helene_geoffroy
Le rapport de l’Observatoire national de la politique de la ville (ONPV, ex-Onzus) est sans appel : rien ne va plus dans les quartiers prioritaires en matière d’emploi. Dans vos déclarations, vous invitez les habitants à faire preuve de patience. N’avez-vous pas le sentiment qu’ils attendent depuis trop longtemps ?
Il est clair que le marché du travail ne joue pas son rôle d’intégration dans les quartiers prioritaires. Nous le savons, en période de crise, les quartiers populaires sont toujours les premiers touchés et les derniers à profiter du rebond. Or, mon travail, et c’était tout l’objet du dernier comité interministériel à l’égalité et à la citoyenneté du 13 avril 2016 à Vaulx-en-Velin et du train de mesures annoncées, est de renforcer le réseau auquel peuvent avoir accès les habitants des quartiers pour qu’ils profitent du rebond économique qui s’annonce. La République doit être le capital de ceux qui en ont le moins. Cela se joue dans un travail renouvelé pour l’accès à la culture, à la réussite scolaire, mais aussi à l’aide à la création d’entreprise et à la fois par l’accompagnement individualisé des jeunes diplômés et de ceux sortis du système scolaire sans formation.
« Il est clair que le marché du travail ne joue pas son rôle d’intégration dans les quartiers prioritaires. »
Nous le voyons, notre politique économique commence à porter ses fruits, dans ce contexte, mon action vise à ce que cet embellie se concrétise aussi dans nos quartiers. Je les invite à la mobilisation en leur disant que les conditions sont réunies, nous avons renforcé les moyens, nous avons posé le cadre, à vous de vous en emparer et nous serons à vos côtés ! Avec l’agence France entrepreneur, nous serons aux côtés de ceux qui veulent créer leur entreprise, avec l’accompagnement renforcé et le parrainage, nous serons aux côtés de ceux qui ont pleinement joué le jeu de l’école, qui ont un diplôme et cherchent un emploi. Avec la garantie jeune, nous accompagnerons les plus en difficultés.
En matière d’emploi dans les quartiers prioritaires, tout a-t-il été essayé ?
Depuis 2012, nous luttons contre cette inégalité en faisant pour la première fois des habitants des quartiers populaires une cible prioritaire de la politique de l’emploi. Cette volonté a des traductions concrètes : les agences Pôle emploi les plus concernées par la politique de la ville ont été dotées de 400 des 2 000 CDI supplémentaires débloqués en 2013, et d’un tiers des 788 conseillers dédiés à l’accompagnement intensif des jeunes déployés en 2015. Un objectif d’accès des demandeurs d’emploi des quartiers est fixé et suivi pour chaque dispositif : emplois d’avenir et garantie jeunes (20 %), CUI (13 %). Nous avons permis que le droit commun s’impose dans les quartiers.
« Nous avons besoin aujourd’hui d’une mobilisation de l’ensemble de la société et d’abord des entreprises qui doivent changer leur regard sur ces territoires. »
Mais au-delà des dispositifs spécifiques d’accompagnement, au-delà des moyens que pourra mettre en œuvre l’État, nous avons besoin aujourd’hui d’une mobilisation de l’ensemble de la société, et d’abord des entreprises qui doivent changer leur regard sur ces territoires. Les grandes entreprises l’ont aujourd’hui compris, ce mouvement doit maintenant toucher l’ensemble du monde économique. Je pense notamment à l’artisanat qui est actuellement confronté à un problème de main-d’œuvre et de transmission de belles entreprises et qui ne peut ignorer le vivier que constituent aujourd’hui les quartiers.
Lire aussi : La politique de la ville ne peut pas tenir des promesses intenables
La discrimination raciale à l’embauche est désormais avérée. Songez-vous à mettre en œuvre un dispositif rapidement ?
La discrimination à l’embauche est un fait, elle se fait notamment sur la couleur de peau, mais aussi à l’adresse, la religion ou encore sur la base du nom de famille. Elle est un réel fléau dans nos quartiers, car elle mine profondément l’idéal républicain d’égalité. Nous ne l’acceptons pas. Le gouvernement a lancé une grande campagne de testing et la campagne nationale de lutte contre les discriminations pour permettre une réelle prise de conscience de la société dans son ensemble.
Mais nous avons aussi besoin que le monde économique participe davantage à ce mouvement. De nombreuses entreprises, grandes et petites, en ont pris conscience et s’engagent avec nous dans des actions concrètes dans le cadre de la charte Entreprises & quartiers : accueil de stagiaires de 3e et d’alternants, parrainage de demandeurs d’emploi ou d’entrepreneurs…
Lire aussi : Il n'existe pas d'arsenal juridique contre la discrimination raciale au travail
Vous écrivez : « Oui, pour les enfants, pour les habitants de nos quartiers, les chemins de la réussite sont plus sinueux, plus difficiles ». La réussite éducative existe pourtant depuis des années. A-t-elle échoué ?
Il ne faut pas, de mon point de vue, lier les deux. Lorsque je dis que le chemin de la réussite sera plus sinueux pour les enfants des quartiers, je ne fais pas le constat d’un échec de la politique de réussite éducative, je ne fais qu’objectiver le poids de déterminants sociologiques parfaitement décrits par ailleurs dans le dernier rapport de l’ONPV.
Pour autant, tout comme sur les questions d’emplois, ce n’est pas parce que la réalité est plus dure qu’elle est insurmontable et, là encore, la République doit être plus forte, plus présente pour accompagner au mieux, ceux qui ont le moins. C’est ce que nous faisons avec le ministère de l’Éducation nationale, en renforçant dans les établissements accueillant les enfants des quartiers les moyens pédagogiques. C’est ce que je fais, avec les partenaires de l’éducation, en soutenant dans chaque collège classé REP+ un programme de réussite éducative pour accompagner les plus fragiles et leurs familles. Aujourd’hui, ce sont 100 000 enfants qui sont quotidiennement accompagnés grâce au dispositif. La République est incarnée en premier lieu dans l’école, c’est pourquoi nous lançons un plan de rénovation de l’école pour avoir des écoles belles et connectées.
Les Français pensent que la politique de la ville coûte très cher, alors que c’est loin d’être le cas. Comment faire comprendre aux Français que le redressement des quartiers prioritaires impactera positivement sur l’ensemble de l’économie française ?
Au-delà des raccourcis, il faut savoir en revenir aux chiffres. La politique de la ville, c’est chaque année environ 380 millions d’euros pour financer le programme de réussite éducative (PRE), aider les associations de proximité, soutenir les projets des habitants et des collectivités. C’est un budget important mais qu’on le compare à d’autres politiques vis-à-vis d’autres territoires pour remettre les choses en perspectives ! Ensuite, je ne souscris pas à un discours qui voudrait opposer les uns aux autres, les tours aux pavillons, les quartiers aux campagnes, ceux qui ont moins à ceux qui ont un peu.
« La politique de la ville, c’est chaque année environ 380 millions d’euros pour financer le programme de réussite éducative. »
Certains ont un intérêt politique à entretenir ces divisions, mais le sens de l’action que mène le gouvernement, c’est de mener une politique qui fasse de nos quartiers populaires des quartiers à part entière de nos villes et de nos agglomérations, une politique qui rassemble les habitants des territoires. Notre pays est aujourd’hui dans une phase de transition économique et je crois qu’il ne peut se passer du vivier que constituent aujourd’hui les habitants des quartiers populaires qui portent en eux, je le constate chaque jour dans mes visites, cette énergie, cette soif de faire, d’aller vers l’avenir. Notre jeunesse des quartiers porte en elle une manière d’aborder les problématiques tout à fait novatrices, qui parfois fait vaciller nos certitudes, mais sans laquelle, nous n’arriverons pas à nous projeter dans ce nouveau monde.
Hélène Geoffroy est secrétaire d’État à la Politique de la ville. Née en Guadeloupe, de parents fonctionnaires, elle a construit sa carrière politique à Vaulx-en-Velin, en région lyonnaise : adjointe au maire (2001), conseillère générale (2004), députée (2012) et secrétaire d’État à la Ville (février 2016), en remplacement de Myriam El Khomri.