L’Anru s’ouvre à l’économie

Stéphane Menu
L’Anru s’ouvre à l’économie

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© © Jonathan Stutz - Fotolia.com

Bâtir, rénover, transformer… L'ANRU sait faire et l’a démontré dans les quartiers sensibles. Mais, consciente des limites conceptuelles de l’exercice, l’agence entend intégrer la dimension économique en amont des rénovations, notamment pour dynamiser le secteur tertiaire. une perspective nouvelle pour les élus et les jeunes futurs chefs de (petite) entreprise.
C’est une première pour l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). Elle a récemment publié, à destination des maîtres d’ouvrage et des élus, un guide intitulé « Consolider la dimension économique des territoires en rénovation urbaine » ((Téléchargeable sur le site de l’Anru, http://www.anru.fr)). L’agence entend sortir de son champ conceptuel de simple aménageur pour réfléchir en amont aux retombées économiques de ses interventions sur le bâti. À l’Anru, on ne s’est jamais détourné de sa mission de base : rénover, reconstruire un bâti dégradé pour relancer la dynamique résidentielle dans les quartiers difficiles. Or, la réussite aidant (le bilan de l’Anru est régulièrement salué depuis sa création, il y a huit ans), l’agence est appelée à transformer son approche du quartier.
L’agence veut sortir de son champ conceptuel de simple aménageur pour réfléchir aux retombées économiques de ses interventions.
Comme l’indique justement Éléonore Hauptmann, responsable du pôle d’appui opérationnel, « il n’est plus possible que l’Anru finance le passage d’un tramway dans un quartier sans penser à y installer une pépinière d’entreprises ». Le temps de l’implication formelle est révolu, qui consistait à intégrer « seulement » les habitants des quartiers aux travaux de renouvellement par le biais de la clause d’insertion sociale à hauteur de 5 % de la totalité des équivalents temps pleins. L’objectif est d’élargir la vision, en intégrant le parcours résidentiel des petites entreprises, clés de voûte d’une dynamique de territoire.

Un potentiel à ne pas gâcher

La transformation d’un quartier passe de fait par la création de petits commerces, de jeunes entreprises, capables de lier harmonieusement un bâti rénové et une attractivité espérée. Le quartier strasbourgeois de Hautepierre en est un exemple proverbial. L’implantation du tramway a entraîné la création d’une pépinière d’entreprises, dont la fonction est de couver les jeunes pousses créatives qui, au bout de deux ans, sont censées prendre leur envol. C’est ainsi que dans ce cadre, une grande enseigne a pu soutenir une jeune agence de communication.Mais ce tricotage vertueux d’un début de bassin d’emplois n’a de chance de réussir que si le changement d’image du quartier s’adosse à l’apparition de projets entrepreneuriaux symboliques. « Il ne sert à rien de ripoliner ces quartiers, de renforcer la qualité du bâti, si rien de socialement parlant ne s’y passe », confie le sociologue Adil Jazouli. Loin des clichés sur les banlieues repères de jeunes oisifs sans projet, les enquêtes de terrain démontrent qu’un jeune sur deux ferait le saut de la création d’entreprise s’il en avait la possibilité. D’où l’intérêt de renforcer les offres tertiaires pour les jeunes PME. À Dunkerque, par exemple, un projet vise à la création d’un espace de coworking, anglicisme destiné à définir un concept de bureaux louables à la journée. L’Anru est l’un des partenaires du projet.

La chance du Grand Paris

Autre piste explorée : l’Anru s’est rapprochée des chambres de commerce et d’industrie pour réfléchir à une adaptation urbaine des pôles multiservices (PMS), aujourd’hui pensés pour les zones rurales, prenant la forme d’un café assurant la réception du courrier, la vente de pain et de quelques denrées alimentaires de première nécessité. Ces PMS permettraient de pallier la disparition progressive des espaces commerciaux installés aux pieds des tours dans les années soixante-dix et quatre-vingt, particulièrement fragilisés par la concurrence des grands centres commerciaux. Car une conviction forte est partagée par tous : une fois rénovés, ces quartiers, regardés auparavant avec un brin de défiance, proposent des profils urbanistiques plutôt séduisants.
Il ne sert à rien de ripoliner ces quartiers, de renforcer la qualité du bâti, si rien de socialement parlant ne s’y passe.
Dotés d’un espace public repensé, souvent desservis par un tramway ou des bus à haut niveau de service… ces sites jouent, de fait, un rôle nouveau à l’heure où le concept de métropole appelle à prendre de la hauteur. En tout cas, l’occasion est belle d’en profiter pour tenter de changer l’image des quartiers concernés. L’Anru entend aussi s’appuyer sur les dispositifs ZFU (zone franche urbaine), parfois décriés parce qu’isolés au milieu des quartiers, sans connexion avec les autres dispositifs. L’objectif final est de faire en sorte que des villes comme Clichy-Montfermeil ou encore Aulnay-sous-Bois, que l’on connaît malheureusement à juste titre comme des exemples de ghettos à la française, soient aussi reconnues pour la qualité de leurs pôles d’activités tertiaires. Avec le Grand Paris en gésine, ces quartiers-là ont de belles cartes à jouer. L’Anru est prête à parier avec eux…

Profiter d’une nouvelle attractivité Que les choses soient claires : la volonté de l’Anru n’est pas de se transformer en une agence de développement économique. « Nous sommes dans la continuité de notre travail quotidien. La rénovation du bâti est un facteur de redressement de l’attractivité des quartiers et il n’est pas interdit d’en profiter pour rentabiliser cet investissement », précise Laurent Doré, directeur de l’animation et de l’appui aux acteurs de la rénovation urbaine à l’Anru. « Puisque nous sommes dans une logique immobilière, nous réfléchissons, quand nous le pouvons, en termes d’adaptation des locaux destinés à d’autres usages que l’habitat », enchaîne Éléonore Hauptmann, responsable du pôle d’appui opérationnel. « Dans ce guide, nous avons voulu mettre en avant le fait qu’il y avait des atouts dans ces quartiers et que ces derniers pouvaient donner lieu à des activités commerciales et économiques de proximité », poursuit-elle. Le guide liste en effet 23 cas précis, et modélisables dans les 50 % de quartiers où les travaux concernés par le Programme national de rénovation urbaine (Pnru) sont en cours de réalisation. Si le dossier est suffisamment anticipé, les réserves foncières pour les entreprises sont plus faciles à prévoir. « Quand nous intervenons sur une copropriété privée, c’est moins évident ; il faut l’accord de tous les copropriétaires pour réserver des espaces aux activités commerciales. Les interventions sur le logement social sont facilitées avec les bailleurs sociaux ». La recherche de mixité sociale, éternel Graal des aménageurs, passe aussi par cette dynamique de mixité des fonctions d’un quartier. L’Anru avance doucement mais avec de réelles certitudes sur le sujet. Le fruit sans doute de l’expérience d’un vaste chantier unanimement reconnu comme vital et jamais perturbé par le yoyo des alternances politiques.

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