La baisse des inégalités globales, problèmes des classes moyennes occidentales

Julien Damon

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La baisse des inégalités globales, problèmes des classes moyennes occidentales

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Passé par la Banque mondiale, virtuose des bases de données internationales, Branko Milanovic regarde le monde comme un tout. Il traite autant des inégalités au sein des pays que des inégalités entre les pays.

Article publié le 17 juillet 2019

Son ouvrage sur les inégalités mondiales, initialement publié en 2016 aux Presses universitaires de Harvard, a fait grand bruit. Il est heureux de pouvoir disposer de sa traduction française. Milanovic y analyse notamment la redistribution du revenu mondial opérée sur une vingtaine d’années, entre la chute du mur de Berlin et la crise de 2008.

La courbe de l’éléphant

Une courbe issue de ce travail est déjà passée à la postérité, la courbe dite "de l’éléphant", parce que sa forme, décrivant la croissance du revenu moyen de chaque fractile des revenus mondiaux (des 5 % les plus pauvres aux 1 % les plus riches), évoque celle d’un éléphant relevant sa trompe. Cette représentation stylisée, dont nombre d’images sont aisées à trouver sur internet et qui illustre la couverture de l’ouvrage, montre la croissance du revenu moyen (en ordonnée) des différents fractiles de la distribution mondiale des revenus entre 1988 et 2008 (en abscisse) dans 120 pays. La démarche montre l’extension de la classe moyenne mondiale, mais aussi l’attrition des classes moyennes occidentales.

Un premier groupe de perdants, sur toute cette période, rassemble les 5 % les plus pauvres, qui n’ont pas réduit leur handicap relatif

Elle souligne également l’importance de l’augmentation des revenus parmi les plus riches (le célèbre 1 %). Un premier groupe de perdants, sur toute cette période, rassemble les 5 % les plus pauvres (toujours à l’échelle du monde), qui n’ont pas réduit leur handicap relatif puisque, même si leur revenu s’est accru, il l’a fait moins vite que le revenu global moyen. Milanovic met l’accent sur un deuxième groupe de perdants très différent : celui des revenus situés entre le 80e et le 95e percentile – des revenus donc plutôt élevés à l’échelle mondiale (mais pas forcément à l’échelle des pays riches) – qui ont également progressé moins vite que le revenu global ; ils se sont relativement appauvris. Ce sont les classes moyennes des pays riches.

Lire aussi : Mettre le paquet contre les inégalités

Reflux récent des inégalités globales

Sa première leçon, avant la production de la courbe de l’éléphant, tient dans le reflux récent des inégalités globales. Constat : depuis le début du millénaire, tandis que les inégalités nationales augmentent, tirées par les très hauts revenus, les inégalités internationales ont tendance à diminuer. Milanovic rappelle qu’avec la globalisation ce ne sont pas uniquement les plus riches, mais aussi les plus pauvres (en dehors du monde riche) qui s’enrichissent. Sa radiographie du « 1 % mondial », qui perçoit 29 % des revenus mondiaux et possède 46 % de la richesse globale, est percutante. 12 % des Américains s’y trouvent, 5 % des Britanniques et 3 % des Français. Il se penche aussi sur les 1 500 milliardaires dans le monde qui, avec leur famille représentent 1 % de 1 % de 1 % de la population mondiale.

Milanovic analyse les vagues d’inégalité, avec leurs flux et reflux, comme fonction de forces bénignes et malignes

Respectueusement et utilement critique à l’égard d’un John Rawls ou d’un Thomas Piketty (qui expliquerait un siècle mais pas l’histoire longue, mais qui accepte de préfacer l’édition française du livre), Milanovic analyse les vagues d’inégalité, avec leurs flux et reflux, comme fonction de forces bénignes (protection sociale, éducation) et malignes (crises, guerres), généralement conséquences de hautes inégalités.

Lire aussi : Inégalités et liens sociaux

Fin connaisseur des sources et travaux les plus sérieux, Milanovic ramène le lecteur jusqu’à la Renaissance, et même jusqu’à l’Empire Romain qui a connu à la fois appauvrissement et réduction des inégalités. Aujourd’hui, la prospérité de classes moyennes émergentes contraste avec l’effritement des classes moyennes occidentales qui ont bénéficié d’environ un siècle de croissance économique et de réduction des inégalités.

 Extraits
« La situation des individus dépend très largement de l’endroit où ils sont nés. C’est la prime ou pénalité de citoyenneté. »
« En étant né aux États-Unis plutôt qu’au Congo, un individu multiplie ses revenus par presque 100. »
« Les inégalités de classe sont devenues moins déterminantes que les inégalités de place. »

Branko Milanovic, Inégalités mondiales. Le destin des classes moyennes, les ultra-riches et l’égalité des chances, La Découverte, 2019, 285 pages, 22 euros.

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