La « convention citoyenne pour le climat » ne veut pas rester lettre morte

Séverine Cattiaux

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La « convention citoyenne pour  le climat » ne veut pas rester lettre morte

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Au printemps, la convention citoyenne pour le climat remet son plan visant à réduire l’empreinte carbone de la France. Si les participants sont confiants sur la qualité de leur travail, ils ne peuvent s’empêcher d’émettre des craintes sur sa concrétisation effective…

Une cinquantaine de mesures sont désormais sur la table pour réduire d’au moins 40 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, par rapport à 1990, dans « un esprit de justice sociale ».

Les 150 citoyens tirés au sort, qui ont participé à la « convention citoyenne pour le climat », ont pris leur mission très à cœur. Ayant participé à cette expérience démocratique inédite, Agny, 37 ans, habitante la région parisienne éprouve un « sentiment de fierté, devant le travail abattu en session et aussi en intersession ». Semblant satisfaite, cette coordinatrice dans le médical trouve que « le travail d’ensemble est assez cohérent ». Voilà qui est rassurant.

Reste à souhaiter que l’État s’en inspire… Car pour l’heure, la France échoue lamentablement à réduire ses émissions de gaz à effet de serre, en dépit de ses engagements aux Accords de Paris. Sur les deux premiers mois de l’année, le pays a dépassé la production de gaz à effet de serre censée être émise sur l’année 2020. À ce rythme, la neutralité carbone est reportée à 2085… au lieu de 2050.

« Nous ne nous sommes posé aucune limite »

Afin que les mesures émanant de la convention soient dignes de confiance et acceptées du grand public, il fallait que le dispositif soit robuste et irréprochable.

Qu’en est-il ? « Nous ne nous sommes posé aucune limite et nous avons subi aucune pression ». Les participants interrogés, à l’instar de Guy, 60 ans, retraité d’Enedis, sont tous d’accord là-dessus. « On ne s’est privé d’aborder aucun sujet, même quand cela ne semblait pas directement être dans la cible », renchérit l’habitant d’un petit village en Haute-Vienne.

Les bancs de la convention ne se sont pas vidés : 7 % « seulement » des participants ont abandonné le processus

En outre, les précautions prises pour garantir l’impartialité des débats ont été nombreuses. « Vingt-cinq chercheurs sont en permanence dans les groupes et les observent » cite notamment Loïc Blondiaux, chercheur et politologue, et membre du comité de gouvernance de la convention. C’est la certitude qu’il n’y a pas d’instrumentalisation des citoyens. Deux citoyens participent en permanence aux discussions du comité de gouvernance et rendent compte de ce qu’il s’y passe ».

On ne pourra pas accuser la conférence de « rouler pour le gouvernement » commentent ainsi les instigateurs de cette initiative.

Une organisation bien huilée dans un temps court

Six sessions de trois jours étalés sur six mois, une gageure, vu l’enjeu.

Fort heureusement, du fait des grèves, l’assemblée des citoyens a obtenu une session supplémentaire. Pourquoi un tel empressement ? Pour être sûr d’obtenir l’engagement des tirés au sort en amont du démarrage d’une part, et garantir l’assiduité des participants d’autre part. Point positif, les bancs de la convention ne se sont pas vidés. 7 % « seulement » de participants ont abandonné le processus, pour des raisons diverses, en cours de route. De l’avis des participants, les moyens et l’organisation ont, plus ou moins, réussi à compenser le handicap lié au temps court.

Les moyens et l’organisation ont, plus ou moins, réussi à compenser le handicap lié au temps court

Après avoir écouté de nombreux experts convoqués parfois à leur demande, les 150 citoyens ont travaillé en sous-groupes sur les thèmes « se loger », « se nourrir », « se déplacer », « consommer », « travailler/produire ». Chaque groupe a bénéficié de la présence d’un animateur, qui s’est assuré de la participation de tous, de distribuer la parole, de synthétiser les échanges. Les citoyens ont particulièrement apprécié l’assistance du « groupe d’appui » composé de juristes, d’économistes, d’experts indépendants. Ces derniers leur ont apporté des éléments de compréhension, les ont aidés à évaluer les impacts de leurs mesures sur les émissions de gaz à effet de serre, ainsi qu’à estimer le coût des mesures, et les solutions de financement… « Ils se sont mis à notre niveau, considère Guy, et nous ont permis d’aborder les sujets en profondeur, mais sans nous imposer quoi que ce soit » tient-il à ajouter.

Des mesures structurantes, radicales et symboliques

Que ressort-il finalement de ce grand brainstorming ? D’abord, les participants admettent qu’ils n’ont pas réinventé le fil à couper le beurre. En revanche, ils ont tâché de construire des mesures structurantes, « qui existent pour certaines déjà, mais qui sont mal utilisées, on les pousse plus loin » indique Sylvain, 45 ans, cadre dans un grand groupe. Les groupes n’ont pas hésité à reprendre des propositions radicales émises par des associations ou des ONG, comme la modification de la Constitution en vue de punir les auteurs d’écocides. Autre proposition forte avancée par les citoyens : la demande d’un moratoire sur le Ceta ((Comprehensive Economic and Trade Agreement (Ceta) est un accord commercial bilatéral de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada.)).

La majeure partie des propositions semble faire consensus

« Pour les organisateurs, cela ne fait pas partie de la convention, mais nous, on estime que si » soutient Agny. « Ce n’est qu’une recommandation, abonde Guy, mais il nous paraît difficile d’avoir des engagements avec des pays qui n’ont pas de politique forte pour lutter contre les gaz à effet de serre […] » Et de poursuivre : « si on ne modifie pas les traités internationaux, on va encourager la monoculture sur des millions d’hectares ». La majeure partie des propositions semble faire consensus, d’après le retraité. Difficile de présager de ce que les citoyens valideront au final lors du vote en avril… On a peine à croire qu’ils retiendront, à la majorité qualifiée, des propositions clivantes comme la « réduction du temps de travail », « la limitation de la vitesse sur l’autoroute ». Les mesures écartées ne tomberont pas dans l’oubli. Tout sera consigné dans le livre blanc, tiennent à souligner les tirés au sort. « On ne peut absolument présager du résultat, déclare avec prudence, Loïc Blondiaux.

On verra jusqu’où les citoyens sont prêts à aller, sur quoi se forgera une forme de consensus ou de compromis ». D’ici le vote, tous peuvent déposer des amendements visant à corriger, rectifier, amplifier telle ou telle mesure.

Quid de l’après-convention ?

En janvier, Emmanuel Macron s’est engagé à tenir compte des propositions de la convention « sans filtre ». De plus, selon leur degré de finition, a laissé entendre le chef de l’État, les propositions de la convention citoyenne connaîtront divers débouchés. Le Parlement pourrait s’emparer des mesures structurantes proches du texte législatif. Les idées relevant de la « recommandation » pourront donner lieu à des décrets d’application. Certaines mesures pourraient être soumises à la population par référendum. L’État s’est engagé à publier un calendrier prévisionnel de la mise en œuvre des mesures.

À la suite de quoi, les citoyens pourront réagir, une dernière fois, en formulant une réaction commune aux réponses du gouvernement. Malgré ces belles perspectives, les participants ne peuvent s’empêcher d’être prudents. « On a tout de même un peu la crainte que nos propositions n’aboutissent pas, déclare ainsi Alexia, 22 ans, Guadeloupéenne, étudiante en neurobiologie, parce qu’elles remettent en cause le système économique basé sur la rentabilité, sur le business international ».

Se sentant investis d’une grande responsabilité, une centaine de tirés au sort n’entendent pas tourner aussi vite la page. Ils s’apprêtent à créer une association ayant pour objectif de promouvoir leurs travaux. Et le cas échéant, sonner le rappel si l’État traînait des pieds…

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