Les administrateurs veulent bousculer la territoriale

Nicolas Braemer

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Les administrateurs veulent bousculer la territoriale

Business man hitting brick wall with hammer

© ra2 studio

L'Association des administrateurs territoriaux vient de publier 20 propositions pour le service public local à l'attention des candidats à la présidentielle. Au menu, le maintien et la modernisation du statut ou un droit à l'expérimentation pour les collectivités locales. Mais aussi des mesures plus chocs, comme le rétablissement du jour de carence dans la fonction publique ou l'obligation d'installation des médecins dans les déserts médicaux. Le tout appuyé sur un sondage "miroir" confrontant la vision du public et des fonctionnaires sur le service public.

20 propositions, dont certaines « chocs » pour le service public local. Les administrateurs territoriaux sont entrés de plain-pied dans le débat présidentiel. L’AATF, Association des administrateurs territoriaux, a présenté mardi 28 février le produit d’une réflexion collective qui a abouti à une vingtaine de propositions pour faire bouger la fonction publique territoriale. Certaines de ces propositions risquent de gêner un peu.

L’AATF a fait les choses en deux temps : d’abord un sondage, réalisé par IPSOS, sur la perception qu’ont les français du service public en général, de la manière dont il est et doit être rendu par les collectivités locales et leurs fonctionnaires en particulier. Puis donc, 20 propositions, destinées à alimenter le débat sur le service public à l’occasion de l’élection présidentielle.

Elections des intercos au suffrage universel : Estelle Grelier monte au créneau
Estelle Grelier était aussi l’invitée de l’AATF. La secrétaire d'État chargée des collectivités locales n’a pas trouvé grand-chose à redire aux propositions de l’AATF. Mais elle est revenue sur son « dada », trouvant au passage que les administrateurs avaient mis un peu trop d’eau dans leur vin en « oubliant » le sujet : l’élection des conseillers communautaires au suffrage universel. Un peu facile peut-être de s’opposer à son ministre de tutelle, qui n’en veut pas, à quelques mois de la fin du mandat, mais Estelle Grelier a le mérite d’avancer des arguments : le fléchage entré en vigueur aux dernières élections étant inopérant, cette élection est à la fois une nécessité démocratique et le seul moyen d’imposer la présence des femmes dans les intercos. Chiche !

Des Français satisfaits, mais demandeurs

 Que nous dit donc ce sondage « les Français et le service public local ? ». Il a d’abord le mérite de mettre en miroir les opinions des Français celles des fonctionnaires territoriaux puisque IPSOS a interrogé deux échantillons, représentatifs des deux populations. On pourra donc confronter les réponses et voir si celles des territoriaux sont en décalage avec la population qu’ils servent. Disons tout de suite que c’est le cas, mais dans des proportions parfois surprenantes : globalement on peut dire que sur bon nombre de questions, le décalage n’est pas flagrant.

Le sondage montre une grande satisfaction des français vis-à-vis du service public local, mais aussi des attentes

Le sondage donc. Pour faire court (l’intégralité de l’enquête est disponible sur le site d’IPSOS (http://www.ipsos.fr/decrypter-societe/2017-02-28-francais-et-service-public-local), il montre une grande satisfaction des Français vis à vis du service public local. Ils considèrent à 84 % que le service public de proximité doit être confié aux collectivités locales et sont satisfaits à 72 % du service qu’elles rendent. Mais attention : Brice Teinturier, le directeur général d’IPSOS parle de « satisfaction molle », insistant sur la très faible part de personnes (5%) se déclarant très satisfaits. Contents donc, les Français mais prudents. En plus, ils considèrent à 45 % que ce service public à tendance à se détériorer ces dernières années (pour 39% qu’il reste au même niveau et 16 % qu’il s'améliore).

Les français d’accord avec l’AATF… ou l’inverse

 En gros, les sondés valident massivement les propositions phares de l’AATF : 92 % sont d’accord pour « renforcer le contrôle des politiques publiques par des audits citoyens », ils sont le même pourcentage à penser qu’il faut « organiser en France un dispositif de maintien des services publics en zone rurale » et 90 % à vouloir organiser, de manière obligatoire pour quelques années, l’installation des nouveaux médecins dans les zones à faible densité. Les fonctionnaires vont encore plus loin en validant les 3 options à respectivement 96,95 et 92 %.

Les fonctionnaires sont majoritairement d’accord avec le rétablissement du jour de carence.

Là en revanche, où les fonctionnaires et les Français ne pensent pas la même chose, c’est sur… les fonctionnaires. D’une manière générale, les français ont une bonne opinion (67%) des fonctionnaires territoriaux, moins de ceux de l’Etat (46%), jusque là tout va bien. Les Français sont d’accord (60 %) avec les fonctionnaires (58%) pour « conserver leur statut actuel en le faisant évoluer vers plus de souplesse (par exemple, en favorisant la mobilité et les mesures de reclassement ou en favorisant les passerelles entre le public et le privé) ». Mais sur les solutions d’évolutions, les choses sont plus nuancées. Première demande d’évolution des Français: le rétablissement du jour de carence. 85% sont d’accord avec cette mesure. Et finalement, même s’ils sont moins nombreux, les fonctionnaires (54%) sont aussi d’accord avec cette mesure. Une autre mesure emblématique : l’alignement de leur régime de retraites avec celui du privé recueille l’assentiment de 79 % des Français et 46 % (quand même) des fonctionnaires.

Mais ce qui est intéressant, c’est que les Français et fonctionnaires approuvent assez massivement d’autres mesures, a priori moins populaires (en tout cas moins avancé par ceux qui veulent s’entre prendre au statut), susceptible d’améliorer réellement le sort des fonctionnaires eux-mêmes, ou de la fonction publique d’une manière générale, ou apportant plus de souplesse dans la gestion du statut. Les fonctionnaires approuvent ainsi l’idée de favoriser la mobilité entre emploi public et emploi privé (76%), la nécessité d’ouvrir la haute fonction publique à des hommes et des femmes d’autres horizons (79%), la simplification de la procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle des fonctionnaires territoriaux (66 %).

Un coup de pied dans la fourmilière

Voilà pour le sondage. Les administrateurs territoriaux y ont trouvé de quoi valider les propositions qu’ils ont faites. Fruits d’une réflexion collective, ces propositions ont aussi pour vocation de donner un certain coup de pied dans la fourmilière. On y verra, certes, la volonté de l’association de soigner son image de marque. Mais elles ont le mérite de faire bouger les lignes. On signalera d’ailleurs que ces 10 propositions ont fait l’objet d’arbitrages drastiques par le conseil d’administration de l’AATF, qui a mis plusieurs heures à passer des 80 items initiaux qui lui étaient soumis aux 20 qui on été adoptés. Au total de ces 20 propositions, certaines représentent des petites (quoi que) révolutions, dont on verra bien si le pouvoir politique a la volonté ou le courage de les mettre en place : le droit opposable à la garde d’enfants, l’obligation d’installation des médecins dans les déserts médicaux… D’autres actions (ou inactions) représentent quand même des positions fortes, comme le maintien du statut ou la pause dans la décentralisation. D’autres enfin vont faire crier à l’intérieur de la fonction publique, comme le jour de carence ou l’unification des régimes de retraites. Mais on peut aussi y voir la volonté de managers locaux d’améliorer leur gestion. C’est peut-être ça finalement, préserver le statut, mais le faire évoluer.

LES PROPOSITIONS DE L’AATF

Voici une sélection des propositions les plus marquante de l’association des administrateurs territoriaux. Attention, certaines vont faire hurler.

Mesure 1
Une mobilisation nationale en faveur des territoires ruraux et périurbains sur le modèle de la politique de la ville et des programmes de renouvellement urbains.

Mesure 2
La création d’un service public de la petite enfance, avec la mise en œuvre effective d’un droit opposable à la garde de la petite enfance qui doit conduire à la création de 400 000 places d’accueil.

Mesure 3
L’installation obligatoire de médecins dans les déserts médicaux, seule solution, dit l’AATF, face à l’échec des « nombreux dispositifs incitatifs, pour l’essentiel financés par les collectivités locales ».

Mesure 4
Davantage de transparence et de participation citoyenne avec notamment, dans le cadre d’une obligation générale d’évaluation des politiques publiques, la création d’audits citoyens et un renforcement du rôle de l’observatoire de la gestion publique locale aboutissant à la création d’une inspection territoriale.

Mesure 7
La création de clouds publics régionaux, pour garantir à la fois la protection des données personnelles des citoyens et la souveraineté publique des données d’intérêt général.

Mesure 8
Une pause dans les réformes institutionnelles pour aller au bout des chantiers en cours et profiter de cette stabilisation du cadre institutionnel pour publier les nombreux décrets d’application manquants.

Mesure 9
La suppression de tous les doublons avec les services de l’Etat et transferts de tous les fonctionnaires des services concernés vers les collectivités locales.

Mesure 10
La création d’un droit d’expérimentation renforcé pour les collectivités locales.

Mesure 13
Plus d’autonomie pour une fiscalité locale plus juste. L’AATF propose une « révolution fiscale » faite de péréquation verticale et horizontale par niveau de collectivité, d’impôts de flux et de stock à parts égales, d’achèvement de l’actualisation des bases et remplacement des compensations par des impôts ».

Mesure 16
La réaffirmation du nécessaire maintien, mais aussi d’une modernisation du statut de la fonction publique, contrepartie des obligations de service public, mais surtout garant des droits des usagers.

Mesure 17
Un régime de retraite commun au public et au privé, afin que les principaux droits sociaux soient « les mêmes pour tous » et pour montrer que « les avantages ne sont pas que d’un côté ».

Mesure 18
Le rétablissement d’un dispositif de carence dans la fonction publique, assorti d’obligations de contrôle, prévention et prévoyance.

Hamon Approuve, Fillon pas

Les administrateurs avaient invité les représentants des candidats à la présidentielle pour qu’ils réagissent à leur proposition. François Goulard, président du conseil départemental du Morbihan, pour François Fillon, et Pierre Cohen, l’ancien maire de Toulouse, pour Benoit Hamon. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les propositions de l’AATF ont davantage plu à gauche qu’à droite.

François Goulard a peu goûté l’obligation d’installation des médecins dans les déserts médicaux (« l’obligation, ça ne marche pas »). Il n’a pas plus apprécié la volonté de l’AATF, qui ne figure pas textuellement dans les propositions, d’imposer à toutes les collectivités la parité hommes/femmes dans les équipes de direction. L’ancien ministre, ancien député et ancien maire s’est même emporté en expliquant que « les quotas, ça n’a jamais marché ! » On se demande comment il a fait, et fait encore aujourd’hui, pour ne pas avoir rencontré aux cours de ses nombreux mandats politiques, les femmes élues grâce à la parité (des quotas donc… quand même). Enfin, François Goulard a exprimé le souhait qu’on aille plus loin que le droit à l’expérimentation pour les collectivités en privilégiant une « liberté » de faire ce qu’elles avaient envie de faire.

Pierre Cohen, lui a été davantage « dans la ligne » voulue par l’AATF. Même s’il s’est soigneusement abstenu de réagir sur le jour de carence, l’affirmation du rôle du statut, l’ambition pour le service public, toutes ces orientations lui convenaient.

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