« La population ne veut pas qu’une réponse répressive à la délinquance »

Stéphane Menu

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« La population ne veut pas qu’une réponse répressive à la délinquance »

320px-French_Police_p1230006© 2007 David Monniaux

© 2007 David Monniaux

Pour Laurent Mucchielli, sociologue au CNRS et responsable de l’Observatoire régional (Paca) de la délinquance et des contextes sociaux, la perception de la délinquance à Marseille est moins alarmiste que les médias l’assurent. Conviction forgée par une récente étude de victimisation aux résultats à contre-courant.

Avec quarante enquêteurs de terrain, vous avez sondé 3000 Marseillais sur les violences et les discriminations. Pourquoi une telle démarche scientifique ?

Il ne s’agit nullement dans mon esprit de substituer cette étude ((Présentation faite lors des 5es journées d’études de l’Observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux (ORDCS). Cette étude est mise en ligne et commentée sur le site de Laurent Mucchielli : www.laurent-mucchielli.org)) aux statistiques officielles du ministère de l’Intérieur. C’est un éclairage différent, lié à la difficulté reconnue par tous de quantifier les effets et les impacts de la délinquance ou des violences.

« Les deux principales sources de violences sont des actes de dégradation sur les voitures ou le fait d’avoir subi des propos humiliants. »

Ces enquêtes de victimisation ont été importées en France dans les années 80. Elles mesurent la fréquence des violences de toutes sortes subies par la population, des violences classiques (vols, cambriolages, vols avec violence, etc.) aux violences dites institutionnelles, comme les discriminations, voire les insultes. Tous les éléments qui nourrissent le contexte de perception de la violence… Puisque les statistiques de la police et de la gendarmerie ne prennent en compte qu’une démarche de dépôt de plaintes, il est important de savoir comment l’insécurité est vécue dans le quotidien des personnes.

Vous en arrivez à la conclusion que Marseille est une ville normale en matière de délinquance. Pourtant, 54 % des 3000 personnes sondées avouent avoir été confrontées à un des items délictuels que vous citez…

C’est là que la plus grande des prudences s’impose. Je ne suis pas pour étayer une conviction. Je recueille des données chiffrées qui parfois contredisent des violences extrêmes, comme les règlements de comptes à Marseille. Sur ces 54 %, les deux principales sources de violences sont des actes de dégradation sur les voitures ou le fait d’avoir subi des propos humiliants. Viennent ensuite les vols et les cambriolages, puis, en quatrième position, les violences sur les personnes.

Ce ne sont donc pas 54 % des personnes interrogées qui ont été confrontées à une forme plus extrême de la délinquance, mais 54 % qui ont eu, de façon plus ou moins grave, à se colleter à une forme de violence.

laurent-mucchielli sociologue cnrs délinquance16 % des personnes (seulement) portent plainte…

Chacun d’entre nous applique une échelle de gravité face aux agressions que nous subissons. Nous portons plainte pour les vols de voiture, mais moins pour les violences policières, car nous supposons qu’il sera difficile de prouver sa bonne foi.

Autre réalité d’ordre administratif : selon la gravité des cas, depuis quelques années, il n’est plus nécessaire de déposer plainte au commissariat pour justifier de sa bonne foi auprès des assurances.

Après, il est clair aussi que beaucoup de nos concitoyens considèrent que la police est impuissante face à la délinquance. Enfin, certains redoutent des représailles.

On pourrait imaginer que la population, dans sa grande majorité, compte sur le renforcement des effectifs policiers pour faire face à la délinquance. Ce n’est pas ce qui dit cette enquête.

Oui, c’est le côté encourageant de cette étude. Quand on demande aux personnes interrogées quelles seraient leurs priorités si elles étaient en responsabilité, la lutte contre l’échec scolaire arrive en tête (39,2 %), suivie de près par le développement de la prévention auprès des jeunes (36,7 %) et de l’aide aux familles en difficulté (31,4 %). L’installation des caméras de vidéosurveillance n’arrive qu’en quatrième solution (24,7 %) et le recrutement de plus de policiers (24 %) en 5e position.

« La lutte contre l’échec scolaire arrive en tête des priorités, suivie de près par la prévention auprès des jeunes et de l’aide aux familles en difficulté. »

Nous sommes donc très loin d’une idée de la population très attachée à une réponse répressive de la délinquance. La perception de la délinquance est moins répressive qu’on ne le croit. Ce serait peut-être à méditer pour nos élus.

Même la perception de l’augmentation de la délinquance est contrastée...

En effet, si 48,8 % des sondés estiment que la délinquance a beaucoup augmenté ces dernières années, 42,6 % d’entre eux considèrent que ce sont surtout les médias qui en parlent davantage et 34,4 % qu’elle a un peu augmenté. Seuls 6,1 % considèrent qu’elle n’a pas augmenté. Si l’on pousse l’analyse dans le détail, on se rend compte que les personnes qui estiment que la délinquance a fortement augmenté sont les mêmes qui redoutent le rassemblement des jeunes, qui ont peur de sortir le soir. I

ls ont de faibles diplômes et regrettent que la police soit insuffisante.

« Les incivilités jouent un rôle amplificateur dans la perception d’une augmentation de la délinquance. »

Il y a donc une corrélation entre des craintes, parfois phobiques, et le constat d’une délinquance accrue. Or, le rassemblement des jeunes par exemple peut provoquer de la nuisance sonore, de la gêne, mais on ne peut pas considérer qu’il est un facteur clé de la délinquance. En fait, on se rend compte que les incivilités jouent un rôle amplificateur dans la perception d’une augmentation de la délinquance.

Les résultats de cette étude contredisent donc certains discours politiques.

On sait que certains à l’UMP et au FN en font un fonds de commerce électoraliste. Par exemple, le débat en cours sur la réforme pénale menée par Christiane Taubira est emblématique de slogans simplistes et faux, dégainés pour la discréditer. On discrédite par avance, en assurant que cette réforme va vider les prisons, ce qui est une ânerie, et on empêche ainsi un débat sur la légitimité de la peine de prison dans notre société. Il ne s’agit ni de basculer dans l’angélisme ni de se laisser aller à un quelconque catastrophisme. La délinquance est un phénomène social à évaluer avec le plus de soin.

La ville de Marseille a-t-elle réagi à cette étude ?

Elle a brillé par son absence tout au long de l’élaboration de l’étude. J’ai invité les collectivités, la police, la gendarmerie, les représentants de la justice le 17 juin, lors de la restitution publique de cette étude. Policiers et magistrats étaient présents, pas la ville de Marseille.

 « Nous en faisons le constat depuis des années : la population regrette la fin de la police de proximité. »

Les sondés regrettent d’ailleurs le manque de présence de la police municipale dans les rues de Marseille…

C’est dans la droite ligne des constats que nous faisons depuis des années, à savoir que la population regrette la fin de ce que l’on a appelé la police de proximité ou encore l’îlotage. Les personnes considèrent que la présence visible de la police est un facteur de tranquillisation de l’espace public.

Mini CV
Sociologue, Laurent Mucchielli travaille depuis des années sur la violence et ses représentations publiques biaisées, à partir d’études de terrain, qui établissent des statistiques du sentiment ressenti par la population. En 2014, il a publié « Criminologie et lobby sécuritaire, une controverse française » aux éditions de La Dispute. www.laurent-mucchielli.org

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