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Brigitte Bourguignon
Née le 21 mai 1959 à Boulogne-sur-Mer, Brigitte Bourguignon a été élue députée du Pas-de-Calais en 2012 dans la sixième circonscription. Auparavant, elle fut adjointe au maire de la ville de Boulogne-sur-Mer.
twitter : @BourguignonBrig
Où en êtes-vous de votre mission visant à élaborer un plan d’action pour la revalorisation du travail social ?
Au début de l’année 2015, un an après l’annonce du plan de lutte contre la pauvreté, les présidents des cinq groupes de travail thématiques en charge de la synthèse des travaux des assises régionales du travail social ont remis leurs conclusions à Marisol Touraine. À la fin du mois de mars, la ministre m’a nommée comme parlementaire en mission chargée « de conduire une concertation spécifique sur les évolutions possibles de l’architecture des diplômes avec les représentants des salariés et les fédérations d’employeurs », pour reprendre les propres termes de la lettre de mission. Au cours de la concertation, les travaux de la commission professionnelle consultative sur l’architecture des diplômes ont été suspendus parce qu’un certain nombre d’incompréhensions ont suscité des crispations du côté des syndicats.
Quelle est la nature de ces crispations ?
Plusieurs professionnels ou syndicats ont mal interprété le principe de cette refonte, estimant que les conclusions des assises les plaçaient devant un fait accompli. Le ministère a donc souhaité temporiser en me demandant de rencontrer tous les acteurs pour évacuer les malentendus.
Plusieurs professionnels ou syndicats ont mal interprété le principe de cette refonte, estimant que les conclusions des assises les plaçaient devant un fait accompli.
La mission que je mène actuellement ne relève pas seulement de la seule question de l’évolution des diplômes. Marisol Touraine m’a demandé de lister les besoins et contraintes du travail social du point de vue des personnes concernées, des travailleurs sociaux et des employeurs publics ou privés. Je porte aussi une attention particulière sur le métier d’éducateur de jeunes enfants, ainsi que sur la fonction d’encadrement et sur les fonctions expertes. Il s’agira alors de proposer les grandes lignes d’une refonte du travail social. Est-il normal que quatorze diplômes soient délivrés en France dans le secteur du travail social ? Est-il normal que certains de ces diplômes ne correspondent pas vraiment au métier que vous exercez ? D’autres pays européens, comme la Belgique, l’Espagne ou l’Italie, pourraient nous servir de modèles puisque trois diplômes seulement couvrent les domaines de l’éducation spécialisée, de l’aide sociale à l’enfance et de l’éducation jeune enfant.
Pouvez-vous nous dévoiler les grandes lignes de votre futur rapport ?
Permettez-moi d’en laisser la primeur à madame la ministre… Je rendrai mes préconisations fin juin. Je revois les personnes des états généraux et je leur demande d’envisager avec moi d’autres conclusions, en les invitant, pour certains, à sortir d’une vision corporatiste, que le morcellement du travail social a d’ailleurs ensemencé, d’une certaine manière. Mais nous avons aussi commis la maladresse de ne pas accompagner la publication des conclusions des états généraux, en laissant donc supposer qu’elles étaient définitives. Ce n’est pas le cas.
Qu’est-ce qui bloque, concrètement ?
Sur la refonte des diplômes, tout le monde est d’accord sur le principe d’un tronc commun. Reste à poser le curseur du pourcentage de formations communes entre les métiers du social. Il n’est pas bon que les mentalités soient si cloisonnées dans le social. On perd de ce fait la dimension globale et transversale du travail social. Le contexte de la petite enfance est éloquent : certains ne traitent que de la petite enfance, d’autres de l’ado, puis des jeunes adultes… A-t-on intérêt, au moins dans le cadre de la formation, à réduire autant le champ des futurs professionnels ? C’est une richesse de disposer d’une telle diversité de métiers. Pour autant, cette multiplicité n’aide pas à la clarification des tâches de chacun.
Cette hétérogénéité des métiers et de leur fonctionnement n’est pas une bonne chose.
Quant aux usagers, on peut imaginer qu’ils ont du mal à décrypter le mode de fonctionnement. Parfois, pour une seule famille, plusieurs éducateurs interviennent, de la politique de la ville à la conseillère économique et sociale, en passant par le psychologue… Or, l’assistance sociale a la possibilité de se retrancher derrière le secret professionnel pendant que l’éducateur spécialisé est soumis au principe du secret partagé. Cette hétérogénéité des métiers et de leur fonctionnement n’est pas une bonne chose.
Et au milieu de cet ensemble pointe le spectre de la réforme territoriale, qui rajoute, on peut le supposer, à la difficulté…
J’essaie, autant que faire se peut, de me détacher de l’horizon des réformes en cours. Mais il est évident que nous devons améliorer les passerelles avec l’enseignement supérieur, qui produit des analyses souvent pertinentes sur le champ social sans que ce travail soit replacé dans un contexte concret. Certains IRTS (Ndlr, instituts régionaux du travail social) ont déjà intégré cette démarche.
Le travail social doit être mieux organisé sur le terrain. Les attentats de Charlie Hebdo ont pointé une nouvelle fois des failles monstrueuses en matière de cohésion sociale. Les travailleurs sociaux ont-ils le sentiment de défier des moulins à vent ?
Dans ce genre de situation, l’école et l’espace public qui se délitent sont montrés du doigt. C’est injuste parce que les travailleurs sociaux ont le sentiment que leur filière n’est pas valorisée. Nous débattons actuellement à l’Assemblée nationale autour du projet de loi de protection sur la petite enfance. Il s’agit là aussi de s’interroger de nouveau sur comment les professionnels interviennent dans ce vaste champ social. Nous devons répondre à la question de savoir comment ces métiers évoluent et quelle est la bonne échelle territoriale.