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Hans Rosling, Factfulness, Sceptre, 2018, 342 pages.
Célèbre pour ses conférences relevant souvent du véritable spectacle, Hans Rosling s’est attelé, à la fin de sa vie, à cet ouvrage qui paraît de manière posthume. Infatigable traiteur de données, il excellait dans un l’art de la vulgarisation par visualisation des informations. Rosling fourmillait d’idées pour animer des graphiques et rendre vivantes des interventions sur des thèmes passablement ardus. Pour ceux qui ne connaissent pas le côté « performeur » de l’auteur, un tour par Youtube et un autre par son propre site Gapminder s’imposent absolument.
Un monde qui va mieux
Son ouvrage repose sur l’expérience accumulée. À force de quiz et autres tests devant des assemblées de haut niveau (colloques académiques ou professionnels, institutions internationales, conseils d’administration de multinationales), Hans Rosling s’est forgé des convictions. D’abord, pour faire passer des messages, il faut un peu de divertissements. Ensuite, sur le fond, il faut tout de même argumenter et répéter. C’est l’objet de l’ouvrage : lutter contre l’« ignorance globale ». Celle-ci transparaît à partir de la faiblesse du niveau des réponses à des questions simples sur l’évolution de la pauvreté ou de l’espérance de vie dans le monde.
Hans Rosling ne cesse de le montrer et de le répéter. Le monde va globalement mieux
Hans Rosling ne cesse de le montrer et de le répéter. Le monde va globalement mieux. Sur un temps long, les dynamiques sont à l’amélioration. L’extrême pauvreté touchait 85 % de la population mondiale en 1800, 50 % en 1966, 9 % en 2017. Sur la même période, l’espérance de vie a augmenté de 31 ans à 72 ans, le nombre d’enfants par femme a baissé de 6 à 2,5, la proportion des enfants décédés avant 5 ans s’est réduite de 44 % à 4 %. Rosling sait astucieusement en rendre compte en montrant ce que sont les équipements en brosses à dents ou en toilettes des ménages, à partir de 30 000 photographies prises dans 50 pays pour 264 familles. Il s’agit de rapporter des données et des faits, sur la façon dont les gens vivent vraiment. Il s’ensuit le portrait général d’un monde bien moins polarisé qu’on le croit, avec des forces très positives à l’œuvre.
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Mais un monde qui ne croit pas en ses progrès
Comme pour les illusions d’optique, il ne s’agit pas d’un problème de vision, mais d’interprétation cérébrale. Il est humain de penser que tout ne va pas bien. Nous présentons une sorte d’« instinct de négativité ». Rosling en construit une mesure en observant que des chimpanzés répondant à ses tests font mieux que des humains, pourtant très cérébrés, qui choisissent très souvent les réponses les plus négatives. Ce lamento, particulièrement prononcé en France si l’on lit le détail des sondages menés par Rosling, se double de facilités auxquelles nous succombons aisément. Plutôt que d’élaborer plusieurs scénarios en fonction des séries de données dont on dispose, on préfère prolonger les tendances du passé (généralement plus problématiques). Plutôt que de chercher à actualiser en permanence, on reste sur des schémas et des données datés.
Comme pour les illusions d’optique, il ne s’agit pas d’un problème de vision, mais d’interprétation cérébrale
Ce livre important appelle à maîtriser les ordres de grandeur (pour ne pas dire n’importe quoi) et rappelle qu’il faut toujours un peu de rigueur (qu’un peu de fantaisie peut aider à faire passer). Tout en invitant à se méfier des exhortations à la compassion et à la peur.
Les esprits académiques trouveront certainement, ici ou là, à redire. Mais les tendances et thèses paraissent bien difficiles à contredire. Les esprits chagrins, sans ouvrir le livre, grommelleront, incrédules. Ils feraient bien mieux de feuilleter ces pages pour ouvrir les yeux.
EXTRAITS
« Globalement, le monde s’extirpe du dénuement. Il se moyennise. »
« Plutôt que de rechercher des causes (les évolutions technologiques en particulier), on désigne des coupables (les médias, les riches, la globalisation, etc.) »
« Pour le savoir, il faut un peu de vouloir. »