L'œil de la DGS : "Lettre à un vieux DG"

L'œil de la DGS :

© Adobe stock

Elle était chargée de mission, il était son DGS. Deux décennies après, une cadre dirigeante, qui souhaite garder l'anonymat, se souvient de ce mentor qui lui a transmis le sens du service public. Un passionné, un vrai, avec ses qualités et ses défauts et qui, sans doute, n'aimerait guère nos mœurs actuelles.

Il y a vingt ans vous m’accueilliez au sein de la fonction publique territoriale et en cet anniversaire symbolique j’ai souhaité vous écrire ces quelques lignes.

Je vous revois le jour de mon arrivée, élégant dans votre costume cravate sombre qui vous caractérisait. La mode vestimentaire a un peu évolué mais l’expression « l’habit fait le moine » reste en vigueur pour les DGS, notamment masculins.

Vous vous essayiez au rôle de DGS manager après avoir longtemps été un DGS bâtisseur, un DGS stratège et un DGS gestionnaire. Quand je repense à nos réunions de Codir au cours desquelles vous preniez la parole longuement dans le silence assourdissant des participants, je me dis que vous seriez surpris par les méthodes – disons-le – plus innovantes et agiles d’animation de Codir auxquels tout manager bienveillant s’exerce maintenant. Ceux qui ont travaillé avec vous savent, sans vous faire offense, que la bienveillance n’était peut-être pas le substantif qui vous caractérisait le mieux.

"Sans doute seriez-vous surpris des débats sur l’équilibre vie personnelle et vie professionnelle"

Sachez que les DGS ont également développé une nouvelle compétence récemment (pendant la crise sanitaire) : celle de logisticien et de « chef » en période de crise. « C’est là que les gens se révèlent » disiez-vous ! C’est tellement vrai…

Vous m’aviez emmenée sur les piquets de grève d’un site industriel menacé de délocalisation. Les discours syndicaux et politiques vantaient les mérites du travailler ensemble, du vivre ensemble et du « made in France » bien avant la mise au goût du jour de cette expression par un ancien ministre en marinière.

Je crains qu’aujourd’hui vous ne soyez un peu déstabilisé en écoutant les discours qui prônent le télétravail massif sans mesurer le risque de délocalisation à terme de toutes ces fonctions si facilement réalisables ailleurs qu’ensemble dans un lieu collectif. Sans doute seriez-vous aussi un peu surpris des débats sur l’équilibre vie personnelle et vie professionnelle, vous qui placiez la valeur travail aux nues. Premier arrivé à la mairie, dernier parti, avec le maire !

Vous aviez tenté de m’expliquer les rouages de la relation élus/DGS à une époque où le maire était un notable, bien installé dans un territoire. Cela aussi a changé un peu avec la loi sur le non-cumul des mandats et le renouvellement générationnel et politique des édiles.

"Vous ne déconnectiez jamais, par principe !"

Vous me vantiez les mérites d’un discours constructif mais ferme et exigeant avec les représentants de l’État sur le territoire. Plusieurs vagues de réformes de l’État plus tard, cela n’a pas beaucoup changé en revanche ! Comme deux partenaires condamnés à s’entendre, on se parle, on se fait des reproches, on fait ensemble… ou pas.

Vous m’expliquiez avec emphase les différences entre la droite et la gauche. Je dois avouer que j’ai un peu plus de mal à les expliquer à mes enfants aujourd’hui.

Vous arpentiez le territoire dans un véhicule avec chauffeur, attribut tombé en disgrâce ou désuétude. Je ne vous vois pas vraiment à l’aise sur une trottinette électrique, mais peut être-que je me trompe puisque vous aviez accepté de participer aux stages d’écoconduite que nous avions mis en place au début des années 2000.

Je me souviens également de ce calepin que vous ne quittiez jamais où vous notiez tout pour faire le lien ensuite avec votre secrétariat, les élus, les collaborateurs. Les courriels et le téléphone avaient déjà envahi votre vie mais nous étions encore loin de l’infobésité et du droit à la déconnexion. De toute façon vous ne déconnectiez jamais, par principe ! Et cela allait bien aux élus qui comptaient sur vous, tout le temps.

"Nous avons eu une explication ensuite sur l’égalité femmes hommes et j’ai compris que ce n’était pas votre combat"

Enfin, je ne peux taire cette anecdote qui nous a valu tant de mots le jour où vous m’avez demandé de faire le café en réunion alors que j’étais la seule – jeune – femme et que je ne sais pas faire le café ! Nous avons eu une explication ensuite sur l’égalité femmes-hommes et j’ai compris que ce n’était pas votre combat. Ce serait l’un des miens à partir de ce jour-là. À l’heure post « me too » je pense souvent à vous et essaie d’imaginer comment vous appréhenderiez les relations professionnelles hommes-femmes maintenant.

Il n’y a ni nostalgie ni jugement dans cette lettre. Juste l’envie de partager ces quelques souvenirs avec vous, vingt ans après notre rencontre, parce que c’était vous, parce que c’était moi. Vous ne représentiez pas tous les DGS de l’époque, pas plus que je n’ai la prétention de représenter qui que ce soit aujourd’hui.

Vous m’avez transmis en début de carrière le sens du service public et de l’engagement, autant de valeurs qui animent bon nombre de fonctionnaires territoriaux aujourd’hui malgré des contextes qui ont évolué et évolueront encore.

Je vous espère en forme et serein, capable de savourer ces années de retraite que vous envisagiez avec appréhension à l’époque. Peut-être poursuivez-vous votre vie d’engagement professionnel d’une autre manière (il y a tant de causes à servir !) ou savourez-vous l’oisiveté en nous regardant de loin, en observateur avisé de l’action publique que vous étiez.

Avec tout mon respect et mon meilleur souvenir,

Votre chargée de mission

PS : Toute ressemblance avec un personnage existant ou ayant existé ne saurait être que fortuite.

Vous êtes DGS et vous souhaitez contribuer à la rubrique ? Contactez guillaume.doyen@infopro-digital.com

Recevez votre newsletter hebdo gratuitement

Nous vous recommandons

Ce qui vous empêche de manager : « Le management collaboratif ne va malheureusement pas de soi »

Ce qui vous empêche de manager : « Le management collaboratif ne va malheureusement pas de soi »

Quels sont les irritants de votre quotidien managérial ? La Lettre du cadre vous a posé la question. Une manière d'aborder ce qui empêche de manager en rond et de mettre le doigt sur les difficultés chroniques du management....

20/02/2023 |
Ce qui vous empêche de manager : « Il faut arrêter de sans cesse complexifier les lois »

Ce qui vous empêche de manager : « Il faut arrêter de sans cesse complexifier les lois »

Ce qui vous empêche de manager : «  Il faut toujours réussir à arbitrer entre l’urgent et l’important  »

Ce qui vous empêche de manager : «  Il faut toujours réussir à arbitrer entre l’urgent et l’important  »

Ce qui vous empêche de manager : «  Le temps représente la première contrainte d’un DGS  »

Ce qui vous empêche de manager : «  Le temps représente la première contrainte d’un DGS  »

Plus d'articles