Ingénierie territoriale : mais que font les départements ?

Eric Landot

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Ingénierie territoriale : mais que font les départements ?

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© Andrew Rich - istock

À l’heure où certains veulent leur peau, les départements ont peut-être trouvé dans l’ingénierie territoriale une nouvelle raison de (sur)vivre. Et ils en ont les moyens juridiques, au moins, que ce soit par les Atesat ou par les ATD. Approches comparées des unes et des autres, qui, toutes, montent en puissance.

En aidant les territoires, les départements gaspillent-ils les derniers deniers qui leur restent ? Pas sûr, car, d’une part, l’institution républicaine se cherche un destin et, d’autre part, tant qu’à avoir des effectifs et des compétences, autant les valoriser (les rentabiliser parfois) en termes de RH…

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Reste qu’à ce stade, les montages juridiques possibles demeurent limités, pour de complexes raisons de droit européen et français, qui interrogent beaucoup les Atesat à la veille de l’adoption d’un décret relatif à leurs modalités d’intervention.

Une étude de Sémaphores relève que la diversité l’emporte en ce domaine, avec une montée en puissance du phénomène :

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Ensuite, l’intervention d’un département s’impose au cas par cas avec doigté, selon les besoins et surtout selon l’offre de chaque territoire, selon le degré d’intégration intercommunale, selon l’état du recours au secteur privé…

TÉMOIGNAGES

Entretien croisé avec Karim Kemiche, directeur de la MMD 54, agence technique départementale (EPA) de Meurthe–et-Moselle, et Jean-Marie Martino, DGS du Département de la Haute-Loire.

• Pourquoi une ATD ?
Jean-Marie Martino : « En décembre 2015, le conseil départemental a adopté une feuille de route pour le mandat, traduisant la vision du président Jean-Pierre Marcon : un département partenaire des acteurs du territoire qui conduit une politique territoriale fondée sur la solidarité, indispensable en territoire de montagne, et sur des projets de développement innovants et créateurs de richesses. Pour y parvenir, il nous fallait utiliser les opportunités législatives. L’ATD en est une. Nos voisins du Cantal nous ont aussi démontré que leur agence était un moyen de faire des économies en développant les mutualisations. Cette dimension est indispensable pour tenir nos objectifs de gestion. »

Karim Kemiche : « L’agence a pour objectif de répondre aux demandes en ingénierie AMO (assistance à maîtrise d’ouvrage) des collectivités (communautés de communes, communes et syndicats). Celle-ci a en partie repris les missions traditionnelles de l’Atesat tout en étant plus large, notamment avec une capacité de conseil en matière d’ingénierie financière ou de fonds européens par exemple. Une agence sous statut d’établissement public administratif est une forme relativement souple permettant une adaptation rapide aux évolutions de la demande des collectivités. Cette réactivité est l’une des qualités d’une agence de ce type. »  

Quels sont les défis à relever ?
Jean-Marie Martino : « Les défis culturels sont toujours les premiers. Il faut que tout le monde se comprenne, en interne comme en externe, se sente appartenir à un même collectif de travail et partage l’idée que dans nos territoires non métropolitains le risque pour préparer l’avenir est davantage le déficit d’ingénierie que la concurrence des structures. Les consultants et avocats qui nous accompagnent ont été retenus pour créer les conditions du partenariat, mais aussi permettre de définir l’offre de service pertinente au regard des besoins et de nos moyens. C’est essentiel de programmer la montée en puissance, de prendre le temps de bien construire les fondamentaux et de mobiliser les équipes des services et de nos satellites. »  

Karim Kemiche : « La principale difficulté de notre modèle tient à la mise à disposition partielle des agents départementaux assurant les missions d’AMO. Le management des équipes est rendu complexe par leur positionnement dual (missions pour l’agence tout en assurant leurs missions pour le compte du département). Cette difficulté est aujourd’hui au centre des discussions avec le département en vue de l’évolution de l’ATD. L’impact de la loi Notre est à prendre en compte dans cette perspective et l’émergence d’une nouvelle assistance technique dévolue aux départements dans les domaines voirie, aménagement et habitat. Difficile à ce stade de savoir avec précision quel sera le périmètre de cette assistance technique dans la mesure où le décret d’application de la loi sur cette question n’est prévu que fin 2016. »  

Quels sont les deux principaux enjeux de l’ATD ?
Jean-Marie Martino : « Le projet d’ATD est le fruit d’une étroite collaboration avec l’État qui en soutient financièrement l’étude et qui a accepté que la future agence soit cheville ouvrière de projets partenariaux inscrits au volet territorial du CPER, en particulier sur le foncier économique et la revitalisation des centres-bourgs. Nous devons être à la hauteur de cette confiance et intégrer dans nos processus internes l’association étroite des services de la préfecture et de la DDT. Ensuite, l’ATD doit correspondre aux réalités de l’époque faites de petits projets dans nos communes de moins de 1 000 habitants comme du déploiement des usages numériques dans tous les secteurs clés : l’éducation, les services aux publics, le tourisme… Solidarité territoriale et développement : ce diptyque sera donc bien structurant. Nous avons un enjeu de modernisation de nos pratiques de service public, le service rendu moyennant contribution des tiers est un levier apprécié par mes collègues DGS dans les départements où une ATD existe. » 

Est-ce gratuit ?
Karim Kemiche : « Les phases préliminaires sont entièrement gratuites et les prestations d’AMO sont payantes pour les membres (« in house » à prix coûtant). Le montant de l’adhésion à l’agence est volontairement faible afin d’éviter toute difficulté d’accès. Le montant s’échelonne de 50 à 200 euros maximum en fonction de la population. »

Quels conseils prodiguer aux départements actuellement en réflexion ?
Jean-Marie Martino « Avoir un portage politique fort et inclure l’agence dans un programme cohérent d’accompagnement des collectivités. Une agence est un outil, non une politique. Ensuite, définir une organisation : nous avons créé un comité de pilotage interne à la collectivité avec des élus départementaux très impliqués sur les territoires et les membres du comité de direction. Un chef de projet a été désigné pour accompagner la création de l’agence qui depuis longtemps porte la réflexion sur l’ingénierie territoriale. Nous avons également conclu un partenariat avec l’AMF pour la phase étude et le président réunit tous les deux mois les principaux élus. Ceci est basique mais incontournable. Créer une ATD est un véritable projet stratégique qui demande l’engagement de tous. » 

Karim Kemiche : « Savoir positionner avec précision la structure envisagée : il existe dans chaque département une offre d’ingénierie publique ou parapublique déjà présente qu’il s’agit d’appréhender avec justesse. Le pire étant de faire doublon, source de confusion et d’inefficacité au final ou d’être en concurrence frontale avec des organismes publics. Un minimum de coordination ou de coopération (même si cela n’est jamais naturel) est préférable à la confrontation. L’objectif étant d’offrir un accompagnement aux collectivités territoriales qui en sont démunies afin de soutenir leur développement. En Meurthe-et-Moselle, nous essayons de traduire cette volonté de coordination à travers une plateforme d’ingénierie en cours de consolidation. L’objectif de cette initiative n’est pas de créer une nouvelle structure mais dans un premier temps de recenser avec exactitude « qui fait quoi », l’expertise développée par chaque organisme et aboutir à une meilleure visibilité de cette offre par l’ensemble des collectivités locales. »

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