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On parle beaucoup de fake news. Peut-on en repréciser la définition, qui n’est finalement pas si simple que ça à déterminer, comme on le comprend en lisant votre livre ?
L’élection de Donald Trump a popularisé l’expression. Il est d’ailleurs intéressant de noter à ce sujet que les deux camps politiques se sont accusés de fabriquer de la désinformation tout au long de la dernière campagne américaine. Le dictionnaire Oxford de 2017 mentionne la fake news pour la première fois. En français, on peut traduire par « infox », mais ce n’est pas très beau. On peut dire qu’une fake news existe d’autant plus qu’elle a du mal à être sourcée. Quand une information est délaissée, qu’elle n’est pas suffisamment recoupée par des sources sérieuses, on peut commencer à s’inquiéter en effet de sa fiabilité. Mais rien n’empêche quelqu’un de croire qu’une soucoupe volante a atterri dans son champ la nuit dernière. Cependant, il sera d’autant plus crédible s’il est en mesure de prendre une photo ou plusieurs, de bien légender ce qu’il a vu. En racontant ce que l’on voit, en étayant ce que l’on croit, on peut se rapprocher d’une vérité, la sienne.
Le réflexe de la vérification de la source ne touche qu’une infime partie de la population
La démocratie repose sur le débat. Et c’est souvent le dernier qui a parlé qui a raison…
On peut distinguer les auteurs conscients de fake news de ceux qui le sont un peu moins et qui diffusent de mauvaises nouvelles en croyant réellement qu’elles sont vraies. Le réflexe de la vérification de la source ne touche qu’une infime partie de la population qui sait déceler des informations à caractère fallacieux. Derrière la fake news, il y a des enjeux énormes d’accaparement des esprits.
Derrière la fake news, il y a des enjeux énormes d’accaparement des esprits
Les complotistes ont plus de mal à s’imposer, parce que tout le monde a vu les deux avions s’écraser sur les Twins Towers et que dire le contraire est complètement délirant. Sur le récent traité d’Aix-la-Chapelle, le défaut de pédagogie autour d’un texte sorti de nulle part a permis à certains élus de jouer sur les peurs, l’inconnu se glissant entre les lignes. Mais il est toujours très compliqué d’apparaît crédible en jouant sur ce registre.
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France 3 avait d’ailleurs créé la polémique après avoir retouché une photographie où une pancarte indiquait « Macron dégage » et où seul « Macron » apparaissait…
C’est exactement ce que faisait Staline en retirant Trotsky de toutes les photos, argentiques à l’époque, où il figurait auprès de Lénine. Cette intervention matérielle pour altérer une trace du passé, comme truquer une photo, dire d’untel qu’il a tenu tels propos sans en apporter la preuve, créer de toutes pièces de faux témoignages, forme le socle de la fake news. En tout cas, cette suppression tombe mal face à des Gilets jaunes qui considèrent que la plupart des journalistes sont à la solde du pouvoir… De plus, cette affaire se déroule au sein d’une chaîne du service public, payée par nos impôts. On le sait, cette crise met aussi en lumière une défiance qui ne cesse de croître entre la population et les journalistes.
Mais ces derniers ont peut-être peur de poser les débats en des termes entendus dans la rue. Comme si le simple fait d’ouvrir les débats rendait les journalistes complices du thème qu’ils abordent…
Oui, mais à force de ne plus rien dire, de pratiquer une forme d’autocensure qui empêche les mots de la rue, de la réalité, de remonter à la surface, une grande partie de la population a l’impression tout simplement de ne pas se retrouver dans ce qui se dit dans les médias de grande écoute. Ce qui crée une colère légitime.
Entre les Gilets jaunes et les médias, la tension n’a cessé de croître. Comment expliquer cette réalité ?
Chaque année, le journal La Croix mesure l’état de défiance des Français vis-à-vis des médias. C’est effrayant. Donc, les Gilets jaunes sont dans le droit fil de ce que pensent les Français. En plus, dans le contexte actuel de guerre des classes, les journalistes sont plutôt considérés comme des urbains bien éduqués ne comprenant pas ce que vit le peuple. Et il est vrai que peu de journalistes sont issus des classes populaires. Enfin, la communication des Gilets jaunes se passe sur les réseaux sociaux, loin des médias classiques. Les tenants de ce mouvement pensent qu’ils peuvent conquérir l’opinion au-delà des canaux classiques, Facebook a remplacé le JT du soir…
Beaucoup de gens prétendument raisonnables peuvent aussi raconter n’importe quoi
Pensez-vous que les rubriques lancées par certains journaux (Le Monde, Libé, etc.), qui visent expressément à démonter les mauvaises intentions des fake news, ont une utilité ?
Bien sûr, il est indispensable, entre gens de bonne volonté, de mener à bien ce travail pour traquer les désinformateurs. Telle photo prise en telle année et montrée dans un autre contexte doit être replacée dans sa propre histoire. La désinformation a toujours existé, sous des régimes totalitaires. Mais la démocratisation du faux s’est accentuée. Il était plus compliqué pendant la guerre froide de trafiquer une photo officielle. Aujourd’hui, n’importe qui peut déformer le sens d’une photo. On peut faire croire à des naïfs qu’Emmanuel Macron a rencontré des extraterrestres ! On a beaucoup caricaturé les fake news « venues du peuple », je mets des guillemets, bien entendu.
Mais beaucoup de gens prétendument raisonnables peuvent aussi raconter n’importe quoi, comme la peste brune dévalant les Champs Elysées à la suite d’une manifestation des Gilets jaunes selon Gérald Darmanin.
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Internet joue aussi un rôle démultiplicateur…
On ne raconte pas plus de bêtises consciemment ou inconsciemment aujourd’hui qu’en 1789 ! Mais internet est là, l’hystérisation des réseaux sociaux fait le reste, sa violence ! Pour exister, il faut cliquer, réagir, tweeter, avoir plus de followers qu’un autre. C’est très addictif. Cette immédiateté impose une guerre de l’attention en permanence. Nous sommes tout le temps dérangés par des informations dont nous n’évaluons plus l’urgence. Nous sommes tous concernés, même ceux qui se croient à l’abri des réseaux sociaux puisque leur puissance nous dépasse et peut renverser un régime à elle seule, comme celui de Ben Ali en Tunisie.
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Vous soutenez les Gilets jaunes. Certains d’entre eux n’hésitent pourtant pas à recourir aux fake news…
Je suis coupé en deux dans ma propre vie. J’ai un bel appartement dans le XVIe parisien et j’ai aussi une maison dans un ancien village ouvrier, en Charente, Villognon, où j’ai des copains qui tirent la langue autour du 15 du mois. Donc, il m’arrive d’aller manifester parce que je crois que certains Gilets jaunes ont des revendications tout à fait légitimes. Mon soutien est très lucide.
Comment voyez-vous l’issue de ce mouvement social ?
À vrai dire, j’ai la trouille. Je sens qu’une vraie haine de classes s’installe des deux côtés. J’entends des choses… D’un côté, on crie mort aux riches, on est prêt à sortir les fusils. De l’autre, le mépris du peuple s’installe. Le creusement de ce fossé n’est pas une bonne chose pour la démocratie.
François-Bernard Huyghe est docteur en Sciences politiques, médiologue, directeur de recherche à l’Iris, enseignant, spécialisé sur la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, responsable de l’Observatoire géostratégique de l’information.
Son livre, « Fake News, la grande peur », a été publié chez V.A Éditions (150 pages, 14 euros). Il a aussi publié, dans la même maison d’édition, « Dans la tête des Gilets jaunes », avec Xavier Desmaison et Damien Liccia.