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Bon, c’est sûr qu’annoncer la suppression de l’ENA, ça claque. Un peu populiste sur les bords, mais ça a de l’allure que de se confronter aux grandes aristocraties de l’État. Mais après, il faut que ça suive. Il ne suffit pas de dire ce qu’on arrête, mais aussi par quoi on remplace. Alors, que propose Frédéric Thiriez qui serait à la hauteur de l’enjeu et que peut-on en dire ?
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Les élites sauront s'adapter
Certaines choses n’ont pas vraiment d’importance : le nom de l’école, son statut d’établissement d’enseignement supérieur, son rattachement à une université. Pas négligeable, mais pas essentiel. Il y a ensuite le socle commun avec les sept grandes écoles de service public, le travail par groupes d’élèves, les stages pratiques… Ce mouvement a été engagé il y a plusieurs années, il est par exemple déjà largement mis en œuvre à l’Inet, et c’est heureux. Qui ne se réjouirait pas d’une formation plus pratique, avec davantage de travail collectif et de terrain ?
On voit bien aujourd’hui à quel point il fonctionne comme une implacable machine à reproduction sociale
Là où c’est plus intéressant, c’est le concours. On voit bien aujourd’hui à quel point il fonctionne comme une implacable machine à reproduction sociale. La voie royale Louis Le Grand-Sciences Po-ENA marche toujours et encore pour les mêmes. L’ouverture du concours aux étudiants à l’université, des épreuves qui valorisent la réflexion personnelle… c’est bien, mais ça ne résoudra pas le problème évoqué ci-dessus. Gageons que nos élites sauront s’adapter à cette nouvelle donne pour qu’elle leur bénéficie.
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C'est tout un système qu'il faut reconstruire
Car la réalité de l’indispensable révolution proposée se mesurera à deux éléments essentiels : le classement de sortie et la mixité sociale du recrutement. Frédéric Thiriez propose de supprimer le premier. Reste à savoir si l’intéressant – sur le papier – dispositif de recrutement dans les administrations centrales mettra fin aux scandaleuses dérives de la « botte ».
Quant à la mixité sociale, on est dans du Descoing. Mais dix places sur 130 réservées sous conditions de ressources des familles après un « concours spécial expérimental », c’est une blague. À l’heure où notre démocratie et notre République meurent de l’entre-soi des élites et de la loi d’airain de la reproduction sociale, c’est tout un système qu’il faut reconstruire. L’accession à la haute fonction publique n’en est qu’une petite partie, mais si symbolique et essentielle : comment se contenter de ces propositions ?
Si le président de la République veut faire bouger les choses, il supprimera l’inspection des finances et le classement de sortie
Enfin, considérons qu’on n’aura rien fait tant qu’on ne se sera pas attaqué au principal problème créé par les dérives énarchiques : le pantouflage et la scandaleuse porosité entre le monde de la finance et celui de l’inspection des finances. En clair, si le président de la République veut faire bouger les choses, il supprimera l’inspection des finances, supprimera le classement de sortie et proposera un dispositif très ambitieux pour assurer la mixité sociale du recrutement. Sans ça, cette opération n’aura été que du pipeau.