Interview : Le management public est-il un management comme les autres ?

Bruno Cohen-Bacrie

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Interview : Le management public est-il un management comme les autres ?

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Rétif à la gestion du changement le management public ? Au contraire, affirment Annie Bartoli et Cécile Blatrix dans un ouvrage de référence. C’est l’essence même des organisations publiques de gérer le changement des processus et des politiques publiques. L’adaptation est leur défi permanent.

Article publié le 19 janvier 2016

Votre ouvrage ("Management dans les organisations publiques - Défis et logiques d'action") analyse les démarches managériales adaptées aux spécificités du monde public. Comment résumeriez-vous celles-ci ?

AB : Il existe de nombreuses ambiguïtés autour du concept de management, qui provoquent parfois des réticences à son usage dans le monde public. Pourtant, si l’on s’accorde à considérer qu’une démarche managériale correspond à un ensemble de processus d’organisation, d’animation et de contrôle orienté par des finalités, il est clair qu’elle peut servir des missions publiques. En effet, les démarches managériales ne vont pas a priori à l’encontre de la vocation particulière du secteur public, pour peu que l’on cherche à la respecter. Elles peuvent à l’inverse contribuer à un pilotage de l’action publique gagnant en cohérence. Pour autant, la transposition pure et simple de techniques et démarches managériales du monde marchand serait inefficace, car les finalités poursuivies sont différentes.

Les démarches managériales ne vont pas a priori à l’encontre de la vocation particulière du secteur public, pour peu que l’on cherche à la respecter.

CB : Aux premiers plans des spécificités se trouvent la nécessaire articulation entre la logique managériale et la dimension politique de l’organisation publique, ainsi que l’objectif d’une action au service de tous les citoyens. La notion d’intérêt général est en effet au cœur de l’action publique.

Vous retracez les origines du management public. Comment les décrire ?

AB : Les origines du management public sont très anciennes car, pendant très longtemps, les grandes administrations ont, en quelque sorte, fait du management sans le savoir. On doit au sociologue et historien allemand Max Weber d’avoir formalisé dès la fin du XIXe siècle des propositions d’amélioration des modes de fonctionnement, d’organisation, de commandement et de contrôle des bureaucraties administratives, à travers la définition de la bureaucratie « idéale ».

Les grandes administrations ont, en quelque sorte, fait du management sans le savoir.

Ensuite, les entités publiques, jusque-là considérées comme des instruments d’exécution de l’autorité légitime de l’État, ont été davantage perçues comme des unités organisationnelles, dans lesquelles les acteurs et les systèmes interagissent avec plus ou moins de succès. Les apports de chercheurs comme Michel Crozier à partir des années 1960 ont été de ce point de vue tout à fait déterminants pour la compréhension du fonctionnement des organisations publiques. C’est ainsi que le management public est né et s’est développé, empruntant des ressources en termes d’analyse et d’action auprès de sociologues, d’économistes, de politistes, de juristes et, bien sûr, de gestionnaires.

CB : On peut également souligner que la préoccupation de l’efficacité et de la qualité du service rendu est ancienne dans le secteur public, voire consubstantielle à l’idée de service public. Ce n’est pas l’apanage du secteur privé !

Quels sont principaux défis auxquels sont confrontées les organisations publiques ?

CB : On peut inventorier ces défis, mais difficile de dire lesquels sont « les principaux » ! Si je ne devais en citer qu’un, j’évoquerais la question de la légitimité des organisations publiques. Les représentations et les formes par lesquelles les dirigeants tendant à établir leur légitimité et celle de l’action publique ont toujours été en constante redéfinition. Elles sont aujourd’hui au cœur de cette tension entre logique managériale de recherche de performance, et préoccupation en termes d’intérêt général et de bien commun. L’action publique de demain sera légitime si elle parvient à combiner ces préoccupations potentiellement contradictoires…

La notion de « coopétition » proposée par certains auteurs, souligne la nécessité de concilier des logiques de coopération et de concurrence.

AB : On peut aussi évoquer la notion de « coopétition » proposée par certains auteurs, pour souligner la nécessité de concilier des logiques de coopération et de concurrence. Il y a aussi, sans doute, un enjeu à dissocier l’idée de management public du « Nouveau management public » auquel il est souvent associé…

Quels seraient les processus de changement ?

CB : Dans l’ouvrage, nous soulignons le fait que l’expression de « management public » elle-même peut être porteuse de changement, ne serait-ce que par les questions qu’elle soulève. Contrairement à une idée reçue, les organisations publiques ne cessent de changer, d’être réformées, modernisées, « simplifiées »… Les processus de changement sont constants ! On le voit bien à travers les réformes en cours depuis quelques années, qui reconfigurent complètement notre système politico-administratif local.

Ce qui semble important dans le pilotage du changement, c’est qu’il soit conçu et mis en œuvre comme un moyen d’atteindre une fin plus générale et partagée.

AB : Plusieurs facteurs interviennent dans les processus de changement, que nous passons en revue dans l’ouvrage. Ce qui semble important dans le pilotage du changement, c’est qu’il soit conçu et mis en œuvre comme un moyen d’atteindre une fin plus générale, explicite et, dans la mesure du possible, partagée. Cela ne peut pas être une finalité en soi.

Vous insistez sur la nécessité de « tenir compte de l’héritage institutionnel et culturel »…

AB : Les secteurs publics des pays développés se posent les mêmes questions et ont presque tous pris depuis quelques années la voie de réformes intensives et délibérées, qui présentent de nombreux traits communs : assainissement budgétaire et recherche d’efficacité ; renforcement des capacités stratégiques pour faire face aux problèmes complexes ; transparence et responsabilisation… Et pourtant l’analyse montre une mise en œuvre contrastée de réformes apparemment identiques. Cela prouve bien que le management public ne peut être conçu sans tenir compte de l’héritage institutionnel et culturel du pays concerné.

CB : On en arrive ainsi à la conclusion de l’existence d’une double spécificité du management public : au regard du management de la sphère marchande, mais aussi (et surtout ?) en fonction des logiques nationales. C’est un paradoxe supplémentaire à intégrer : celui des besoins de développement d’une approche tout à la fois spécifiquement française, et ouverte sur le monde…

Annie Bartoli est professeure de sciences de gestion à l’ISM de l’Université de Versailles–Saint-Quentin, où elle dirige le laboratoire de recherche en management (Larequoi), et responsable de programmes d’enseignement et de recherche en partenariat avec Georgetown university (Washington, DC).

Cécile Blatrix est professeure de science politique à AgroParisTech, où elle dirige l’UFR « Gestion du vivant et science politique », et pilote une formation en « Science politique, écologie et stratégies ». Elle est membre du centre européen de sociologie et de science politique (CESSP).

À lire : « Management dans les organisations publiques - Défis et logiques d’action » 4e édition, 2015.

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