522_LABNORTH2
C’est l’histoire d’un quartier d’affaires comme il en existe dans de nombreuses grandes villes. Mais ici, sa construction a contribué à faire émerger un néologisme : la « Bruxellisation ». Un terme utilisé par les urbanistes pour désigner des bouleversements urbanistiques de grande ampleur menés par des promoteurs, sans projet global et au détriment du cadre de vie des habitants.
Se réfugiant derrière une « nécessaire modernisation » à l’époque de l’exposition universelle de 1958, la ville de Bruxelles expropria des milliers d’habitants et l’ancien quartier, pan du patrimoine historique local, fut rasé sur 53 hectares. L’objectif des promoteurs était d’aménager un quartier d’affaires semblable à celui de New York. Des tours, un quadrillage au sol, mais aucune réflexion quant à l’articulation avec les quartiers limitrophes. Les initiatives étaient laissées aux mains des promoteurs.
Le Quartier nord ne vit pas
Quarante ans plus tard, le constat est sans appel : le quartier d’affaires n’attire plus. Désormais, les sociétés capables de louer une tour entière de 28 étages avec un bail de vingt ans, ça n’existe plus. Des dizaines de milliers de mètres carrés de bureaux restent inoccupés et ceux qui s’y sont installés, comme Engie, Proximus ou la Région, se côtoient sans créer aucune interaction entre eux.
Les tours vieillissent, le quartier ne vit pas, il est imperméable à son environnement direct et les élus s’en sont détournés.Car un quartier d’affaires, d’une part, est très faiblement porteur en termes d’électeurs. Et d’autre part, selon les élus, ce qu’avaient commis les promoteurs, les promoteurs n’avaient qu’à le réparer eux-mêmes. « Si on regardait un plan de Bruxelles, raconte Alexandre Mussche, l’un des organisateurs du projet de revitalisation, il y avait comme un trou en plein centre de la ville. Un endroit délaissé, une insécurité forte, aucune vision ni stratégie. »
Sur chaque étage, 40 % de l’espace est partagé entre les occupants
C’est donc le privé qui a repris les choses en main il y a deux ans. Autour de la table : une association de propriétaires et de promoteurs du Quartier nord, l’agence de design de politiques publiques Vraiment Vraiment, dont Alexandre Mussche est le cofondateur, le bureau d’architecture 51N4E et le think-tank Architecture Workroom Brussels. Réunis dans une coalition nommée « Lab North », ces acteurs ont souhaité trouver des alternatives à la solution qui se profilait : détruire purement et simplement l’une des trois tours du World Trade Center pour la reconstruire. Un non-sens écologique, pour cette équipe.
Aussi, pour prouver qu’elle pouvait rester attractive si des projets prenaient vie à l’intérieur, tous se sont installés dans les locaux vides. Bien sûr, une rénovation restera nécessaire. Mais il est possible de procéder à des travaux beaucoup moins coûteux que la première option envisagée.
Changer l’ambiance du quartier d'affaires
En s’installant dans ces murs au cœur du Quartier nord, « nous nous sommes dit qu’il fallait vivre ce quartier au jour le jour, pour comprendre ce qui dysfonctionne et ce qui fonctionne », détaille Alexandre Mussche. Les équipes se sont installées au seizième étage d’une tour qui en compte 28. « Les architectes du projet ont une très fine connaissance de la tour. Ils savent comment, par de tout petits gestes, changer l’ambiance : enlever quelques murs, mettre plus de chauffage, créer des zones de rencontre… »
Sur chaque étage, 40 % de l’espace est partagé entre les occupants. « Par exemple, un étage réunit beaucoup de free-lances liés au monde du cinéma, du son, de la radio. L’espace qu’ils partagent est composé d’un studio et d’une petite salle de cinéma », décrit Alexandre Mussche. « On a essayé de casser la devise « chacun son espace » : ces lieux sont partagés avec le public également. La salle de cinéma organise des projections où sont conviés les habitants des quartiers environnants, et ça fonctionne. » Car l’objectif est non seulement de revitaliser les tours, mais aussi de créer des passerelles jusque-là inexistantes entre le quartier d’affaires et les quartiers populaires voisins.
L’objectif est de revitaliser les tours, mais aussi de créer des passerelles entre le quartier d’affaires et les quartiers populaires voisins
Au fil du temps, une quarantaine d’acteurs s’y sont installés : des travailleurs indépendants, des entreprises pouvant compter jusqu’à trente salariés, des administrations et même l’université flamande. En fin d’année, la tour sera rénovée. La perspective d’une destruction pure et simple est éloignée. Le temps des travaux, les équipes investiront une autre tour.
Lire aussi : Amsterdam-west : la démocratie participative à l'épreuve du terrain
Faire vivre la rue
Outre ce projet « intra-muros », le collectif tâche également de faire vivre la rue et les pieds d’immeubles, qui comptent de rares commerces. Un « bike repair café » a vu le jour en occupation temporaire pour tester son implantation dans un quartier en phase de revitalisation ; des potagers ont été aménagés sur le toit d’un immeuble ; des tables et du mobilier urbain ont été installés lors de la journée sans voiture organisée en septembre dernier. Devant le succès rencontré, ce mobilier n’a pas été ôté : il sert désormais aux employés des tours à l’heure du déjeuner, mais aussi aux habitants pour qu’ils s’approprient la rue. Disproportionnées, certaines avenues de deux fois deux voies devraient subir un profond lifting.
Lire aussi : Agriculture et urbanisme : la nécessaire cohabitation
« Réfléchissons ensemble à l’aménagement »
Et ce lifting pourra avoir lieu grâce à la réapparition… des pouvoirs publics. Devant l’enchaînement d’initiatives, les élus locaux ont à leur tour réinvesti les lieux. Une sorte de réappropriation, après des années de déshérence. « À Bruxelles, précise Alexandre Mussche, il y a un vrai sujet de privatisation du foncier public, qui a fait beaucoup de mal dans les années 1980 et 1990. Aujourd’hui enfin, on entre dans une phase beaucoup plus collaborative. »
Des ateliers sont organisés conjointement avec les acteurs privés du projet et la municipalité. « Il y a des ateliers sur la programmation commerciale, les infrastructures, la mobilité… nous cherchons ensemble des solutions pour surmonter la plus grande difficulté : une autoroute devait traverser le quartier d’un bout à l’autre, au milieu, d’où ces vastes boulevards. Aujourd’hui nous réfléchissons ensemble à l’aménagement. Et cette démarche est assez nouvelle à Bruxelles. »
Il aura fallu que des acteurs privés s’emparent du dossier, pour que les acteurs publics se réinvestissent à leur tour
Il aura donc fallu que des acteurs privés s’emparent du dossier et réalisent des changements notables et rapidement visibles, pour que les acteurs publics se réinvestissent à leur tour. Et grâce à eux, il est possible, désormais, d’envisager des actions sur le long terme : penser des projets d’aménagement urbanistique à l’échelle du quartier dans une gouvernance public-privé, envisager les espaces de travail de demain, mais surtout leur imbrication dans la ville, pour en faire un endroit à nouveau vivant et attractif pour les habitants.