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Preston est une commune de 124 000 habitants située dans le Lancashire, au nord-ouest du Royaume-Uni. Longtemps, les habitants ont bénéficié de l’essor de l’industrie du coton. Mais les années 1980 ont connu la désindustrialisation et un net recul du niveau de vie des habitants. Pour combler le vide laissé par le départ des industries, la municipalité a misé sur une « pluie d’investissements ». Autrement dit, sur un réaménagement des friches industrielles pour attirer des investisseurs extérieurs.
Trouver des moyens pour que les dépenses des institutions et collectivités locales bénéficient d’abord aux entreprises du territoire
La clé de ce programme consistait à aménager 37 hectares de terrains municipaux pour construire un centre commercial géant, un complexe de cinéma, des restaurants, un terminal d’autobus et un grand marché. Mais ce programme estimé à 796 millions d’euros, signé en 2008, n’a jamais vu le jour. La faute à la crise boursière et au désengagement des grandes enseignes de supermarchés et de boutiques britanniques. Au moment du renoncement, Preston se trouvait à la 42e place sur 322 en termes d’indice de pauvreté, de chômage et d’exclusion financière, parmi les municipalités anglaises.
Le territoire doit profiter
Les élections municipales de 2012 sont celles qui ont permis de changer la donne : Matthew Brown, candidat et défenseur d’un nouveau régionalisme, a gagné avec une nouvelle vision. Partir de l’existant, et trouver des moyens pour que les dépenses des institutions et collectivités locales bénéficient au maximum aux entreprises du territoire. C’est en rencontrant Neil McInroy et Matthew Jackson, deux membres du « CLES », le « Centre pour des stratégies économiques locales », venus de Manchester et en quête d’une ville moyenne qui souhaiterait tester des outils nouveaux, qu’ils ont élaboré ensemble un programme innovant.
Les six principaux organismes publics de la ville avaient injecté par leurs achats environ 112 millions d’euros dans la ville
L’objectif : protéger la ville de l’extraction des richesses locales par des multinationales privées, et imposer de nouvelles normes environnementales et sociales. Le constat est simple : les grandes entreprises dopent leur rentabilité grâce au profit réalisé localement, mais « délocalisent » cette rentabilité, le territoire n’en profite pas.
Cleveland, l’autre « modèle Preston »
Juste avant la crise de 2008, la ville américaine de Cleveland, déjà durement touchée par la récession économique comme toutes les villes post-industrielles, cherchait un moyen d’endiguer la paupérisation locale. La ville devait affronter un paradoxe : celle d’assumer des infrastructures dignes d’une grande agglomération, avec hôpitaux et universités, tout en subissant une contraction de sa population et la fuite de grands groupes cotés en bourse.
Un think tank, Democracy Collaborative, a été mandaté par la Cleveland Foundation pour analyser les dépenses de la ville. Le premier constat concernait les institutions de la ville : à elles toutes, elles dépensaient trois milliards de dollars par an, mais seule une proportion infime de cet argent profitait à l’économie locale. Il devait y avoir un moyen de « relocaliser » ces dépenses, pour qu’elles bénéficient à une population dont la proportion de foyers vivant sous le seuil de pauvreté augmentait dramatiquement.
Plusieurs années ont été nécessaires pour mettre sur pied un véritable programme de fond : une buanderie et une ferme structurées sous la forme de coopératives ont vu le jour, et au fil des budgets, des fournisseurs locaux ont été favorisés lors des appels d’offres. Pour le directeur général du think tank, la stratégie mise en place est plus qu’une stratégie économique : « il s’agit d’une stratégie de transformation communautaire ».
Redimensionner les appels d’offres
À l’aide du CLES, la municipalité a élaboré de nouveaux outils d’analyse. Les dépenses de la municipalité et du comté, des écoles jusqu’à l’université, des hôpitaux ou encore de la police, ont été passées au crible. Le CLES a estimé qu’en 2013, les six principaux organismes publics de la ville avaient injecté par leurs achats environ 112 millions d’euros dans la ville et environ 285 millions d’euros dans le comté. L’objectif serait de faire grossir ces chiffres, en favorisant la relocalisation des achats lorsque cela est possible.
La commande a été rendue accessible aux producteurs locaux à qui ces marchés échappaient jusque-là
Pour y parvenir, les appels d’offres ont été totalement revus : leur dimension, souvent bien supérieure à la capacité des entreprises locales, a été réduite. Ainsi, pour les repas des écoles, l’appel d’offres a été divisé en neuf parties : distinction a été faite entre la fourniture de la farce des sandwiches, du verre de lait, des yaourts, du fromage… ce qui rendait accessible la commande aux producteurs locaux, entreprises et agriculteurs, à qui ces marchés échappaient jusque-là. Avec cette méthode appliquée aux principales institutions, en 2017, les sommes avaient presque triplé par rapport à 2013 pour la ville et doublé pour le comté.
La municipalité a-t-elle été perdante, sur le plan financier, sur ces nouveaux marchés ? Absolument pas, assure-t-elle. Les coûts des produits ont pu être réduits grâce à ce morcellement, tout en créant de nouvelles opportunités pour des PME locales.
Urbact, un programme de l’UE pour analyser les dépenses publiques
Depuis 2002, Urbact est un programme de coopération territoriale européenne dont l’objectif est de promouvoir un développement urbain intégré et durable dans les villes des États membres de l’UE, de Norvège et de Suisse. Sept villes sont réunies sous le thème « Making spend matter » ou « faire compter la dépense », et renforcent mutuellement leurs compétences en partageant leurs bonnes pratiques. Preston est l’une de ces sept villes, ce qui lui a permis à la fois de partager ses avancées concrètes pour inspirer d’autres collectivités, mais aussi d’affiner son propre modèle. Ainsi, la méthode utilisée à Prague lors des processus de passation de marchés, qui inclut des critères sociaux et environnementaux, a pu être adaptée à la configuration de Preston. De Candelaria, ville espagnole, ils se sont inspiré des méthodes de définition des budgets participatifs. Et ensemble, les sept villes ont partagé leurs stratégies mises en œuvre pour travailler plus efficacement et plus régulièrement avec les entreprises locales. Depuis, la ville de Preston est devenue partenaire du Partenariat pour des marchés publics innovants et responsables dans le cadre de l’agenda urbain de l’UE. Si cette collaboration va prendre fin avec le Brexit, l’UE aura néanmoins pu bénéficier jusque-là de cette coopération entre des villes soucieuses d’influer sur la vision de Bruxelles sur le rôle des appels d’offres et la place à dédier à l’économie locale.
Banque communautaire
Après cette première étape, des actions parallèles ont vu le jour pour continuer à soutenir l’économie locale. Outre la rédaction d’un manuel sur les marchés publics, pour partager son expérience, la ville prépare aussi un guide des appels d’offres pour les fournisseurs, afin que le plus grand nombre de PME locales ose franchir le pas.
Les conseillers étudient la « livre du Bristol », une monnaie locale pour stimuler la consommation avec des industries indépendantes situées sur le territoire
Preston souhaite créer une banque communautaire sans but lucratif, basée sur le modèle allemand, pour soutenir les créations et le développement de petites entreprises locales. Les conseillers étudient aussi la « livre du Bristol », une monnaie locale utilisée pour stimuler la consommation avec des industries indépendantes situées sur le territoire. Enfin, la ville souhaite stimuler la création de coopératives de travail sur des marchés qui répondraient à des besoins des institutions locales, et dont les salariés détiendraient les rênes.