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À l’ère du tout connecté, de la multiplication des robots, d’une société où l’on vivra vieux et de tant d’autres évolutions en profondeur, à quoi devra ressembler la fonction publique ? Le Conseil économique social et environnemental participe à la réflexion dans un avis portant sur « l’évolution de la fonction publique et des principes qui la régissent ».
Avec 150 votes « pour » et 26 abstentions, le Conseil économique social et environnemental (CESE) a adopté, le 24 janvier dernier, l’avis portant sur « l’évolution de la fonction publique et des principes qui la régissent ». Saisie par le Premier ministre de l’époque Manuel Valls, la commission (( Commission constituée d’une trentaine de représentants de tous les groupes de la société civile : syndicats, patronat, agriculteurs, associations environnementales, etc.Deux groupes se sont abstenus : FO et CGT.)) n’a eu que deux mois pour faire le tour du sujet. En si peu de temps, force est de reconnaître que le miracle… n’a pas eu lieu. Pas de chiffres, pas de budgets avancés, pas de vision prospectiviste de la fonction publique à horizon 2050. Le CESE s’est bien gardé d’édicter des recommandations à l’emporte-pièce, du style : « il faut réduire tel secteur, revoir tel autre, créer 100 000 emplois ici, en enlever là ».
Le Conseil s’est efforcé de proposer des indications de méthode pour qui voudrait se donner les moyens de réformer la fonction publique.
Les experts du CESE ont beau être studieux et performants, ils n’ont ni super-pouvoir, ni celui de lire dans le marc de café. En revanche, le Conseil, dans l’avis qu’il a rendu, s’est efforcé de prendre un peu de hauteur, de proposer des indications de méthode, dans l’optique de préparer le terrain… à qui voudrait se donner vraiment les moyens de réformer la fonction publique. Et qui pourrait en avoir l’intention ? À n’en pas douter : le futur président ou la future présidente de la République.
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Enjeu de cohésion sociale
Premier enseignement, issu de deux mois de consultations d’experts de la fonction publique et de brainstorming : « il faut faire attention à ce que l’on fait avec la fonction publique, étant donné l’enjeu de cohésion sociale qu’elle incarne. 5 400 000 fonctionnaires : ce n’est pas rien… ». Voilà, en substance, l’avertissement que lance le CESE au futur locataire de l’Élysée… Tous les membres de la commission en sont convaincus : la fonction publique est un puissant levier de cohésion sociale, même s’il n’est pas le seul. Il suffit de regarder la place tenue par les fonctionnaires dans le fonctionnement de l’hôpital, dans l’enseignement, dans les services sociaux dans la fonction publique territoriale, etc.
Tous les membres de la commission en sont convaincus : la fonction publique est un puissant levier de cohésion sociale.
Certes, il y a eu des discussions de fond entre les membres de la commission, confie Michel Badré, co-rapporteur, avec Nicole Verdier-Naves, mais nous ne sommes pas restés sur des positions de principes où les syndicats auraient dit : « on ne touche à rien ! ». Et au contraire, en face, d’autres auraient dit : « il faut réduire la fonction publique de trois quarts ». Ce n’est pas parce que les participants n’avaient pas envie de se disputer ! Mais il est apparu à tous que la cohésion sociale est un point essentiel à préserver ».
Projet de société
Deuxième enseignement qui émane des méninges de la commission du CESE : il faut penser l’avenir de la fonction publique dans toutes ses dimensions à la fois : ses missions, ses objectifs, ses enjeux, et le tout à l’aune du contexte actuel… « En clair, il ne faut surtout pas commencer par dire : il faut faire des économies et donc on va supprimer tant de postes et après on se demandera comment gérer les enjeux sociétaux », lance Michel Badré. Autrement dit, la fonction publique est une pièce maîtresse dans un projet de société, qui s’articule avec ce dernier. Sur ce point, encore : adhésion unanime des membres de la commission « y compris des représentants des entreprises et de professions libérales, des syndicats de fonctionnaires, etc. », insiste le co-rapporteur.
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Maintenir les grands principes
Troisième idée centrale dans le travail remis par le Conseil : les principes généraux de la fonction publique et le statut de fonctionnaire, inscrits dès l’origine dans la loi, sont loin d’être obsolètes. Un tantinet frileux pour le coup, le CESE ? On aurait pu s’attendre, en effet, à davantage de nuances…
Les représentants du monde de l’entreprise n’ont-ils pas bataillé pour exiger la remise à plat des prérogatives de la fonction publique ? N’ont-ils pas carrément plaidé pour sa suppression, comme certains ne se privent pas de le faire sur la place publique ? Étonnamment, non ?
Un tantinet frileux pour le coup, le CESE ? On aurait pu s’attendre, en effet, à davantage de nuances…
À croire que le fonctionnaire bashing n’est que de l’esbroufe. De là, à ne toucher à rien… « Mais les règles dès l’origine n’étaient pas idiotes ! », répond Michel Badré. Outre le fait d’apporter des garanties pour le fonctionnaire en termes de maintien d’emploi, les créateurs de la fonction publique en 1945, puis les rénovateurs de la loi au début des années quatre-vingt, ont apporté aussi des garanties à la société, en préservant les fonctionnaires de la corruption, en protégeant leur indépendance de jugement par rapport à toutes les pressions économiques, politiques notamment…
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Davantage de mobilité et de diversité
Quatrième point : les marges de souplesse existent dans la fonction publique et ne sont pas suffisamment explorées. Enfin, le CESE appelle à l’action, que ce soit, dans les modalités de recrutement, dans les possibilités de mobilité au cours de carrière. Et d’encourager les passerelles entre secteurs public et privé, en vue du partage d’expériences.
« Les postes de certains secteurs de la fonction publique sont occupés surtout par des hommes blancs et riches pour dire les choses rapidement… »
Autre marge d’amélioration pointée par le CESE : viser une meilleure représentation de la société civile. « L’idée n’est pas très originale reconnaît le co-rapporteur mais la fonction publique est en décalage avec la structure sociale […]. Les postes de certains secteurs de la fonction publique sont occupés surtout par des hommes blancs et riches pour dire les choses rapidement… ». Or, les dispositifs existent pour changer cet état de fait, il suffit de s’en saisir.
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Anticiper les reconversions
Cinquième élément : le CESE tape cette fois sur les doigts de la fonction publique. La pénibilité et l’usure au travail doivent être mieux prises en compte. Au bout d’une vingtaine d’années dans certains métiers, il devrait pouvoir être envisagé, très facilement, des possibilités de reconversion, afin de ne pas laisser les agents dans des situations inconfortables, aux prises avec des difficultés d’ordre psychique ou psychologique. Les décisionnaires ont trop tendance à laisser le déroulement de carrière s’effectuer. « Il faut prévoir des entretiens avec des personnes hors hiérarchie et enclencher des formations adéquates, qui soient mises en place très tôt », étaye le co-rapporteur.
Organiser des assises nationales et territoriales
Enfin, s’agissant de guider l’évolution de la fonction publique pour répondre aux enjeux de la société, le CESE propose un mode opératoire. Et de s’adresser, une fois de plus, ostensiblement, au futur locataire de l’Élysée… Tout d’abord, le Conseil recommande que soit entreprise une réflexion prospective sur les mutations de la société dans les dix à quinze ans (numérique, robots, climat, Europe, etc.) avec plusieurs scénarios. Partant de cette vision prospective, le CESE suggère de lancer des assises nationales et territoriales partout en France. Cette concertation est nécessaire. Elle prendra du temps, plusieurs mois. « Mais c’est un préalable incontournable aux arbitrages à faire, et aux décisions politiques qui seront à prendre ».