Imagina Madrid, l’urbanisme par l’art

Marjolaine Koch

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Imagina Madrid, l’urbanisme par l’art

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© Diario de Madrid

La capitale espagnole est vaste et comprend, dans ses quartiers périphériques, quelques places vacantes laissées à l’abandon : pas d’aménagement, pas de projet urbanistique. On peut donc y envisager l’univers des possibles, et c’est ce qu’a fait la municipalité de Madrid en 2017, en lançant « Imagina Madrid ».

Article publié le 23 juin 2020

En se servant de neuf places ou rues délaissées, la ville a choisi d’expérimenter de nouveaux modes de conception urbaine. L’objectif : transformer ces sites, puis à plus long terme la ville, par des expériences urbaines et sociales. Ce projet a vu le jour dans la continuité de la création de tiers-lieux d’innovations sociales, les « Laboratorios ciudadanos », qui ont investi des friches de la capitale et ses périphéries à partir de 2014. Ces laboratoires ont permis à la municipalité d’expérimenter l’approche collaborative qui mêle différents acteurs concernés par un territoire, riverains, associatifs, privés et publics.

Selon les sites, des panels d’acteurs se sont constitués, créant des espaces collaboratifs représentatifs du quartier où se trouvait la friche investie. Des codes et spécificités sont nés de cette démarche, uniques pour chaque lieu. Dans cette mouvance, des collectifs ont vu le jour, comme les graffeurs de Boa Mistura ou les designers d’up-cycling Basurama.

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Opérer un changement par l’art

Lorsque Imagina Madrid est lancé en 2017, ce ne sont pas des friches qui sont visées. Cette fois-ci, neuf places et rues ont été listées et désignées pour opérer un changement par l’art. L’opération est coordonnée par Intermediae, un groupe expérimental attaché au département des arts, des sports et du tourisme de la ville, dédié depuis 2007 à la création contemporaine au sein de la capitale. Forte de ses 10 ans d’expérience, Intermediae a apporté un cadre structuré à cette nouvelle expérimentation, meilleur moyen de permettre aux projets d’éclore dans les meilleures circonstances, et de développer le potentiel de ces neuf sites nécessitant un nouveau souffle grâce à l’expérimentation urbaine et sociale.

L’idée est de réactiver ces lieux sans intervention lourde et urbanistique sur les bâtiments

L’objectif est d’offrir aux riverains la possibilité de se réapproprier les lieux et d’amorcer de nouveaux usages. Plusieurs acteurs ont été appelés à se joindre au lancement des neuf projets : architectes, urbanistes, artistes contemporains, associations locales, citoyens et toute entité publique ou privée susceptible d’apporter des retours d’expérience, des savoirs ou usages sur le terrain.

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Ensemble, dans un premier temps, les collectifs, associations, riverains intéressés sont appelés à donner leur vision du lieu, raconter son histoire et ce qu’il leur évoque. C’est sur cette base que naissent des projets, en s’appropriant le récit des participants. Après plusieurs mois de concertation, la phase d’élaboration des projets est entamée dans le courant 2018. L’idée est de réactiver ces lieux sans intervention lourde et urbanistique sur les bâtiments. L’approche est tactique, artistique et éphémère, dans le but de montrer aux habitants qu’il est possible de se réapproprier les lieux et de libérer leurs envies, leur imagination quant au devenir du lieu.

Un programme en cinq points
• Participation : nouvelles formes d’intervention dans la ville, où dialoguent les savoirs des riverains et les connaissances des experts ;
• Multidisciplinarité : transformations de la ville imaginées depuis les pratiques artistiques contemporaines, conjointement aux connaissances en architecture et urbanisme social ;
• Coresponsabilité : les projets explorent de nouvelles formes de gestion partagée entre l’administration et les citoyens, qui assurent leur viabilité ;
• Collaboration : processus qui connecte parfois les différents secteurs d’intervention de la municipalité, mais aussi des entités publiques et privées qui portent un regard nouveau sur la ville ;
• « Dé-centralité » : interventions dans les districts périphériques qui soutiennent un modèle de ville polycentrique et rééquilibré.

« Tables de co-conception »

Dans ce but, un appel à propositions professionnelles est ensuite ouvert. Les neuf sites ont cumulé un total de 175 propositions étudiées par un jury international. Ce jury n’a cependant pas le dernier mot : il se contente d’étudier la faisabilité et de retenir les projets réalistes qui seront ensuite soumis aux participants de chacun des neuf sites. La dernière étape se déroulait autour de « tables de co-conception » où les participants pouvaient étudier, conjointement aux artistes, la mise en pratique effective des idées.

Le principe d’économie circulaire a été appliqué : tout aménagement a été fabriqué avec des palettes ou du matériel de récupération

Concrètement, ces quartiers ont vu émerger des ateliers de cuisine participatifs mettant en valeur les cultures des habitants, des récits personnels diffusés dans d’anciennes cabines téléphoniques, des activités sensorielles pour les enfants, des mobiliers interactifs…

L’un des quartiers situé au sud-ouest de Madrid, Solar de Opañel, a par exemple enfin pu faire émerger une idée régulièrement revendiquée par les riverains : aménager un centre culturel. Une église locale s’était approprié un terrain municipal délaissé, situé entre plusieurs barres d’immeubles. Des associations locales, régulièrement, demandaient restitution pour créer une médiathèque sur ce site. Avec le projet Imagina Madrid, c’est finalement un « Jardin des livres nomades » qui a vu le jour : des aménagements tactiques, fabriqués par les participants, ont été conçus. Des aires de jeux, des potagers en carré et, bien sûr, des points de lecture ont été aménagés. Pour cette conception, le principe d’économie circulaire a été appliqué : tout aménagement a été fabriqué avec des palettes ou du matériel de récupération. La place est désormais une zone de rencontre que toutes les générations investissent pour jouer, lire ou jardiner.

Imagina Madrid est finalement la concrétisation de l’émergence d’un nouvel urbanisme, qui part de la base et d’une consultation plus large pour investir des lieux atypiques et infuser peu à peu au sein d’un quartier.

Difficile sortie de crise immobilière
En 2008, l’Espagne subissait de plein fouet l’explosion d’une bulle immobilière. Cette crise était consécutive non seulement à la crise économique générale, mais à une loi du sol émise par le gouvernement espagnol quelques années auparavant, permettant d’augmenter le nombre de terrains urbanisables dans le but de faire baisser la pression immobilière. Mais dans les faits, c’est l’exact inverse qui a eu lieu : entre 1995 et 2007, l’Institut national et municipal de statistiques a estimé à 202 % la hausse du prix des logements dans la capitale. Avant l’effondrement de 2008, les biens étaient surestimés de 20 %, selon le FMI. Des pâtés de maisons entiers ont été mis à la vente en quelques mois et des villes nouvelles bordant la capitale, comme Seseña, construite en 2003 au sud de Madrid, sont devenues des villes fantômes. 98 % des Espagnols ayant contracté un prêt avaient opté pour un crédit immobilier à taux variable, provoquant cette débandade. L’épisode a durablement impacté les finances de la capitale espagnole qui depuis, peine à entretenir certains quartiers. Ce manque de moyens a incité l’ex-maire de Madrid, Manuela Carmena, à envisager de nouveaux procédés d’urbanisation pour que les riverains participent pleinement à la relance de certains quartiers, sans passer par des aménagements coûteux.

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