German word GRUNDEINKOMMEN (basic income) written on display of pocket calculator against cash money on table
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Ce n’est pas la première expérimentation du genre menée en Allemagne. Il y a six ans déjà, l’association Mein Grundeinkommen, qui milite pour l’instauration d’un revenu de base, testait les effets d’un tel revenu sur 650 volontaires. Durant une année, chacun d’entre eux avait reçu 1 000 euros par mois, sans conditions de ressources. Il résultait de cette première expérience – menée certes à petite échelle –, que les bénéficiaires menaient une vie plus saine, avec plus de sociabilité ; qu’ils avaient procédé à des choix plus judicieux pour améliorer leur qualité de vie et ce, même s’ils gagnaient bien leur vie avant de recevoir ce revenu de base.
L’étude va chercher à déterminer si l’être humain a besoin d’être motivé pour travailler
Cette fois-ci, le test n’est pas mené directement par l’association de défense du revenu universel elle-même. Elle se charge « juste » de la collecte des fonds : plus de 140 000 donateurs privés contribuent au financement de la recherche, qui, elle, est confiée à l’institut allemand de recherche économique DIW Berlin. En août dernier, l’institut a lancé un appel pour participer à l’étude. En quelques semaines, 2 millions de personnes se sont inscrites. Seules 1 500 ont été retenues, parmi lesquelles 120 toucheront pendant trois ans un montant mensuel de 1 200 euros en plus de leur salaire habituel.
1 200 euros, le seuil de pauvreté allemand
La somme de 1200 euros n’a pas été choisie au hasard : elle est relativement supérieure au seuil de pauvreté allemand, fixé à 1 135,67 euros. Trois conditions ont été posées au départ de cette étude :
- que le revenu universel crée des effets individuels et collectifs positifs ;
- qu’il soit viable sur le plan financier ;
- qu’il ne réduise pas l’incitation à offrir un salaire décent.
Les chercheurs ont constitué un panel de 20 000 volontaires parfaitement représentatifs de la population allemande
L’objectif de l’opération est de vérifier l’impact d’un revenu de base sur la vie des personnes pour déterminer si cette proposition, qui revient régulièrement dans les débats politiques, procure effectivement une amélioration aux personnes bénéficiaires. Autrement dit, l’étude va chercher à déterminer si l’être humain a besoin d’être motivé pour travailler, ou s’il parvient à s’organiser et atteindre des objectifs par lui-même, lorsque les moyens financiers suivent. Outre le DIW Berlin et l’association Mein Grundeinkommen, des scientifiques de l’université de Cologne et de l’institut Max-Planck de recherche sur le bien commun, participent à l’étude, qui se déroulera en trois temps.
Un échantillon parfaitement représentatif
La phase 1 est une étude randomisée contrôlée, les chercheurs estimant qu’il s’agit du moyen le plus fiable de s’assurer qu’il existe bien une relation de cause à effet entre l’évolution constatée et les moyens alloués. Sur les 2 millions de personnes qui se sont portées candidates, à partir des données collectées, les chercheurs ont constitué un panel de 20 000 volontaires parfaitement représentatifs de la population allemande. Ce premier groupe a été invité à remplir un second questionnaire nommé « étude de base ».
Des échantillons de cheveux vont être prélevés sur certains volontaires pour mesurer le taux d’hormone du stress
À partir de ces données recueillies, 120 groupes de personnes ont été constitués : chaque groupe se veut homogène, les caractéristiques des personnes étant très similaires (revenus, catégorie socioprofessionnelle…). Une seule personne est sélectionnée dans chacun de ces 120 groupes, constituant ainsi un panel de 120 « heureux élus », recevant 1 200 euros par mois. Ceux-là ont commencé à recevoir leurs premiers émoluments dès ce printemps, et pour les trois années à venir. Chacun de ces participants se voit accolé à plusieurs « jumeaux statistiques », des personnes aux caractéristiques similaires, auxquelles ils pourront être comparés tout au long de l’étude. 1 380 « jumeaux statistiques » ont été sélectionnés et forment ainsi un groupe de contrôle.
Une seule contrainte : répondre aux questionnaires
Sur cette période, les 120 volontaires vont recevoir 1 200 euros par mois durant trois ans, en plus de leurs revenus actuels. L’objectif est de tâcher de déterminer quel serait le bénéfice maximum en cas de revenu universel « idéal » comme celui-ci, relativement élevé et inconditionnel. Pour mesurer les effets, les volontaires devront simplement répondre à un questionnaire tous les six mois, ainsi que le feront les membres du groupe de contrôle. Le questionnaire abordera des thématiques d’emploi, d’utilisation de son temps, des habitudes de consommation, des attitudes et des valeurs, des aptitudes cognitives, de santé et de bien-être, et bien sûr la situation financière et les revenus engrangés.
L’expérience sera renouvelée chaque année, pour disposer de données objectives sur le taux de stress des participants en plus du questionnaire, qui mesurera aussi cette donnée.
Les questions précises ne seront révélées au grand public qu’à la fin de l’étude, pour éviter que les discussions autour de l’expérience n’influencent les participants. Plus amusant, des échantillons de cheveux vont être prélevés sur certains volontaires pour mesurer le taux d’hormone du stress, le cortisol. L’expérience sera renouvelée chaque année, pour disposer de données objectives sur le taux de stress des participants en plus du questionnaire, qui mesurera aussi cette donnée. Si cette première phase montre des effets nets sur les bénéficiaires, alors les étapes deux et trois de l’étude seront déclenchées.
Trois phases de test
La phase deux démarrera en 2022 avec un concept différent : le revenu des participants qui gagnent moins de 1 200 euros par mois sera complété pour atteindre ce montant. Il s’agit d’assurer un revenu minimum, et de comparer les effets si à la place de la première solution qui consiste à disposer de « plus d’argent », il est offert « plus de sécurité » à un coût significativement plus bas pour l’État.
Enfin, la troisième phase de l’étude consistera à proposer une taxation simulée sur les salaires qui viennent en plus du revenu de base. Les participants recevront 1 200 euros, puis paieront 50 % de taxe sur leurs salaires hors revenu de base. Si l’étude va jusqu’au bout, elle sera alors la plus complète jamais réalisée sur le sujet du revenu universel.
De plus en plus de signaux faibles
Déjà, on trouve trace d’une idée de revenu universel au XVIe siècle : l’anglais Thomas More l’évoquait dans son livre « Utopia ». Plus près de nous, la Finlande a procédé à la première étude en la matière, en 2017 et 2018, mais avec des règles bien différentes de l’étude allemande. 2 000 habitants bénéficiant d’une allocation-chômage ont vu cette allocation remplacée par la somme fixe de 560 euros par mois, qu’ils ont pu conserver même en retrouvant un travail. Le bilan, étudié par l’Institut d’assurance sociale de Finlande et par l’université d’Helsinki, montre une amélioration de la santé psychique des participants, moins de stress et une vie plus saine. Au final, ce groupe a reçu moins d’argent public que le groupe de contrôle, notamment en touchant moins d’aides sociales et moins d’allocations maladie.
En juin 2020, la crise sanitaire a amorcé la mise en place d’un véritable revenu de base en Espagne, à destination des ménages les plus fragiles financièrement. Cette sorte de revenu universel de crise est le premier de la sorte.