Le management sous l'angle du jeu

Bruno Cohen-Bacrie

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Le management sous l'angle du jeu

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Cela peut paraître a priori paradoxal, mais le jeu, souvent associé à l’apprentissage et à la stratégie, peut être un très sérieux outil de management. Avec pour conséquences une plus grande motivation et une meilleure cohésion des équipes... Vincent Belliveau, directeur général de Cornerstone OnDemand, nous expose son concept.

Vincent Belliveau, est directeur général EMEA de Cornerstone OnDemand, qui propose des solutions de gestion intégrée des talents et de la formation en mode SaaS. La société aide les organisations de toutes tailles à gérer l’ensemble du parcours du collaborateur depuis une plateforme unique, du recrutement aux évaluations de compétences, en passant par la formation.

D’où vient cette idée du jeu comme un outil de management ? Les deux univers paraissent ne pas aller ensemble…

Le paradoxe consiste bien sûr à vouloir associer le jeu, donc le plaisir, à une activité sérieuse comme des formations techniques. Cependant, ce paradoxe n’est qu’apparent car cette méthode a toujours existé. On peut prendre comme exemple le jeu d’échecs qui a longtemps fait partie de l’éducation des princes comme outil d’apprentissage de la réflexion et de la stratégie. Par ailleurs, les grands progrès de ces dernières années en matière de pédagogie ont montré chez les enfants que l’apprentissage par le jeu était réellement efficace. Ainsi, de nouvelles méthodes d’enseignement de la lecture sont apparues (d’ailleurs validées par l’Unesco) dans lesquelles les enfants s’amusent avec les lettres comme des personnages qui joueraient ensemble pour constituer les mots. Il est donc finalement tout naturel de vouloir réfléchir à une méthode équivalente pour les adultes, basée sur la motivation, la récompense intellectuelle et, pourquoi pas, la bonne humeur ! Ainsi, qui n’est pas fier de réussir un QCM à l’issue d’une formation ? Si on rend l’apprentissage attrayant, il est clair que les résultats en seront d’autant plus efficaces et l’investissement dans la formation intéressant pour l’entreprise. Le cas le plus connu est ainsi celui des simulateurs d’avion, outil absolument indispensable pour tous les pilotes que l’on retrouve aussi dans les boutiques de jeux vidéo.

Il est tout naturel de réfléchir à une méthode basée sur la motivation, la récompense intellectuelle et, pourquoi pas, la bonne humeur !

La ludification des outils et processus de travail joue précisément sur les mécanismes primaires de la motivation : nous avons tous en nous, à un degré plus ou moins développé, l’envie de gagner, de battre l’adversaire et, quand il n’y a pas d’adversaire désigné, de nous surpasser à nos propres yeux.

Existe-t-il beaucoup de jeux susceptibles « d’intéresser » des procédures managériales ?

Cela dépend bien entendu des compétences à acquérir. De façon générale, on peut analyser si des jeux existants peuvent par ailleurs aider à développer certains savoir-faire. Ainsi, la pratique d’un sport collectif peut permettre de favoriser le travail d’équipe et l’acceptation de règles communes à tous. Or, il s’agit bien de jeu puisqu’on dit « jouer » au rugby ou au foot par exemple. Si la compétence à développer est celle de la prise de parole, apprendre à « jouer » un rôle au théâtre peut aussi être efficace. En ce qui concerne l’utilisation d’outils informatiques, il est évident qu’un apprentissage par e-learning sera beaucoup plus efficace si l’interface utilisateur est conviviale et agréable, et si la formation est distrayante. Par exemple, chez Cornerstone, nous avons – comme pour toute société cotée en bourse – des formations obligatoires en conformité. C’est un sujet a priori peu attrayant. Cependant la formation que nos collègues des ressources humaines ont mise à disposition était basée sur une étude de cas amusante mettant en scène un personnage qui faisait tout ce qu’il ne fallait pas faire ! Cela prête à sourire mais rend l’exercice nettement moins fastidieux que ce qu’on pourrait craindre. L’apprentissage est ainsi facilité et les collaborateurs ne considèrent plus qu’ils perdent leur temps à suivre des formations obligatoires.

En quoi est-ce un moyen de motiver les salariés ?

Les applications et méthodes ludiques sont pertinentes et créatrices de valeur dans tous les domaines où il faut encourager la collaboration, par exemple les ventes et les processus d’innovation. Dans le management des équipes de vente, les entreprises ont longtemps accordé une grande importance à la performance individuelle. On sait aujourd’hui, notamment grâce aux récents travaux du Corporate Executive Board, que les équipes de ventes B2B les plus efficaces sont celles où le collectif et le relationnel prennent le pas sur la performance de l’individu isolé, aussi performant soit-il dans l’exécution de ses tâches. Inciter les commerciaux à collaborer au travers d’outils ludiques, sur le réseau social interne par exemple, a toutes les chances de donner de bons résultats. De même, dans tout processus de créativité et d’ouverture du processus d’innovation, une dimension ludique – sous forme de concours en équipe, par exemple – encouragera les collaborateurs à s’impliquer davantage dans la recherche de solutions en activant des mécanismes d’émulation et non de simple compétition. Ce n’est pas un hasard si Gartner prévoit qu’en 2015 50 % de l’innovation des entreprises sera « gamifiée ». Enfin, la ludification paraît une méthode particulièrement adaptée dans les contextes de changement et de transformation où l’enjeu est de favoriser l’adoption de bonnes pratiques. Par exemple, on peut très bien imaginer, dans le cadre de la mise en place d’un portail achats, un système de bonus ou de récompenses pour les directions qui respectent le mieux les contrats-cadres (pour les achats de voyages, de fournitures, etc.).

Ludification et retour à l’humain « Les entreprises cherchent à motiver et à entretenir dans la durée la motivation de leurs salariés, gage d’implication et donc de productivité. On constate clairement que la crise de ces dernières années et l’arrivée de nouvelles générations sur le marché du travail qui n’ont connu qu’une situation de l’emploi avec un fort taux de chômage ont considérablement amoindri les notions de dévouement et de loyalisme envers l’entreprise. En effet, si on peut se faire renvoyer et remplacer facilement, pourquoi s’impliquer ? La ludification est en fait un élément parmi d’autres d’un retour nécessaire à l’humain dans les entreprises. Face au risque d’avoir des collaborateurs qui se sentent parfois broyé par le système – et on voit bien l’accroissement tragique des cas de burn-out par exemple – il est indispensable que l’environnement de travail ne soit plus anxiogène mais favorise au contraire les relations sociales et la coopération ».

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