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Il faut garder une image de ce « Monsieur ». Lors des émeutes urbaines de 2005, alors que les quartiers s’embrasaient, que la France, comme l’aurait dit gravement Roger Gicquel, avait peur, Claude Dilain, socialiste, alors maire de Clichy-sous-Bois, épousait le rythme des évènements. Dans la rue avec les femmes héroïques des cités pour contenir la colère des jeunes. Auprès des plus paumés, des plus pauvres, des victimes de la relégation sociale, lui, le pédiatre pendant plus de trente ans de ces gamins qu’il avait vus naître, et sombrer pour certains.
Le 3 mars, un accident cardio-vasculaire a eu raison de sa ténacité. Il n’avait que 66 ans. Claude Dilain, devenu, depuis, sénateur et président du conseil d’administration de l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat (Anah), n’était pas n’importe quel élu. Le sens républicain, il l’avait chevillé au corps. Il appartient à ce groupe d’élus, comme son ami UMP Étienne Pinte, ex-maire et député de Versailles, que le destin malheureux des gens indigne toujours. Toujours présent à la tribune des bilans parlementaires du Dalo ou des lois sur le logement, lui qui vit, sur sa commune, des copropriétés dégradées s’effondrer sans pouvoir agir, lui qui mit en évidence l’impuissance publique face aux marchands de sommeil, n’avait de cesse de dénoncer les relâchements coupables de l’État, qu’il soit de droite comme de gauche.
Clichy-sous-Bois pleure
De nombreux hommes politiques ont rendu hommage à Claude Dilain, jusqu'au sommet de l'État, François Hollande saluant son « combat exemplaire pour les droits des habitants des quartiers ». Le Premier ministre Manuel Valls en a fait de même, saluant l’élu « exemplaire, qui aura marqué sa ville de Clichy-sous-Bois, la Seine-Saint-Denis et la République ».
Pédiatre dans cette banlieue pauvre du nord-est de Paris de 1978 à 2013, Claude Dilain se retrouvait dans l’identification de porte-voix des habitants des quartiers populaires, rôle qu'il a définitivement endossé lors des émeutes urbaines en 2005. On se souvient, bien sûr, de la mort par électrocution de deux adolescents à Clichy-sous-Bois, dans un transformateur où ils s'étaient réfugiés après une course-poursuite avec des policiers, décès qui avaient été le déclencheur de plusieurs semaines d'émeutes dans les banlieues. Hasard du calendrier, le procès des deux policiers poursuivis pour ces faits doit se tenir du 16 au 20 mars devant le tribunal correctionnel de Rennes où il a été dépaysé.
Pourfendeur de l’impuissance publique
Les caméras du monde entier s’étaient alors braquées sur Clichy-sous-Bois, symbole de cette République malade, de cet apartheid territorial dont parle Manuel Valls. Claude Dilain n’avait eu de cesse d'interpeller les pouvoirs publics sur la détresse des quartiers populaires, oubliés des politiques publiques. En 2010, dans une tribune publiée par Le Monde, il avait dit sa « honte » d’être élu de la République, après une visite organisée pour une délégation de parlementaires dans sa ville, confrontée ainsi à la misère à seulement 15 kilomètres de Paris : « La politique de la ville, si elle n'est pas défendue au plus haut de l'État [...] ne peut résoudre les problèmes des banlieues les plus difficiles », écrivait-il alors.
Élu de convictions
Au cœur d’une République malade, sa cohérence d’élu engagé était réconfortante. Ayant grandi à la cité des Francs-Moisins à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), Claude Dilain avait fait son entrée au Sénat en 2011, où il était membre de la commission des affaires sociales. À la chambre haute, Claude Dilain avait été l'un des rapporteurs de la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur). Il avait aussi été à l'initiative en 2012 d'un appel contre le cumul des mandats électifs, ayant lui-même démissionné de son mandat de maire en arrivant au Sénat. Claude Dilain était également président du conseil d'administration de l'Agence nationale de l'habitat.
Un « anti-House of cards »
Claude Dilain était l’antithèse de House of cards, cette série américaine qui décrit les perversités mortifères du système politique. Il incarnait l’idéal d’une politique qui avance à partir des idées et non des multiples truanderies qui tracent le sillon improbable de certains élus. Il représentait, au sens pur du terme, une forme d’exemplarité républicaine, celle qui ne se laisse pas adoucir par les ors de la distinction parlementaire, celle qui ne dévie pas devant les vents tournoyants de l’actualité, celle dont les convictions sont par essence non négociables, celle qui pousse encore certains jeunes élus à y croire, à s’engager en politique pour faire refluer la brutalité sociale.
La mort de Claude Dilain laisse forcément un grand vide, parce que cet élu que nous avons eu l’occasion d’interroger régulièrement occupait un espace qui n’était pas de simple monstration. L’hommage de la République doit être à la hauteur de cet homme discret et pugnace qui croyait tellement en elle.