Bibliographie
• Revue Personnel n° 569 - mai 2016 « Les équipes accompagnées par un leader serviteur sont très motivées », interview de Jacques Lecomte.
• Revue Gestion 2000-2013, page 15 « Le « servant leadership » : un paradigme puissant et humaniste pour remédier à la crise du management », article de Daniel Belet, disponible sur le site du Cairn.
• L’Expansion Management Review, 2011/2 n° 141 p. 112 « Le « servant leadership », modèle radicalement innovant », article de Daniel Belet, disponible sur le site du Cairn.
• « Hommes, femmes, leadership : mode d’emploi », Valérie Petit et Sarah Saint-Michel, 2016, Édition Pearson.
• « Manager en pleine conscience, devenez un leader éthique et inspirant », Lise Peillod-Book et Rebecca Shankland, 2016, Édition Dunod.