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Il est beaucoup question aujourd’hui de l’entreprise libérée. Des entreprises phares comme Favi en France, Morning Star aux États-Unis, des auteurs à succès comme Isaac Getz et Brian Carney ou Frédéric Laloux ((Isaac Getz, Brian Carney, Liberté et Cie, Champs, 2016, Laloux, Frédéric : Reinventing Organizations, Diateino, 2015.)) pour n’en citer que quelques-uns, des controverses sur Twitter, sont suffisants pour imposer le concept et créer une nouvelle mode.
Face à une mode en management, trois attitudes sont possibles. La première consiste à la dénigrer et à l’ignorer en attendant qu’elle passe comme les précédentes. Dans une seconde attitude, on considère que ces évolutions surviennent dans des entreprises, souvent petites, sans rapport avec les grandes entités dont les modes de gouvernance sont fortement contraints.
Dans une troisième approche, on prend la mode comme un révélateur car elle ne survient pas du seul fait de gourous autoproclamés mais répond plutôt à l’actualité de problèmes organisationnels, d’une part, et aux mentalités d’une société, d’autre part. Dans le fil de cette troisième attitude, il est donc pertinent de pointer quelques caractéristiques fortes de ces innovations managériales et de rappeler les besoins actuels d’innovation dans ce domaine dans toutes les institutions. Nous rappellerons enfin quelques idées de base qui devraient présider à toute réflexion sur ces transformations profondes et nécessaires.
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La disparition du management traditionnel
L’innovation managériale dans ces figures de l’entreprise libérée ou des transformations réussies, met en exergue plusieurs aspects. On y observe toujours une grande autonomie et la remise en cause, si ce n’est la disparition, du management traditionnel et des managers eux-mêmes.
Comme dans toutes les innovations, on déboulonne les canons traditionnels du management.
La qualité de la vie au travail est une autre caractéristique, tout comme des rémunérations moins individualisées et une remise en cause de la place dominante des processus stratégiques ou budgétaires. Comme dans toutes les innovations, on déboulonne les canons traditionnels du management. Cependant, cette pointe émergée de l’iceberg masque deux aspects moins spectaculaires mais fondamentaux : une autre anthropologie, c’est-à-dire une autre approche de la personne d’une part, une autre vision de l’organisation d’autre part.
Dans ces formes nouvelles de collaboration, les auteurs se réfèrent à une vision totale de la personne selon Friedman, de plénitude selon Laloux. La personne n’est pas que le rouage d’une organisation-machine mais toutes ses dimensions sont prises en compte – professionnelle, psychologique, spirituelle et sociale. Cela signifie avant tout que les conditions et l’environnement de travail doivent être respectueux de la personne. Cela signifie aussi que la personne a la possibilité d’exercer dans le travail sa créativité, nourrie par de l’autonomie mais aussi facilitée par une souplesse d’une organisation ajustée aux projets individuels plutôt qu’imposée aux personnes.
Trois actions pour favoriser l’innovation managériale…
• Utiliser toutes les occasions possibles de préciser et partager la « raison d’être » de l’institution
• Lire les livres sur l’innovation managériale sans chercher à les imiter, mais pour nourrir sa réflexion
• Inclure l’innovation managériale dans les programmes de formation des managers
Avant tout des relations
Plus fondamentalement, ces innovations managériales s’écartent d’une approche trop individualiste ou « singulariste ». La personne est relationnelle, elle existe dans, avec et par ses relations aux autres. Les collègues sont engagés les uns vis-à-vis des autres et il n’y a pas de décision possible sans la sollicitation de l’avis des autres et leur appréciation. Les réunions n’y constituent pas une procédure, mais plutôt le moment assumé s’il s’avère vraiment nécessaire. Dans ces entreprises, on ne parle pas de salariés mais de collègues, on n’a pas un emploi, mais on est membre d’une communauté avec tous les soutiens et les contraintes que cela implique.
On est plutôt dans la vision d’une collectivité à laquelle il faut adhérer à moins d’en partir.
Une dernière caractéristique de cette vision de la personne n’est pas forcément affirmée dans les belles histoires de ce genre d’entreprises : tout le monde ne s’adapte pas à cette vision de la personne, et si beaucoup y trouvent un épanouissement, d’autres sont forcés de déclarer forfait. On n’est pas là dans une vision de l’organisation « sécurité sociale » qui prend en charge chacun, mais plutôt dans celle d’une collectivité à laquelle il faut adhérer à moins d’en partir.
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Une remise en cause de l’organisation mécaniste
En effet, ces formes d’innovation managériale véhiculent aussi une vision renouvelée de l’institution. L’aspect le plus frappant en est la remise en cause de l’organisation mécaniste. Cette critique, assez courante aujourd’hui, ne concerne pas seulement la croyance en la capacité des structures, des processus ou des organisations à générer de la performance. De manière plus subtile, la critique concerne cette caractéristique de l’organisation-machine selon laquelle elle peut être imaginée, conçue et mise en œuvre depuis l’extérieur, comme si l’organisateur en chef – le créateur – pouvait se situer à l’extérieur de sa création. Ainsi, il en définirait les composantes, les contours, les modes de fonctionnement, la stratégie et le destin. Dans cette vision renouvelée, l’organisation est plutôt considérée comme un organisme vivant évolutif qui se meut dans le temps en fonction de ses forces et processus internes, plutôt que par l’intervention d’un grand organisateur extérieur.
La clé est ici la capacité active de chacun à mesurer et assumer sa contribution à cette raison d’être.
Enfin, la raison d’être de l’organisation est un maître mot dans ces approches, plutôt qu’un gentil partage d’un projet commun, ou que l’illusion orgueilleuse de vouloir « donner du sens ». La clé est ici la capacité active de chacun à mesurer et assumer sa contribution à cette raison d’être.
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Un besoin vital d’innovation
Ces visions renouvelées illustrent surtout le besoin vital d’innovation des organisations actuelles, quelles qu’elles soient. Les expériences en cours nous montrent alors que ces innovations sont possibles et elles remettent en cause profondément nos hypothèses managériales traditionnelles. Enfin, ces dernières nous montrent qu’à l’origine de ces transformations – condition indispensable mais pas suffisante – se trouvent toujours des personnes convaincues, volontaires, souvent seules contre tous.
L'engagement des personnes, discret et peu spectaculaire, est la condition première de l'innovation managériale.
Évidemment, il paraît toujours plus facile de créer une institution sur des bases nouvelles que de la transformer. S’il n’existe aucune recette simple pour y parvenir, les dirigeants volontaires qui voudraient lancer le processus, disposent au moins de trois principes d’action. Le premier est la cohérence. Chercher à mettre toujours en cohérence des valeurs (une raison d’être), des systèmes et un mode de management, c’est une pédagogie indispensable pour trouver les opportunités de transformation. Le deuxième principe reste celui de l’engagement des personnes : on n’en parle jamais dans les récits d’innovations managériales mais cet engagement, discret et peu spectaculaire, en est la condition première. Enfin les managers doivent devenir des « role models » en incarnant cette raison d’être, avec les initiatives qui conviennent et en prenant en compte la dimension émotionnelle de ces processus de transformation. Concrètement, ce sont les politiques de formation des managers qui devraient en être bousculées en premier lieu. C’est peut-être un bon point de départ pour susciter l’innovation managériale.
À éviter si on ne veut pas plomber l'innovation managériale
• Rejeter d’emblée l’idée même de l’innovation managériale
• Imiter les innovations des autres
• Confondre le problème de l’innovation avec les solutions