Moi, je crois à l’importance des valeurs. Vous savez, équité, responsabilité, entraide, liberté, exemplarité, efficacité, équilibre, générosité… Chacun les siennes, mais en avoir. C’est pourquoi, je roule à bicyclette et je fais mes courses chez mon voisin. Il est producteur bio. Maintenant toutes les grandes entreprises communiquent autour de leurs valeurs. C’est payant les valeurs, c’est vendeur. Même les partis politiques. L’ennui c’est qu’ils parlent toujours de leurs valeurs mais sans les nommer, car, petit problème, gauche ou droite, ce sont souvent les mêmes.
Montée de sève
Les valeurs, ça fait marcher le monde. C’est la solidarité avec les peuples opprimés qui met les gens dans la rue, c’est l’indignation, c’est la justice, c’est l’égalité. La force des valeurs, c’est la capacité à rassembler. Qu’il est bon, alors, de communier avec d’autres dans la même foi en quelque chose, de vibrer à l’unisson pour une même espérance et de s’engager ensemble dans une même action solidaire et courageuse. Parfois ce qui se passe est perçu comme une puissante montée de sève égalitaire. C’est une sorte de transe, un basculement, une modification des consciences. Les valeurs sont à l’œuvre : elles regroupent, transforment, entraînent. C’est superbe.
Seulement voilà, progressivement on peut déchanter dès que la mobilisation collective doit se transformer en engagement individuel. Eh oui, à un moment, il faut mettre les slogans en pratique : pas de reconduite à la frontière, mais je ne peux pas héberger un sans-papier tout de même ! D’ailleurs pourquoi a-t-il quitté son pays ? Pas de centre d’enfouissement des déchets, qu’ils soient nucléaires ou autres, ici. Mais surtout, pas dans mon jardin !
Le chacun pour soi est sans avenir
Dès lors qu’au lieu d’agir immédiatement selon ses solidarités par exemple, on tergiverse, on interroge, on ratiocine, il faut comprendre que la rationalité, la réflexion personnelle tuent l’enthousiasme et minent la puissance mobilisatrice des valeurs collectives. Il n’est pas toujours nécessaire de réfléchir à fond, ni de lire beaucoup pour agir selon ses valeurs.
Plus que l’appartenance à des groupes ou à des mouvements, certains pensent que ce sont les options personnelles qui comptent. Ils ont tort. Le chacun pour soi est sans avenir. Pour toutes sortes de raisons. Prenons-en une. La terre se peuple, vous l’avez sans doute remarqué lorsque vous cherchez un coin de plage, une route tranquille, ou que vous faites la queue au magasin, ou que vous espériez passer un dimanche au calme, sans tondeuse dans le quartier.
On peut toujours râler, pester, chercher une destination lointaine (mais même Punta del Este est une destination très prisée maintenant), les gens sont partout. Notre planète est répertoriée dans ses moindres recoins, exploitée. Ses ressources, on le sait, sont limitées. Alors il va bien falloir cesser de penser indéfiniment, d’écrire des livres et des rapports, et agir, autrement, maintenant et vraiment. Vivre ensemble, simplement, se respecter, s’encourager. Partager l’espace, la nourriture, le temps. Il faut bien raisonner à une autre échelle, collective celle-là. Nos frontières individuelles, encore protégées pour les plus riches, vont devenir de plus en plus fragiles. Les survivalistes sont des gens sinistres et inquiétants.
Le service public est encore le meilleur garant de la gratuité, de l’égalité d’accès, de la solidarité, de l’harmonie dans l’aménagement, de la propreté…, à condition de rester garant de ses valeurs et, entre autres, de son indépendance.
