Pierre_pezziardi
© françois Daburon
Dans votre ouvrage, vous remettez notamment en cause le management actuel dans la fonction publique.
Oui c’est un constat, mais on ne peut s’en tenir à cela. Les managers de la fonction publique le sont parce qu’ils ont obéi et adhéré à un certain nombre de codes du système. Et ces codes ne laissent pas de marge de manœuvre, car les systèmes sont orientés sur le contrôle, la méfiance, ils conduisent à des cloisonnements. Et c’est valable pour le public comme pour le privé.
Dans notre approche, on a coutume de ne pas blâmer les gens mais plutôt de réparer le système. Pour sortir de cette espèce d’injonction paradoxale qui consiste à demander de libérer les innovations tout en faisant tourner le système, il faut s’y prendre autrement. Car libérer les innovations va perturber le fonctionnement. Notre solution, c’est d’assumer que les gens intégrés au système sont d’abord là pour le faire tourner tel qu’il est, pour imparfait qu’il soit. Nous séparons les deux espaces-temps car ils sont à la fois tous les deux légitimes et irréconciliables.
Pour sortir de cette espèce d’injonction paradoxale qui consiste à demander de libérer les innovations tout en faisant tourner le système, il faut s’y prendre autrement.
Nous avons créé ce dispositif des start-up d’État, pour faire un pas de côté et laisser la possibilité à des agents de l’intérieur de développer concrètement une idée de service public numérique. Se situer loin des règles et coutumes d’usages pour innover à l’extérieur, échouer peut-être mais, si cela fonctionne, se rapprocher des cœurs de système et devenir la manière de faire de demain.
Plusieurs applications ont déjà été développées, notamment La bonne boîte. Comment ce projet a-t-il vu le jour ?
Plutôt que de lister ce qui ne fonctionne pas et d’en tirer un schéma directeur pour demander à la structure d’agir contre elle-même, on prend le contre-pied de cette position. On invite les gens à proposer quelque chose. Et d’où parle-t-on ? De la direction générale, car si cela ne vient pas de la direction, le projet sera remis en cause par les autres services. La direction générale envoie un message qui dit en substance « vous êtes tous les témoins d’irritants pour les agents ou pour les usagers, vous avez une idée qui passe par le numérique pour le combler, vous êtes prêts à vous y investir 6 à 18 mois : venez défendre votre idée tel jour à telle heure. » Finalement, le plus dur quand on lance une démarche d’innovation radicale, c’est de réserver la salle et d’envoyer ce mail. Ensuite, vous entourez cette personne des compétences numériques qui lui manquent. Un programmeur et un coach, ça suffit. On fait de la croissance dans un second temps. C’est un dispositif extrêmement réplicable.
Le plus dur dans une démarche d’innovation radicale, c’est de réserver la salle et d’envoyer le mail. Ensuite, vous entourez cette personne des compétences numériques qui lui manquent.
Aujourd’hui, plus de la moitié des conseillers de Pôle emploi utilisent La bonne boîte, après deux ans d’existence. Il n’y a pas eu de gestion du changement ou de problème d’acquisition car l’outil est utile. Il s’est imposé naturellement car 80 % du marché de l’emploi ne passe pas par les annonces. Cet outil permet aux agents de Pôle emploi de terminer un entretien sur une note positive quand il n’y a pas d’annonce : « sur le site de La bonne boîte, telle entreprise recrute votre profil : avez-vous envoyé une candidature spontanée ? ». Maintenant, on attend avec impatience que des structures comme les plateformes d’initiatives locales s’emparent de cet outil.
« Des start-up d’État à l’État plateforme », disponible sur www.fondapol.org