grandir_arbre
© ookawa
Sorti du cocon maternel, l’enfant ose agir. Pour se confronter à la réalité, il casse ses jouets, les démonte et regarde ce qui se cache à l’intérieur. Il casse des verres pour mesurer son impact sur son entourage et obtenir qu’on s’occupe de lui. Tout apprentissage est une exploration des extrêmes.
Ses actions lui donnent la sensation d’exister, de se découvrir. Il teste son pouvoir sur le monde extérieur et se construit en améliorant son contrôle de l’environnement. Il répète ses gestes et maîtrise ses actions. C’est ainsi qu’il apprend à marcher. De la conscience de ce pouvoir et du plaisir qu’il en tire va se créer sa solidité.
Certaines personnes, pour n’avoir pas été mises en condition de trouver suffisamment de plaisir dans leurs actes, n’ont pas développé une confiance en soi, ni même une identité forte. La possibilité de réaliser son identité n’est pas réservée à la sphère privée. Les sociétés d’aujourd’hui attendent des individus rapides, efficaces, dynamiques, autonomes, innovants, réactifs, prospectifs.
Les sociétés d’aujourd’hui attendent des individus rapides, efficaces, dynamiques, autonomes, innovants, réactifs, prospectifs.
Les cadres doivent être brillants dans leurs pensées et tolérants dans leur façon d’agir. Le lieu de travail peut être un lieu de réalisation de soi. Certains salariés qui font ce pari investissent beaucoup et attendent beaucoup. Ce qu’ils veulent, au-delà de l’objectif de gagner d’avantage, c’est de devenir plus. Il doit être possible de trouver un équilibre entre sa vie personnelle et son monde professionnel.
Mais, certaines entreprises dépossèdent les salariés de leur contribution au résultat final. Ils finissent par avoir le sentiment d’être transparents, remplaçables.
Comme l’enfant à qui l’on dit « non » demande aussitôt « pourquoi ? », les citoyens d’une société démocratique exigent de comprendre les raisons d’une pratique, d’une décision ou d’un choix. Ils n’acceptent pas la contrainte arbitraire, la censure ou l’interdit brutal. L’autorité du cadre ne vaut pas par elle-même mais doit rendre raison de sa pertinence. Elle s’exerce par l’explication, la persuasion, le consensus.
Cela demande un langage beaucoup plus puissant que celui des chiffres : celui des relations, de la responsabilité et du respect de chacun. Certains cadres trop fragiles attendent du conformisme des agents qu’ils fassent ce qu’on leur demande, un point c’est tout, qu’ils collent à une image extérieure à eux-mêmes, qu’ils jouent leur rôle attendu et surtout qu’ils laissent leurs problèmes personnels à la maison.
Cela demande un langage beaucoup plus puissant que celui des chiffres : celui des relations, de la responsabilité et du respect de chacun.
L’enfant privé d’action sur son environnement accédera difficilement au chemin des esprits libres et curieux qui développent une pensée autonome. La collectivité qui coupe l’individu d’avec lui-même, sans chercher à l’associer à ses raisons d’être, à ses enjeux, ses réalisations, ses contraintes, ses réussites, ne doit pas s’étonner d’une régression de ses salariés. Ils n’ont plus que la volonté de se fondre dans la masse, ne pas bouger, ne pas prendre d’initiatives, ne pas déplaire, jouer le rôle attendu.
Dès lors, comment ne pas comprendre que la volonté d’agir est remplacée par un puissant désir de protection qui se traduit par des revendications de salaire, d’avantages, de statut. Privés de ce moteur essentiel qu’est le développement de l’estime de soi – puisqu’ils ne discernent plus les effets de leurs actes, puisqu’ils ne distinguent plus leur propre spécificité – ils en viennent à douter de l’utilité de leur vie, qu’ils n’ont plus l’impression de maîtriser.
La collectivité devient un lieu anxiogène où chacun est prié de gérer ses problèmes et de faire les chiffres attendus. Fabriquer des individus adultes, c’est agir sur les ressorts de la maturité. Parents et dirigeants devraient s’en aviser.