Générations : une maison de retraite qui est aussi une crèche...

Marjolaine Koch

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Générations : une maison de retraite qui est aussi une crèche...

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© Renáta Sedmáková

À Seattle, depuis 25 ans, les 0-5 ans et les retraités se côtoient au quotidien. Le Centre d’apprentissage intergénérationnel accueille 400 résidents et 125 enfants, qui ont pris l’habitude de partager leurs activités.

D’un côté, des enfants sans passé ou presque, avec toute la vie devant eux. De l’autre, des personnes âgées au passé riche et dont le futur est forcément bien écorné. Ces deux générations se côtoient au sein d’une formule originale imaginée dans les années 1990 à Seattle.

L’apprentissage du partage

Cinq jours par semaine, nouveaux et anciens partagent des activités planifiées : danse, musique, loisirs créatifs, lecture, un déjeuner, des activités physiques légères ou la préparation de sandwiches pour les SDF… Un moment, dans la journée, où grands et petits vont partager et tirer des enseignements. Pour les responsables du site, la force de la rencontre vient du fait que les enfants, à cet âge, prennent les choses comme elles viennent.

Evan Briggs, qui a suivi les équipes pour un documentaire, a saisi une scène évocatrice : celle d’un petit garçon prénommé Max, assis à côté d’un retraité, John. John lui demande à maintes reprises quel est son nom, Mack ? Matt ? Match ? « La scène dure encore plus longtemps que ce que j’ai montré, mais Max était si patient, il a juste répété son nom, encore et encore, sans frustration, jusqu’à ce que John l’entende. » L’apprentissage du partage et de la patience, pour les petits comme pour les grands…

Un impact notable sur les personnes âgées
Alors qu’Evan Briggs filmait un groupe qui chantait des chansons, un vieil homme, visiblement ému, interrompt l’activité à la fin de « You are my sunshine ». Il se met à raconter aux enfants et aux autres retraités qu’à l’époque où il était soldat, il chantait cette même chanson dans un bus avec les troupes, alors qu’il était engagé sur le terrain lors de la Seconde Guerre mondiale. « La clarté avec laquelle ce vieil homme s’est soudain rappelé de cette époque de sa vie était étonnante, sa mémoire semblait se reconstituer au moment même où il le racontait. Si les enfants étaient trop jeunes pour comprendre ses mots, leur présence et l’activité avaient toutefois servi de catalyseurs pour faire remonter ce souvenir » explique Evan Briggs. Plusieurs études épidémiologiques ont mis en avant le lien entre la participation sociale et la santé. Au Canada, une vaste étude a été menée en 2008-2009*. Elle a mis en avant le fait que les activités sociales peuvent réduire le risque de mortalité, d’incapacités et de dépression, et ont des effets favorables sur la santé cognitive. Selon l’étude, les effets physiologiques de l’isolement social agissent sur les systèmes neuroendocrinien et immunitaire, alors que les liens sociaux incitent les gens à adopter des comportements favorables à la santé. Avec l’émergence de ce type d’études est née la prise en compte de l’engagement social des personnes âgées, dans le domaine de la recherche. Pas encore totalement dans les maisons de retraite…
*Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC) – Vieillissement en santé menée en 2008-2009.

Changement d’attitude

Séduite par le projet, Evan Briggs, professeur adjoint à l’université de Seattle, a financé une grande partie de son film grâce à une campagne participative. Elle a pu s’immerger au sein du centre trois jours par semaine sur une année scolaire, entre 2012 et 2013. De cette phase, elle retient le changement notable d’attitude des retraités mis en contact avec les enfants. « Les moments avant que les enfants n’arrivent étaient déprimants : les pensionnaires semblaient endormis, voire mourants. Mais dès que les enfants franchissaient le seuil pour réaliser une activité en commun, les résidents revenaient à la vie. »

Les personnes âgées de ce programme tendent à être plus optimistes, à avoir un réseau social plus étendu et des souvenirs plus précis.

Donna Butts, la directrice exécutive de Generations United, un groupe qui milite pour l’implication intergénérationnelle, a évalué que les personnes âgées de ce programme tendent à être plus optimistes, à avoir un réseau social plus étendu et des souvenirs plus précis, et prennent mieux soin d’elles. Du côté des enfants, Butts explique qu’ils disposent de plus d’attention de la part des adultes, ce qui les aide à développer leurs compétences sociales et leur apprend à inclure dans leur vie les personnes âgées ou ayant des handicaps.

Un nouveau regard

Le plus surprenant a été pour Evan Briggs de découvrir que les parents n’envoient pas spécifiquement leurs enfants à l’ILC pour ces moments de partage avec les seniors. « Le centre a une bonne réputation et de bons encadrants » explique-t-elle. Mais les parents ont reconnu qu’au fil des mois, ils avaient pu voir le bénéfice de ce type de formule. « Un père m’a expliqué qu’il voyait bien l’impact de ces rencontres sur son enfant, maintenant que ses propres parents vieillissaient. »

« Réaliser ce film et m’immerger durant un an dans l’environnement de ce centre m’a permis de porter un nouveau regard sur la manière dont notre société est devenue ségrégative en termes générationnels. »

Pour Evan Briggs, « réaliser ce film et m’immerger durant un an dans l’environnement de ce centre m’a permis de porter un nouveau regard sur la manière dont notre société est devenue ségrégative en termes générationnels. C’est un bel exemple de la manière dont nous pouvons intégrer les plus âgés dans notre société ». La publicité faite au centre suite à la campagne de financement de Briggs a eu un impact immédiat, alors même que le film ne devrait paraître qu’en 2017 : la liste d’attente pour placer son enfant est désormais de deux ans et demi…

La présentation faite par l’Intergenerational Learning Center de Seattle
L’ILC offre aux enfants l’opportunité :
• de découvrir le processus de vieillissement qui touche chaque personne
• d’accepter les personnes touchées par une incapacité
• d’être impliqués auprès de personnes qui ont deux ou trois générations de plus
• de faire partie d’une famille élargie
• de les aider à réduire leur peur des personnes âgées
• et de recevoir et donner amour et attention de manière inconditionnelle.
De leur côté, les résidents participant au programme en tirent un bénéfice :
• la fréquente interaction avec les enfants au quotidien
• des activités physiques en jouant avec les enfants
• des opportunités de jouer, rire et profiter de la joie qu’apportent les enfants dans leur environnement
• une estime de soi revalorisée
• l’opportunité de transmettre son savoir
• et la capacité de devenir un modèle pour les enfants.
« Notre cursus est basé sur la résolution de problèmes : les enfants sont encouragés à réfléchir aux solutions envisageables lorsqu’ils rencontrent des problèmes durant leur journée. Les encadrants servent de « faciliteurs » et de guides sans jamais donner directement la solution. Quand les enfants découvrent qu’ils sont capables de résoudre des problèmes, ils sont encouragés à intervenir tant pour les autres problèmes matériels que pour les problèmes relationnels, en ayant le devoir de prendre la pleine responsabilité de leurs actions. »
www.presentperfectfilm.com
washington.providence.org/senior-care/mount-st-vincent/services/child-care

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