Le nouvel étalon des talents

Maurice Thévenet

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La gestion par les talents est à la mode ? Soit, relevons ce défi qui bousculera nos organisations mais leur offrira aussi les perles rares dont elles ont besoin. Mais la gestion des talents ne saurait se limiter à un simple changement de perspectives : déceler les talents et les nourrir est une entreprise de longue haleine, qui mérite d'être prise au sérieux.

Depuis quelque temps, la gestion des talents a remplacé celle des ressources humaines dans les ouvrages et programmes de formation en Asie ou aux États-Unis. Malgré l'apparition de quelques problématiques spécifiques aux talents comme l'attraction ou la fidélisation, les deux « gestions » se ressemblent fort et certains voient dans cette transformation une nouvelle mue comme la fonction en a régulièrement connu en passant de l'administration à la gestion, du personnel aux affaires sociales avant d'échouer en ressources humaines il y a une trentaine d'années. Valorisante au moment de son apparition, toute dénomination se fane rapidement au gré de quelque effet pervers, d'une nouvelle mode ou d'un changement de notre système de représentation.

Une délicate combinaison

Si la gestion des talents, malgré ses particularités, procède d'une mode passagère, cela ne lui enlève pas son intérêt. Les modes sont toujours révélatrices d'une situation provisoire des mentalités, d'une perception conjoncturelle des problèmes et d'un espoir parfois démesuré dans de nouvelles solutions aux problèmes éternels.

Ainsi la notion de talent, combinaison rare de compétences rares((C. Dejoux, M. Th--évenet, Gestion des Talents - La GRH d'après-crise. Dunod, 2010.)), insiste sur la dimension personnelle de la gestion des ressources humaines. Les talents évoquent des caractéristiques personnelles inclassables, rares, uniques.

Les talents évoquent des caractéristiques personnelles inclassables, rares, uniques.

Ils suggèrent une gestion individualisée, ils repoussent toute approche mécaniste des problèmes humains. Alors, cette approche permet-elle de résoudre des problèmes nouveaux, ou ne fait-elle que mettre en évidence des problèmes particuliers difficiles à maîtriser ? Les responsables des ressources humaines et les managers doivent dans tous les cas se demander en quoi et comment ils doivent se préoccuper des talents. Trois réponses au moins peuvent leur être données.

Changer de perspective

Premièrement, certains peuvent attendre d'une gestion des talents qu'elle les aide à dépasser les impasses d'approches anciennes - par les compétences par exemple - qui ne donnent pas les fruits attendus. Quand on gère les personnes, une organisation peut s'intéresser à leurs aptitudes, c'est-à-dire leur capacité à faire ce que requiert un poste. En prenant de la taille et de la pérennité, les organisations ont évolué vers les qualifications permettant de décrire ces différentes aptitudes dans des catégories et un langage qui en rendaient possibles la comparaison, le classement et la hiérarchisation. Les compétences vinrent ensuite qui élargissaient le champ des aptitudes et envisageaient leur potentiel d'évolution : les compétences relevaient du même souci de décrire, trier, maîtriser des compétences inscrites dans des référentiels pour en faire un langage commun aux différentes personnes. Avec le talent, on en revient aux fondamentaux de l'aptitude car le talent est une unique capacité à faire ; il révèle en plus un potentiel de développement au-delà même de ce qu'il réalise actuellement : le talent, c'est l'unique et le développable.

 Le talent, c'est l'unique et le développable.

On peut comprendre que des organisations restent devant leurs référentiels de compétences comme une poule devant un couteau. Elles formalisent des référentiels, mettent en place l'évaluation des performances, dessinent des parcours professionnels, affinent leurs plans de formation : mais que faire ensuite quand on n'a pas toute la marge de manœuvre possible pour gérer des parcours personnels ? La gestion des talents oblige à changer de perspective, à remettre la personne au cœur, plutôt que la catégorie de compétences.

Des talents pour temps de crise

Deuxièmement, on peut s'intéresser à la gestion des talents parce que le terme recouvre des compétences ou personnes rares dont les organisations ont besoin, généralement toutes au même moment. L'ouvrage célèbre qui lance cette notion de « talent », La guerre des talents((Michaels E., Handfield-Jones H., Axelrod B., The war for talent. Harvard Business School Press, 2001.)), insiste sur la question démographique et le besoin des organisations d'attirer et de retenir les compétences rares nécessaires pour leur réussite.

 Les crises obligent à sortir des catégories et des référentiels existants, elles exigent des personnes autre chose que ce qui leur était demandé jusque-là.

Troisièmement, le talent est une notion pour temps de crise. Quand les organisations sont contraintes à innover rapidement dans leurs activités ou leur organisation du travail, quand elles ne disposent plus des ressources financières pour honorer leurs obligations, il s'agit de faire mieux ou plus avec moins de monde ou avec les personnels existants. Il est alors nécessaire de repérer en chacun des capacités qui n'avaient pas été forcément repérées ou utilisées jusque-là. Les crises obligent à sortir des catégories et des référentiels existants, elles exigent des personnes autre chose que ce qui leur était demandé jusque-là : une approche des trésors et ressources cachés s'impose, que vient sans doute aussi éclairer le soudain intérêt pour les talents.

Les trois principes d'une approche par les talents

Mais il ne suffit pas de savoir pourquoi se préoccuper des talents, encore faut-il disposer de quelques principes d'utilisation de la notion, faute de quoi le glissement sémantique se réduit à quelques gadgets. Avant de se lancer dans de nouvelles politiques ou pratiques relevant de la gestion des talents, trois principes méritent d'être rappelés. Ils caractérisent une approche par les talents en rompant avec d'autres approches plus traditionnelles.

En premier lieu, la gestion des talents requiert une certaine approche des personnes. Il ne suffit plus de dire qu'il n'est de richesse que d'hommes et de s'en tenir à un discours humaniste convenu. Prendre en compte les talents, c'est considérer que chacun en dispose et qu'il s'agit de contribuer à leur développement. Or, développer des talents ne consiste pas à satisfaire des personnes à court terme mais à les obliger parfois à passer par des processus d'apprentissage dont ils mesureront les bienfaits beaucoup plus tard. La gestion des talents rompt avec l'idée selon laquelle la satisfaction à court terme des personnes serait le premier objectif de la gestion des ressources humaines.

En second lieu, il faut toujours se rappeler que le talent ne va jamais sans travail. Cette combinaison rare de compétences rares suppose sans doute quelques prédispositions, elle est surtout le fruit de beaucoup de travail : les mondes de l'art et du sport, auxquels on emprunte le talent, sont là pour le prouver. Mettre en valeur les talents sera peut-être un moyen de valoriser le travail : dans le milieu professionnel comme ailleurs, il est le carburant essentiel du talent et cela pourrait remettre en perspective les politiques de formation dans l'entreprise ou à l'école.

 Mettre en valeur les talents sera peut-être un moyen de valoriser le travail.

En dernier lieu, on se souviendra de la parabole des talents dans l'Évangile, dont le Littré considère qu'elle contribue à forger le sens du mot. Un maître avait donné des talents (somme exceptionnelle correspondant à plusieurs années de salaire de l'époque) à chacun de ses serviteurs, en quantités différentes. À son retour, il demande à chacun ce qu'il a fait de ce don. Les bons serviteurs ont fait fructifier leurs talents, le mauvais l'a enfoui dans la terre pour le protéger mais il n'en a rien fait.

La morale de cette histoire, c'est que le talent ne concerne pas que les spécialistes des ressources humaines ou les managers. Il est aussi opposable aux personnes elles-mêmes, responsables également du développement de leurs propres talents : cela peut amener à reconsidérer quelques politiques de formation et de gestion de carrière.

TROIS MOTS CLÉS
Les trois approches des talents dans la gestion des ressources humaines ((D'après C. Dejoux, M. Thévenet, op.cité.))
- AVEC les talents
• Attirer
• Fidéliser
- SUR les talents
• Développer
• Reconnaître
- PAR les talents
• Repérer le talent au cœur de la stratégie
• Décider en fonction des talents

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