vivre_ensemble
© Sigal Suhler Moran
Ils venaient de Bamako, Paris, Washington, Johannesburg ou Saint-Pétersbourg. Vingt-trois élus, dont Anne Hidalgo, Jean-Paul Huchon pour la région Ile-de-France et Jean Rottner pour Mulhouse, ont partagé leurs expériences sur la question du vivre-ensemble et écouté des conférenciers partager leur savoir sur la question. C’était le premier sommet du genre, une rencontre organisée par le maire de Montréal suite aux attentats de janvier en France.
Entre ouverture et vigilance
Lors de son discours d’ouverture, Denis Coderre a mis l’accent sur la nécessité, pour les villes, de trouver « l’équilibre entre l’ouverture et la vigilance » face à la montée du radicalisme. Le but de la rencontre était de donner aux maires un lieu où ils peuvent « échanger leurs meilleures pratiques et apprendre de [leurs] erreurs ». La presse, elle, n’était invitée qu’aux discours d’ouverture et de clôture, le huis clos ayant été choisi par les élus.
Pourquoi des débats à huis clos ?
Le sommet, qui réunissait 23 édiles de grandes métropoles, était entouré d’un important dispositif de sécurité. Le choix a été fait de réserver les débats aux seuls participants pour plus de sérénité. Des connaisseurs de la situation canadienne remarquaient surtout que la question du vivre-ensemble était actuellement sensible, à l’heure où une partie des structures communautaires construites après la Révolution tranquille sont peu à peu démantelées. Y aurait-il une gêne à aborder ce sujet en public ? Le risque, quand seule une grande déclaration bien-pensante est offerte à la presse, est d’avoir assisté à une opération de réhabilitation orchestrée par le maire de Montréal.
La ville de Paris, de son côté, estime que le huis clos a été favorable à la sérénité des débats, arguant que s’ils veulent approfondir le sujet, les maires ne peuvent pas être dans la présentation de résultats. Cette réponse pose une question quant au rôle du politique : a-t-il encore le droit de montrer qu’il tâtonne, qu’il chemine dans sa réflexion ? C’est se fourvoyer et se couper de la réalité du terrain, de croire que les électeurs attendent des solutions clés en main. Eux aussi ont des idées à partager : le vivre-ensemble passe aussi par là…
Ces discours étaient l’occasion d’entendre différents élus exposer les voies qui leur semblaient les plus à même d’améliorer le vivre-ensemble : lutte contre la pauvreté et accès à des logements pour Muriel Bowser, mairesse de Washington, éducation et lutte contre les inégalités pour Anne Hidalgo, mais aussi ne pas hésiter, selon le maire de Dakar, Khalifa Ababacar Sall, à travailler sur une forme de profilage pour anticiper et prévenir la radicalisation. Ouverture et vigilance, inclusion sociale et prévention étaient les maîtres mots.
Une déclaration commune en forme d’engagement
La ville de Paris, qui a participé à ces rencontres, a pu constater que toutes les villes du monde, quels que soient l’hémisphère ou le continent, se trouvent confrontées à des défis communs. De Beyrouth à Monterrey, au Mexique, sécurité et inclusion sociale et économique sont au cœur des préoccupations de tous les maires.
Sécurité et inclusion sociale et économique sont au cœur des préoccupations de tous les maires.
Aussi, le sommet s’est conclu sur la signature d’une déclaration finale où les maires ont mis en avant la nécessité de promouvoir la diversité, le bien-être pour tous, de partager leurs bonnes pratiques, de s’atteler à comprendre plus finement les phénomènes reliés au vivre-ensemble et de prendre en compte les pratiques urbaines « innovantes, durables, favorisant l’inclusion sociale et économique, les espaces communs sûrs, l’accès à l’éducation sous toutes ses formes ».
Outre les vœux pieux de cette déclaration, on retiendra surtout la création d’un Observatoire du vivre-ensemble, dont les manettes seront tenues par le diplomate canadien Raymond Chrétien. Les villes pourront adhérer à cet observatoire sur une base volontaire. Ce sera le lieu d’échanges de bonnes pratiques, mais aussi de travail avec les universités et centres de recherche des villes membres. L’objectif est de « documenter les nouveaux défis de même que les pratiques et initiatives innovantes du vivre-ensemble à l’échelle mondiale ».
Les trois grands enjeux du vivre-ensemble
Marie-Hélène Bacqué, sociologue, urbaniste et professeure à l’université Paris-Ouest Nanterre-La Défense, est intervenue lors de ces rencontres en tant que spécialiste du vivre-ensemble, des questions identitaires et de l’inclusion. Elle nous livre son analyse sur les débats.
« Les grandes villes rassemblent des populations d’horizons divers. C’est une richesse qui pose la question de la société que l’on veut construire. Les tensions sociales qui s’expriment aujourd’hui appellent non pas uniquement des réponses sécuritaires comme on l’entend régulièrement, mais à la mise en place de formes de développement social — qui mettent la question sociale au centre.
Par exemple à Montréal, des espaces publics de débat comme les tables de quartier ont été initiés suite aux mouvements sociaux : ce sont des lieux où peuvent se construire des projets collectifs, une parole habitante. On tente d’expérimenter ces tables de quartier en France, actuellement, mais avec beaucoup moins de moyens et une crainte de l’initiative citoyenne.
La question du vivre-ensemble pose trois grands enjeux :
- les enjeux de justice sociale, car il n’y a pas de vivre-ensemble dans une société profondément inégalitaire ;
- les enjeux de reconnaissance. Pour vivre ensemble il faut être reconnu pour ce que l’on est individuellement et collectivement. C’est cette question qui achoppe aujourd’hui en France avec la montée du racisme et de l’islamophobie ;
- enfin l’enjeu de démocratie : que la ville soit gérée par l’ensemble des citoyens, codécidée. Nous en sommes encore très loin.
« Les populations sont de plus en plus mobiles, leurs histoires et leurs cultures diverses et en même temps mêlées dans des expériences communes. Je travaille en ce moment sur le rapport qu’entretiennent les jeunes des quartiers populaires à leur territoire et à la société, et je vois à quel point leurs références sont multiples. Elles renvoient à des parcours d’immigration, à des références culturelles internationalisées mais aussi à des ancrages très locaux : leur logique d’ouverture est très importante, à mille lieues des logiques de fermeture qu’on leur prête. Il est néfaste de les enfermer dans des identités caricaturées et stigmatisantes.
Le « faire-ville », la construction de communs passe par le droit à la ville et par la reconnaissance. »
Situé pour les cinq prochaines années à Montréal, l’observatoire se veut le résultat concret de ces deux jours de rencontre. Quant au sommet, il devrait avoir lieu tous les deux ans dorénavant : rendez-vous est donné en 2017 à Casablanca.