Handicap_maison
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Premier postulat : nous sommes tous des handicapés potentiels
Nous sommes tous des handicapés potentiels, tout simplement parce que notre regard sur le handicap n’est pas le bon : nous voyons, dans nos schémas mentaux, le handicapé comme celui qui se déplace en chaise roulante. C’est une version tronquée et étriquée. Il existe en effet plusieurs formes de handicaps et le premier d’entre eux est celui de la perte d’autonomie liée à l’âge. Avec le vieillissement de la population et la volonté de maintien à domicile, c’est sans doute un des principaux risques. Renoncer aux normes handicapés, c’est renoncer à cette volonté de savoir vivre ensemble dans la durée, en permettant à des personnes âgées de vieillir dans leur logement sans devoir faire des travaux d’adaptation.Le premier des handicaps est celui de la perte d’autonomie liée à l’âge.Ensuite, il convient de préciser que les décrets sur l’accessibilité (17 mai 2006) ne visaient pas que les occupants du logement : « Est considéré comme accessible aux personnes handicapées tout bâtiment d’habitation collectif ou tout aménagement lié à un bâtiment permettant à un habitant ou à un visiteur handicapé, avec la plus grande autonomie possible, de circuler, d’accéder aux locaux et équipements, d’utiliser les équipements, de se repérer et de communiquer. Les conditions d’accès des personnes handicapées doivent être les mêmes que celles des autres publics ou, à défaut, présenter une qualité d’usage équivalente ». C’est donc une vision globale que de considérer que le visiteur a également sa place dans le logement, voire même, dans un contexte de familles mouvantes (décohabitations, retour des enfants, etc.), qu’il faille penser à une mutation régulière du parc (10 % du patrimoine change de mains chaque année).
Deuxième postulat : est-ce réellement une économie que de réduire la norme ?
L’abandon de la norme handicap dans les logements est une mauvaise idée parce que cette norme a un coût qui a été depuis longtemps intégré dans les prix de revient. On se pose moins la question de l’inflation foncière, de la surenchère sur les opérations entre les promoteurs (qu’ils soient sociaux ou de promotion privée), que de la norme handicap. Il est exact que c’est plutôt l’empilement des normes qui pose problème, mais celle-ci est peut-être absorbable par la réflexion sur l’industrialisation de la construction. On constate d’ailleurs que dans la composition du prix d’un logement, ce qui a le plus augmenté ces dernières années, c’est la multiplication des diagnostics et attestations en tous genres (sismique, acoustique, pour ne citer que les dernières).Renoncer à la norme handicap, c’est se priver de l’émergence d’un parc adapté alors que le parc ancien n’est pas toujours prévu pour cela. Un seul exemple : il n’est pas rare qu’on ne puisse pas adapter les parties communes d’immeubles collectifs car les réservations d’ascenseurs sont trop petites, les portes sont trop étroites, ou parce que les logements ont des murs porteurs inadaptés. Dès lors, ces logements ne pourront jamais être mis aux normes, alors qu’ils peuvent répondre à des besoins réels de la population. Renoncer à la norme handicap en renvoyant les habitants atteints de handicap, ou réserver une partie de logements aux handicapés, peut être un choix jugé pragmatique mais il n’est pas nécessairement une solution, en tout cas « la » solution.Il faut d’ailleurs reconnaître que la norme handicap de 2006 n’est pas d’une contrainte énorme en termes d’équipements. Elle vise à prévenir plus qu’à traiter une réelle adaptation du logement. C’est peut-être une partie d’hypocrisie dans les propositions actuelles : cela permet de vendre des plus petites surfaces et donc de retrouver une clientèle (d’investisseurs et de propriétaires occupants) dont on comprend la logique et elle est parfaitement légitime ; chaque mètre carré a un prix, réduire les surfaces, c’est revenir avec des prix moins élevés (ou une pièce en plus pour les spécialistes de la construction de cages à lapin !).Renoncer à la norme handicap, c’est se priver de l’émergence d’un parc adapté.
Troisième postulat : faire reculer la norme, c’est faire payer le contribuable
La politique de construction des logements adaptés est aujourd’hui payée par l’acheteur (bénéficiaire handicapé ou non) ou le locataire. C’est exact que cela constitue une charge. Mais finalement, ce n’est pas au détriment de l’occupant qui peut bénéficier certes de toilettes XL, mais en même temps de pièces de vie plus grandes, d’une chambre dans laquelle il peut mettre un lit autour duquel il peut tourner etc. C’est donc un élément de confort dont il profite.En réduisant la capacité de construire des logements adaptés ou pour le moins adaptables, on va développer les projets d’adaptation des logements et, pour le coup, il faudra trouver les moyens de financer ces travaux d’adaptation : cela peut être fait par l’occupant quand il en a les moyens et qu’il est propriétaire, mais dans certaines situations, c’est la collectivité qui paye l’addition. Et on ouvre le bal du millefeuille : intervention de la maison départementale pour le handicap, des mutuelles complémentaires, de l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat, des collecteurs 1 % logement etc. Au-delà des questions financières, c’est une vraie artillerie administrative qui intervient !Le contribuable est donc sollicité et l’exemple vaut également pour les logements locatifs sociaux : les travaux reconnus comme étant des travaux d’adaptation des logements en faveur des handicapés ou des personnes vieillissantes peuvent donner lieu à des dégrèvements sur les taxes foncières sur les propriétés bâties, sur l’immeuble considéré. C’est donc, dans le cas d’interventions d’adaptation, la collectivité qui finance les travaux. Est-ce normal ? Cette stratégie est-elle durable ? Il y a fort à parier que, compte tenu des restrictions budgétaires, ceci ne peut pas perdurer. Cette question est saillante pour le parc collectif et elle l’est aussi pour le parc individuel. On se souvient de la proposition de loi adoptée autorisant les propriétaires à faire modifier des pièces de leur logement (garage) en surface habitable pour répondre à un besoin d’adaptation.Enfin, cette question est réellement cruciale à l’échelle de la collectivité et, dans ce domaine, nous avons assisté ces derniers mois à un report de décisions prises par la loi handicap de 2005. Le report pour les établissements recevant du public est un signal désagréable pour l’insertion du handicap dans la société. Ne soyons pas naïfs : le tout-handicap est peut-être excessif, mais n’oublions pas que « nous sommes tous des handicapés potentiels ». Une société qui laisse une place pour le handicap respecte au sens large une partie de sa population, âgée ou pas, dépendante ou pas, mais pour laquelle l’inclusion dans la vie de la cité reste prioritaire. Protestons contre les normes handicap, voyons en elles un facteur bloquant du marché immobilier, mais encore une fois, changeons d’angle de vue, élargissons le spectre de réflexion !CE QU'IL FAUT FAIRE Plutôt que de critiquer la norme handicap, il vaut mieux… • Parler de logements adaptés et adaptables Le logement adapté est celui qui permet de s’adapter au handicap précis. Le logement adaptable c’est celui qui, au cours de la vie, permettra une adaptation lors de l’apparition du handicap. • Mettre en place une véritable prospective À l’échelle des territoires sur le vieillissement cela permet de mesurer le besoin en termes de logements adaptés et adaptables, avec la collaboration des Clic. • Engager des opérations de mixité et de spécialisation Le handicap peut parfaitement s’intégrer dans des opérations dédiées : exemple des logements pour autistes autonomes. • Flécher un parc adapté et rendre les attributions réservées dans le parc locatif Les logements adaptés doivent profiter prioritairement aux personnes réellement handicapées. Cette solution est valable dans le parc social comme dans le parc privé locatif avec, pourquoi pas, une petite adaptation de défiscalisation contre une location de bien adapté. • Permettre des travaux dans les PLU À savoir permettre des transformations de surfaces pour des personnes handicapées, avec possibilité de dépasser le COS.