fabien-Bazin
© Jean-Pierre Djivanides
Article publié le 16 décembre 2015
Vous tenez un discours très proactif sur la ruralité, avec votre notion de « bouclier rural » ou encore de « village du futur ». Où puisez-vous les sources de ce volontarisme ?
J’ai une certitude : nous devons compter sur notre propre force. La manière de présenter habituellement la ruralité est toujours très plaintive. C’est le discours que tient l’Association des maires ruraux de France (Amrf). Rien ne va, on ferme des écoles, les services publics se retirent. Bien sûr qu’il y a du vrai dans cette complainte, mais nous sommes à un moment charnière, avec une inversion de la courbe de l’exode, les habitants des grandes villes étant attirés de plus en plus par la campagne. L’exode rural est bel et bien fini puisque, d’après les données de l’Insee, onze millions de citadins souhaitent aujourd’hui s’installer en campagne. Si l’on veut mener une vraie politique dans ces territoires, il faut en repérer les richesses, innover. Ne pas subir la situation. Mais pour l’heure, l’État a du mal à définir les contours d’un tel projet. Nous devons donc prendre notre destin en main.
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Vous réfléchissez à cette notion de « bouclier rural » depuis 2010. Cette réflexion a inspiré un projet de loi, déposé le 10 février 2011 par le futur Premier ministre Jean-Marc Ayrault, qui ne déboucha pas sur une loi. Ces mesures concrètes sont toujours sur le papier…
Oui et c’est toujours d’actualité : création de zones franches rurales et de pôles de compétitivité ruraux, mesures de soutien à la modernisation de l’agriculture, au logement et aux transports, développement de la fibre optique pour tous et partout, rétablissement de tous les services publics avec temps minimum d’accès à chacun d’eux (45 minutes d’une maternité, 20 minutes d’un accueil de médecine générale, 15 minutes d’une école élémentaire, 15 minutes d’un bureau de poste, etc.), aide aux associations d’intérêt général apportant des services au public…
11 millions de citadins souhaitent aujourd’hui s’installer en campagne : l’exode rural est bel et bien fini.
Avec le développement du télétravail – 7 % des salariés sont concernés aujourd’hui, 20 % dans dix ans –, l’avenir est au monde rural, tout le monde le sait. Seule manque la volonté politique.
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Que devient ce « bouclier rural » non voté ?
Il constitue une forme de « boîte à idées » pour le gouvernement. Par exemple, le principe de la scolarisation des moins de 3 ans dans les territoires ruraux va dans cette direction. Comme souvent, les maires ruraux sont accaparés par de nombreuses tâches, ils n’ont pas le temps de réfléchir. Peu d’entre eux ont pris le temps de coucher des projets sur le papier, de prendre le temps de la réflexion. Ils sont seuls, écrasés par une modernité qui semble renforcer leur isolement, alors qu’elle pourrait au contraire les raccrocher au monde tel qu’il est.
J’ai travaillé sur le concept des villes du futur, dans le droit fil de ce qui a été fait autour du bouclier rural.
Comme j’ai vite compris que les choses auraient du mal à évoluer rapidement, j’ai travaillé sur le concept des villes du futur, dans le droit fil de ce qui a été fait autour du bouclier rural. Il s’agit d’une tentative de guide des bonnes pratiques pour les communes rurales. On y parle du développement des commerces dans les bourgs, des foyers pour personnes âgées, de villages connectés, etc. Comment refait-on un restaurant ? Comment profiter des mesures pour faire refluer les déserts médicaux ? C’est une manière de démontrer que de beaux projets naissent dans ces villages et que leur mise en œuvre ne relève pas d’une mission impossible. La fibre optique, par exemple : il faut savoir aller la chercher, elle ne viendra pas seule. C’est très technique, c’est vrai. À Lormes (Nièvre), nous avons eu à répondre à un appel à projets régional. Tout le monde n’est pas en mesure de le faire, de comprendre l’enjeu. Il faut former les élus, notamment ceux des intercommunalités, pour qu’ils se positionnent plus facilement.
Vers une homogénéisation culturelle des campagnes
Un récent document publié par le Commissariat général à l’égalité des territoires (Cget), à la demande des ministères de l’Égalité des territoires et de la Ville, met l’accent sur les bouleversements que connaît la ruralité. Aujourd’hui, selon l’Insee, 95 % des Français vivent dans des communes sous influence urbaine : 65 % dans un pôle urbain et 30 % dans les espaces périurbains, ce qui représente respectivement 42,5 et 19,4 millions de personnes. Les Français ne sont plus que 5 %, soit 3 millions d’habitants, à résider dans des communes hors de l’influence des villes. Mais ces chiffres traduisent mal une réalité sous-jacente, la société rurale traditionnelle – le paysan installé au fond de sa ferme – tend à disparaître pour laisser place à une plus grande homogénéisation culturelle dans les campagnes. Si l’on regroupe, parmi les campagnes, l’ensemble des petites villes, bourgs, espaces périurbains et hors de l’influence des villes, les campagnes comptent plus de 27,4 millions d’habitants. Ainsi, 43,8 % de la population totale, répartie sur 90 % du territoire, résident en dehors des grands pôles urbains comprenant plus de 10 000 emplois.
Comment financer ces projets ambitieux ?
Laurent Davezies, professeur au Cnam et expert indépendant, a mis l’accent sur l’importance de l’économie résidentielle et présentielle dans les campagnes. Je serais heureux que le gouvernement s’inspire de ce qui existe aux États-Unis, à savoir une loi sur le réinvestissement du crédit. Il n’est pas normal que l’épargne locale, souvent abondante, soit très majoritairement réinvestie ailleurs par les banques. Cette épargne devrait être, autant que possible, réinvestie sur place…
L'épargne locale, souvent abondante, devrait être, autant que possible, réinvestie sur place.
Aux États-Unis, 1 300 milliards de dollars ont été réinvestis en trente ans dans les territoires esseulés, comme les ghettos urbains, par exemple. Par ailleurs, ce dispositif prévoit que les banques subventionnent directement les associations d’intérêt général sur le territoire. Un tel mécanisme est-il si difficile à mettre en œuvre en France ? Les petites communes ne sont pas mortes. Il ne faut pas avoir peur des évolutions institutionnelles, notamment des intercos qui vont donner un second souffle aux villages. Il faut aider les petites communes à être innovantes pour être le mieux à même de recevoir tous ces habitants urbains qui veulent respirer un air plus pur.
Internet réduit les distances et l’isolement, concrètement…
Oui, c’est pour cette raison que nous avons lancé un réseau social, Faire compagnie ((www.fairecompagnie.fr)). Les habitants du canton de Lormes peuvent s’y inscrire dans un esprit de solidarité partagée. Tel habitant a besoin d’une aide pour rentrer le bois ; il passe une annonce. Une personne âgée se sent quelque peu isolée, on peut lui rendre visite. Du covoiturage ? Cela peut aussi passer par le site.
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Comment s’opère, concrètement, la mixité entre anciens et nouveaux habitants ?
La vision que l’on avait de la campagne évolue grandement. La mixité entre anciens et nouveaux habitants est de moins en moins problématique. J’ai été élu à la mairie de Lormes en 1994. Aujourd’hui, un habitant sur cinq est installé depuis moins de cinq ans dans ce département. On n’y oppose plus la modernité à la tradition. Les cultures se croisent, dans le respect des uns et des autres. La ruralité est confrontée à l’appréciation de son estime de soi. Il faut qu’elle franchisse le cap. À Lormes, il y a un télécentre dédié à des jeunes et moins jeunes qui travaillent en indépendants, mais aussi une fanfare aux clairons qui marche du tonnerre.
Fabien Bazin est maire PS de Lormes (Nièvre).