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Brest sera la première ville à mettre en service un téléphérique urbain en France. Il permettra de franchir la Penfeld, un fleuve côtier. « C’était construire un téléphérique sur 400 mètres ou un pont, levant qui plus est, pour laisser passer les bateaux de la marine. Cet ouvrage aurait coûté une fortune », lance Victor Antonio, directeur de mission tramway-téléphérique à Brest Métropole. Le choix paraît évident… alors qu’il y a quelques années à peine, les ingénieurs du secteur transport étaient plus que sceptiques s’agissant de transport par câble en ville…
L’État a, depuis, levé beaucoup de freins, les services « mobilité » des collectivités ont prêché l’idée et ont multiplié les visites de terrain à l’étranger où des téléphériques desservent des milliers de citadins…
Le téléphérique urbain a décidément tout pour plaire : économie d’énergie et coût très compétitif.
Une dizaine de projets de téléphériques sont désormais dans les starting-blocks, à Orléans, Toulouse, Grenoble, plusieurs en Ile-de-France, dont celui du Val-de-Marne (le Téléval), d’autres s’ajoutent à la liste… Le transport aérien par câble arrive comme à point nommé : les villes sont de plus en plus difficiles à traverser, saturées de coupures urbaines. Le téléphérique a décidément tout pour plaire : économie d’énergie et coût très compétitif. Mais, comme souvent, la nouveauté soulève, à juste titre, des questionnements.
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Vent, incendie, panne ?
« C’est le système de transport le plus sûr du monde, parce qu’il y a énormément de contrôle en conception. La période d’essai est assez longue puis la surveillance est ensuite continue » assure Victor Antonio. Le constructeur Poma est même très fier de souligner que « son » téléphérique de New York était le dernier transport à s’arrêter et le premier à reprendre lors de l’ouragan Kathrina et de la tempête Xynthia… Le transport par câble ne serait donc pas spécialement sensible au vent. « À 70 km/h, on ralentira et à 108 km/h, la limite autorisée, on s’arrêtera » annonce Victor Antonio.
Autre situation à prévoir, si un bâtiment prend feu au sol. Il faut pouvoir évacuer le plus vite possible les télécabines. Dans la ville bretonne, c’est vite vu. Le téléphérique survole uniquement des bâtiments de l’Armée. Ceux-ci seront connectés au système de surveillance du téléphérique. « Alerté, on pourra ainsi évacuer la ligne aussi vite que possible… ».
Un groupe de travail, réunissant l’État et le STRMTG (Service technique des remontées mécaniques et des transports guidés) travaille à mettre au point une réglementation spécifique au transport par câble urbain.
À Orléans, le téléphérique en préparation survolera 400 mètres de voies ferrées. La SNCF exige un niveau de sécurité très important. « En cas d’incident, il ne peut y avoir d’intervention au-dessus des voies, les télécabines doivent pouvoir revenir toutes seules » déclare Claire Chappuis, chargée de mission à la direction de la Mobilité, à l’agglomération orléanaise.
Enfin, histoire de rassurer les passagers en cas de panne, Brest a prévu un système de dialogue, à distance, avec les cabines (pouvant accueillir 60 personnes). La communication se fera depuis le poste commun avec les trams et des bus, à 5 kilomètres de là. « Ce système de communication ne devrait pas être imposé dans les petites cabines » annonce le directeur, très au courant : il fait partie d’un groupe de travail, réunissant l’État et le STRMTG (Service technique des remontées mécaniques et des transports guidés) pour mettre au point une réglementation spécifique au transport par câble urbain.
Riverains vigilants, voire réticents…
Le problème de survol des propriétés privées reste encore un point délicat, même si un décret récent ((Une loi de 1941 interdisait tout téléphérique de survoler à moins de 50 mètres des parcelles privées, a été abrogée. Le décret est sorti en décembre 2015.)) autorise désormais les télécabines à survoler moins haut qu’auparavant… « Il y a de vraies difficultés d’acceptabilité par les habitants… Plusieurs projets sont en difficulté parce que les riverains disent : je ne veux pas qu’on voit chez moi » relate Claire Chappuis. Les constructeurs vont devoir imaginer des solutions techniques pour ne pas voir dessous, tout en maintenant une bonne visibilité, pour les passagers, sur le panorama… Quid enfin de la valeur des biens immobiliers survolés ? Il faut s’attendre à quelques levées de boucliers. La réaction des habitants dépend aussi du contexte…
Les administrés des communes du plateau du Vercors ont refusé le projet de téléphérique urbain de la métropole grenobloise, craignant une invasion des urbains… et une hausse de l’immobilier sur leur plateau, quand bien même le câble leur facilitait l’accès « à la ville ».
Des administrés du plateau du Vercors ont refusé le projet de téléphérique urbain, craignant une invasion des urbains… et une hausse de l’immobilier sur leur plateau.
Le projet d’Orléans avance plutôt bien, il est vrai que seule une voie de tram et des voies ferrées de triage sont à survoler. « Ce n’est pas un simple sujet pour autant » prévient la chargée de projet. Les services de l’agglomération vont devoir tenir compte d’une contrainte importante : « pour intervenir sur le domaine de la SNCF, lors des travaux, il faut faire des réservations deux ans à l’avance ». Pas de réticence, côté habitants… Durant la concertation, les seuls riverains, installés côté gare, se sont tout de même interrogés sur le bruit. « Il y aura très peu de bruit, indique Claire Chappuis. Les moteurs du système seront même déportés à l’ouest… ».
Potentiel et coût
Sur le potentiel du transport par câble en France en milieu urbain, les avis sont partagés. Victor Antonio, lui, est conquis : « Les nouvelles lignes de tram ont beaucoup de mal à se financer… Il faut s’inspirer de villes qui ont beaucoup moins de sous, imaginatives comme Medellin ». Enthousiasme plus mesuré chez Charles-Éric Lemaignen, président de la communauté d’agglomération Orléans Val de Loire : « Si nous nous rendons compte que le télécabine, en cours de lancement, fonctionne bien, qu’il y a une appropriation… pourquoi ne pas reproduire l’expérience ». L’ingénieur spécialiste du logiciel de transports par câble, Nicolas Drecq, est lui aussi prudent : « C’est un moyen de transport complémentaire qui ne va ni tuer le bus, ni remplacer le tram… ».
C’est un moyen de transport complémentaire qui ne va ni tuer le bus, ni remplacer le tram…
Pour autant, Eiffage, Poma et la RATP, entre autres, travaillent, en tous les cas, main dans la main, sur un projet de R & D ((Projet baptisé « I2TC » pour Interconnexions transports en commun et technologies câbles.)) d’une durée de trois ans. Le projet est soutenu financièrement par des collectivités et l’État. Enjeu : « mieux adapter le transport par câble aux fortes contraintes urbaines, augmenter la vitesse maximale des transports par câble au profit de la fluidité et de la capacité, et réussir l’intégration urbaine de l’infrastructure ».
Selon l’avis de Cécile Clement-Werny, directrice d’études « Systèmes innovants et territoires spécifiques » au Cerema : « C’est surtout l’emprise au niveau de la station intermédiaire, qui est plus compliqué en milieu urbain, par rapport au tramway […] Attention aux coûts, on attend toutefois que les premiers projets sortent ».
Désenclavement urbain
Prochainement livré, le téléphérique de Brest détient également le record de rapidité de mise en œuvre. L’idée est sortie en 2010. En 2012, le projet entrait dans la phase opérationnelle… La motivation était forte. La mise en place du téléphérique est déterminante pour l’attractivité du nouvel écoquartier des Capucins en construction (560 logements, 20 000 m2 de développement économique, un cinéma, une médiathèque d’agglomération). Sans téléphérique, le quartier fonctionnait en cul-de-sac…
À Orléans également, un fort enjeu de désenclavement urbain est à la clé… Ce transport par câble ouvre la gare à l’ouest, en la reliant à un nouveau quartier en devenir.
La commande politique est d’ailleurs celle-ci : les premières livraisons d’immeubles doivent arriver fin 2018. Au 1er janvier 2019, le téléphérique urbain doit être en service. La construction de ce câble et le développement de ce quartier étant complètement liés, ils sont portés par la mission « Interives » de la communauté d’agglomération Orléans Val de Loire, accompagnée d’un maître d’ouvrage délégué pour le projet du téléphérique et de l’expertise de la direction de la Mobilité.
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