Portraits ITG Groupe, Paris, 02/04/2019.
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Ancien député, Laurent Grandguillaume est aujourd’hui essayiste et directeur général adjoint d’une entreprise, en charge du développement du groupe, de la formation et de la recherche. Il est président bénévole de « Territoires zéro chômeur de longue durée ».
Vous avez l’habitude de dire que vous n’avez pas quitté la politique mais les mandats politiques. Est-on plus efficace dans ou en dehors de la politique ?
Je ne sais pas si l’on peut faire ce distinguo. Je sais en revanche que l’on peut agir en complémentarité. Les élus et la société civile sont indispensables pour agir. Car les dispositifs descendants qui ne seraient le fait que des élus et qui ne prendraient pas en compte les attentes des populations concernées sont inefficaces par nature.
« La société civile veut prendre part à la vie politique »
Il ne faut pas faire les choses pour, mais avec les personnes. C’est un problème culturel. En France, certaines villes, plus consulaires, ont des pratiques très descendantes, d’autres, dont les ressorts s’enracinent dans l’échevinage, sont plus coopératives. Il existe encore des baronnies mais il est intéressant d’observer comment certains systèmes peuvent être disruptés par une approche plus horizontale, comme à Marseille, avec la victoire du Printemps marseillais lors du dernier renouvellement municipal. La société civile veut prendre part à la vie politique.
Le dispositif Territoire zéro chômeur de longue durée, initié en 2017, en est la meilleure illustration. Pouvez-vous nous en rappeler les grandes lignes ?
L’idée est de créer des comités locaux dans les territoires réunissant tous les acteurs privés, publics, associatifs et surtout des personnes en situation de chômage de longue durée pour élaborer ensemble un projet partant des besoins du territoire. Une entreprise est créée et ces emplois seront financés en partie par les économies réalisées par la sortie du chômage.
C’est transformer un coût social pour les finances publiques en un investissement durable
L’activité développée n’entre en concurrence avec aucune autre entreprise. C’est donc utile pour les personnes et pour les territoires puisque ces emplois servent à faciliter la transition écologique, l’économie circulaire, le maraîchage pour permettre au territoire d’atteindre l’autonomie alimentaire, etc. C’est transformer un coût social pour les finances publiques en un investissement durable.
1 000 emplois créés depuis 2017
Depuis 2017, 13 entreprises à but d’emploi (EBE) ont été créées dans dix territoires et près de 1 000 personnes ont été embauchées en CDI, au Smic et à temps choisi, et ce, pour réaliser des travaux utiles mais peu rentables pour une entreprise « classique ». Les salaires sont financés par une réaffectation des montants liés aux coûts du chômage (indemnités, RSA, autres minima sociaux…). Près de 1 600 personnes sont sorties de la privation d’emploi, directement (950) ou indirectement. Les députés ont décidé d’étendre le dispositif à 50 nouveaux territoires. « Nous espérons que cette extension entrera en vigueur avant juillet 2021, au moment où s’achèvera la première phase d’expérimentation », précise Marie-Christine Verdier-Jouclas, rapporteure du texte.
On suppose qu’un tel dispositif bouscule quelque peu les habitudes françaises, où les lois viennent d’en haut ?
L’administration centrale résiste, en effet. Assurer que le territoire, avec ses ressources, devient la référence provoque un raidissement de sa part. Il est difficile pour l’État mais aussi pour les collectivités territoriales d’admettre qu’ils accompagnent plus qu’ils ne font cette utopie réaliste. C’est un changement de paradigme, dont les frictions permettent d’améliorer ce projet. L’État et les collectivités doivent apprendre à faciliter plus qu’à faire…
« Il est important pour la réussite de l’expérimentation de pouvoir mobiliser en amont des ressources en ingénierie dans les territoires »
Certaines évaluations mettent en perspective le coût élevé du dispositif…
La question est de savoir qui évalue. Certains experts partent d’hypothèses que je me permets de contester. Ils ne prennent pas en compte les effets qualitatifs de l’expérimentation et évaluent mal le coût du chômage de longue durée. Par exemple, il est important pour la réussite de l’expérimentation de pouvoir mobiliser en amont des ressources en ingénierie dans les territoires. Et le projet ne peut produire des effets immédiats. Nous sommes sur un temps long. L’essentiel est de comprendre les ressorts et les leviers des acteurs du territoire. La réduction du chômage de longue durée requiert des mécanismes différents d’un département à l’autre, parfois même d’une ville à l’autre pourtant limitrophe. En France, on invente de belles idées, qui ne marchent pas et je mets au défi quiconque de me démontrer que d’autres dispositifs ont prouvé une efficacité similaire sur le traitement du chômage de longue durée du point de vue quantitatif et qualitatif.
« On nous voit comme des utopistes alors qu’en fait, nous ne faisons qu’ajuster une réponse à une réalité difficile »
On ne doit pas passer uniquement par le cadre institutionnel pour relever ce défi. On nous voit comme des utopistes alors qu’en fait, nous ne faisons qu’ajuster une réponse à une réalité difficile. Nous avons créé des emplois durables, en CDI, pour des personnes qui étaient au chômage de longue durée depuis plus de 56 mois en moyenne, et qui pour 25 % sont en situation de handicap. Dans trois des dix territoires d’expérimentation, nous avons déjà atteint l’exhaustivité, même si on continue d’identifier des personnes privées durablement d’emploi qui n’étaient dans aucun viseur institutionnel. Le coût du chômage de longue durée pour une seule personne est de 40 000 euros par an selon une étude récente publiée par l’Université libre de Bruxelles. Nous avons apparemment pour certains la faiblesse de croire que cet argent sera mieux utilisé à redonner de l’utilité sociale aux personnes concernées.