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© Katherine - adobestock
Les habitats insalubres, dégradés ou en ruines sont pléthores dans la ville louisianaise. Pour combattre le phénomène, la municipalité a mis sur pied un plan d’action dès 2010.
Elle s’est trouvée dans une situation pire que celle de la ville de Détroit, surtout après le passage de l’ouragan Katrina en 2005. À la Nouvelle-Orléans, les inondations qui ont suivi la tempête ont affecté près de 80 % des logements, dont une grande partie n’a jamais été réhabilitée. Dans une lente dégradation sans fin, ils attendent soit d’être saisis et revendus, soit d’être démolis.
Ces événements climatiques sont venus s’ajouter à une tendance de fond : après un pic dans les années 1960, la Nouvelle-Orléans connaît un lent déclin démographique, qui génère un nombre important d’abandons de logements.
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Empilement de situations catastrophiques
En 2010, à l’arrivée du nouveau maire démocrate, Mitch Landrieu, plus de 1 500 logements attendaient une décision administrative. Prenant en main le problème, la municipalité commence par organiser des réunions auxquelles sont conviées toutes les parties prenantes. Une sorte d’audit interne, duquel il ressort rapidement que l’existence de deux agences n’est pas judicieuse : l’une était chargée de gérer les lots vacants et l’autre, les structures insalubres. Et les deux agences n’étaient pas coordonnées… Pour venir à bout de cet empilement de situations catastrophiques, la ville a alors développé un outil prédictif permettant de décider plus rapidement du sort de ces logements.
Une sorte de « boucle de réaction » destinée à vérifier si les objectifs stratégiques étaient atteints, tout en se donnant les moyens de repérer les actions à corriger
Le premier outil développé, BlightStat (Blight pour dégradations), a d’abord servi à mesurer les actions déjà mises en place par la collectivité. Cet outil permettait de mesurer concrètement, à l’aide de données, l’avancement des dossiers, de constater ce qui fonctionnait ou non et de repérer les points d’amélioration. Une sorte de « boucle de réaction » destinée à vérifier si les objectifs stratégiques étaient atteints, tout en se donnant les moyens de repérer les actions à corriger.
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Contrôler le circuit de réhabilitation
Ce premier tableau de bord interne, réalisé principalement sur des tableurs Excel a, trois ans plus tard, été remplacé par le logiciel de management Lama. Plus performant, il permet de suivre à distance les activités de toutes les agences, mais aussi de contrôler la position de chaque propriété dans le circuit de la réhabilitation. Les inspections des propriétés, les audiences, les mesures juridiques, les réunions, les rapports interdépartementaux y sont classés. Grâce à ces outils, le volume de logements entrés et classés a drastiquement évolué. Restait à… les en sortir.
Grâce à ces outils, le volume de logements entrés et classés a drastiquement évolué. Restait à… les en sortir
« Nous avions considérablement amélioré notre volume de cas entrés dans le système, mais nous n’avions pas encore discuté de comment nous devions prendre la décision de démolir ou vendre une propriété », raconte Oliver Wise ((Témoignage paru sur le site )), directeur du bureau « Performance and accountability » de la ville, « et donc, un formidable arriéré de 18 à 24 mois s’est empilé sur le bureau du directeur. »
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1 500 propriétés en souffrance
La seconde étape a donc consisté à écluser les quelque 1 500 propriétés en souffrance. Une équipe a été constituée, chargée de trouver un moyen de déléguer le processus de décision sans altérer la qualité des appréciations, la signature finale revenant toujours à la direction.
Dans un premier temps, les agents ont commencé par éplucher 600 décisions, pour identifier les facteurs centraux qui déterminaient si une maison était démolie ou bien vendue. À chaque appréciation, ils ont alloué une valeur numérique.
L’outil permet aux autres agents de procéder à des recommandations généralement toujours suivies par la hiérarchie
À partir de ce travail de fond, l’équipe a missionné la start-up de développement des données Enigma, chargée de conduire des tests basés sur leur analyse. En systématisant le procédé, Enigma a développé un outil d’analyses de régression capable, à partir des évaluations qualitatives des agents de terrain, de leur attribuer une note et de les intégrer dans un tableau de bord décisionnel.
Une sorte de grosse machine à trier : « quand un jugement est rendu sur une propriété, explique Wise, au lieu de jeter le dossier sur la pile du purgatoire, le cas est classé méthodiquement de manière à déterminer immédiatement s’il doit faire l’objet d’une démolition ou bien d’une saisie pour vente ».
Les habitants eux aussi sollicités
En complément de ce programme interne, la ville a également mis en place une procédure de nudge ou d’incitation à destination des propriétaires de biens. Quand un logement est signalé comme dégradé aux agents de la ville, ces derniers envoient un courrier au propriétaire pour les informer que des voisins se sont plaints. Cette première alerte par courrier a permis de faire baisser de 6 % les inspections de propriétés, les destinataires agissant immédiatement par la suite. La ville estime que cette démarche lui a permis d’économiser l’équivalent d’un inspecteur à temps plein.
Le tableau de bord BlightStat est également accessible au grand public, afin que les habitants soient informés des démarches entreprises par la municipalité. Au niveau de chaque rue, ils peuvent identifier les propriétés dégradées référencées, l’étape de traitement de la situation et le sort qui, au final, leur est réservé. Les utilisateurs peuvent rentrer une adresse précise de la propriété qui les intéresse et même recevoir des alertes dès que la situation évolue. Cette transparence d’action a permis à un certain nombre d’habitants de se positionner pour un rachat, par exemple.
Enfin, des réunions publiques sont régulièrement organisées pour partager l’état d’avancement du traitement des dégradations d’un quartier. Des réunions qui, même à 8 heures du matin, pouvaient attirer une centaine de personnes soucieuses de voir leur quartier se dégrader. Ces échanges étaient un moyen, pour les habitants, de s’informer de ce qui allait advenir d’une propriété mitoyenne dégradée, mais aussi, pour la ville, de s’enquérir des priorités à établir sur un quartier selon les remontées des riverains.
Gain d’efficacité et d’argent
Ce tableau de bord convertit les estimations en scores numériques compris entre 0 et 100 : si la note est proche de zéro, la maison doit être démolie ; si la note approche 100, elle doit être vendue. Même si en bout de chaîne, les décisions doivent encore être formellement prises par un haut responsable, l’outil permet aux autres agents de procéder à des recommandations généralement toujours suivies par la hiérarchie. Seuls sont tranchés les scores au milieu du gué, autour de 50 points.
Bien sûr, l’outil n’a pas manqué d’intéresser d’autres villes américaines
Le procédé BlightStat, une fois rodé, aurait apporté à la ville un gain d’efficacité indéniable, mais aussi des gains sonnants et trébuchants.
Depuis 2014, la ville a ainsi pu collecter 3,4 millions de dollars en règlement après saisie. Bien sûr, l’outil n’a pas manqué d’intéresser d’autres villes américaines : il a été choisi par le Ash Center for democratic governance and innovation de l’université de Harvard, en tant que « Bright idea in Government », et se décline dorénavant dans d’autres villes.