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Géopolitologue français, Pascal Boniface a créé l’Institut de relations internationales et stratégiques. Il en est, aujourd’hui encore, le directeur. Il a notamment travaillé sur l’arme nucléaire et le conflit israélo-palestinien avant de développer un intérêt croissant pour la géopolitique du sport, notamment autour du football. À lire : Géopolitique du sport, aux éditions Armand Colin.
Il est rare de dénicher un intellectuel qui se penche sur le phénomène social que représente le sport. Étiez-vous un passionné de sport, et notamment de football, avant de devenir spécialiste de géopolitique ?
C’est une passion ancienne, qui remonte à loin dans mon enfance. Quand j’en parlais dans mon milieu universitaire, un grand scepticisme accueillait mes éventuelles propositions de recherches. Le sport était considéré comme un sujet d’étude frivole, je n’avais droit en retour qu’à des ricanements. J’ai tâté le terrain en 1997, avant la coupe du monde de football en France. J’ai sollicité deux éditeurs que je connaissais bien pour un livre sur une géopolitique du football mais ils m’ont éconduit. Il a fallu beaucoup de patience pour que je parvienne à mes fins. Aujourd’hui, la donne s’est inversée, ce sont les éditeurs qui me sollicitent.Se berce-t-on d’illusions à imaginer qu’un match Irak-USA de football ait des conséquences positives sur l’évolution d’un conflit ? Comment le sport s’incarne-t-il en matière géopolitique ?
Non, le football n’a pas ce pouvoir. En revanche, il est indéniable que des rapprochements ont lieu, dans un cadre réglementé, celui du sport. Avant l’accord sur le nucléaire iranien, les délégations russes, irakiennes et américaines de lutte ont eu l’occasion de se croiser. Ce sont des officiels, même s’il n’appartient pas à un président d’une quelconque fédération de participer à la détente ou la crispation sur tel ou tel conflit. Les haines, parfois tenaces, s’apaisent. C’est ce que l’on appelle la démocratie du ping-pong, celle qui permettait aux Chinois et aux Américains de se parler lorsque la Guerre froide était à son paroxysme. Il ne faut ni surestimer, ni sous-estimer le phénomène, juste en mesurer les retombées.La démocratie du ping-pong permettait aux Chinois et aux Américains de se parler lorsque la Guerre froide était à son paroxysme.
Quels sont les moments où le sport va au-delà de ce qu’il représente ? Comment l’événement devient-il transcendant ?
On peut multiplier les exemples. Le sport incarne une souveraineté nationale. On pense bien sûr à la coupe du monde de rugby en Afrique du Sud en 1995. Longtemps, le rugby a été le symbole de la pratique ségrégationniste dans le pays. Les Noirs ne jouaient pas au rugby. La manière dont Nelson Mandela a compris que l’événement pouvait accélérer la politique de réconciliation dans le pays fut très intuitive. Il y eut aussi ces fameux matchs de hockey sur glace entre la Tchécoslovaquie et l’URSS en 1969, après le Printemps de Prague. L’équipe d’URSS dominait alors largement le hockey mondial, avec 17 titres de championne du monde entre 1963 et 1983 ! Mais, lors du championnat du monde de mars 1969 disputé en Suède, alors qu’il devait avoir lieu à Prague, le public allait assister à deux des matchs les plus mémorables de l’histoire du hockey tchèque et slovaque, mais aussi international. Au cours du tournoi, l’équipe tchécoslovaque remporte ses deux matchs face à l’URSS dans un climat d’hostilité sur le terrain rarement perçu. Nous étions là dans un réel déplacement des crispations diplomatiques sur le terrain politique.La coupe du monde de football vient de se dérouler dans un climat d’hostilité sociale, surtout en amont de la manifestation. Le sport permet-il d’endormir les revendications sociales ?
Bien au contraire. La célèbre formule de Marx sur la religion qui incarnerait l’opium du peuple, étendue depuis à d’autres domaines, ne s’applique pas en l’occurrence. Au Brésil, il est clair que la coupe du monde a permis au contraire de donner plus de volume et de portée aux revendications sociales. Au Qatar, les conditions dans lesquelles travaillent les ouvriers immigrés, dont certains meurent sur les chantiers, sont mises en lumière par l’événement. Et ce petit pays aux grands moyens, désireux de s’acheter une bonne image internationale, ne peut se permettre de tourner le dos à ces critiques. Après la victoire en coupe du monde en 1998, on a beaucoup parlé d’une France black, blanc, beur. Nous ne sommes pas naïfs, mais il est clair que le sport limite les antagonismes dans un pays, crée une identité. Sans ce lien de souveraineté, des partis comme le Front national seraient sans doute plus populaires encore dans les pays démocratiques.Les sportifs sont plus soucieux d’égalité et de vivre ensemble que les membres de l’Académie française !