Les cadres du public venus du privé racontent leur expérience

Rémi Uzan

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Les cadres du public venus du privé racontent leur expérience

man with finger on lips asking for silence

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La Lettre du cadre a interrogé plusieurs cadres territoriaux qui ont auparavant fait leurs armes dans le privé. Ils portent un regard critique (mais positif) sur le monde local. Avec une grande liberté de ton. Lisez plutôt...

Article publié le 4 juin 2014

Et si, finalement, la principale valeur ajoutée des cadres venus du privé, c’était leur regard et leur parole plus libres ? Bridés par le sacro-saint devoir de réserve, trop souvent installés dans leurs processus, les agents territoriaux finissent par s’autocensurer. À travers plusieurs témoignages de cadres passés du public au privé, nous vous proposons de revisiter la notion de politique publique, le pouvoir, la relation à l’usager… Puristes s’abstenir !

 « Transposer des notions de marketing aux politiques publiques »

Après une formation en comptabilité et en école de commerce, Martine Coustillères, 53 ans, a exercé en PME aux postes de directrice administrative et financière et contrôleuse de gestion. Elle est aujourd’hui contrôleuse de gestion de la mairie de Colomiers (Haute-Garonne). « En marketing, dit-elle, la matrice BCG définit quatre familles de produits : 1- « La Vache à lait », leader sur un marché en faible croissance. 2- « La Star », leader sur un marché en forte croissance. 3- « Le Poids mort », qui occupe une faible part sur un marché en faible croissance. 4- « Le Dilemme », qui occupe une faible part sur un marché en forte croissance.

Si on transpose de manière un peu osée la matrice BCG au monde des collectivités locales, les politiques publiques étant des produits, le modèle marche assez bien.

Si on transpose de manière un peu osée au monde des collectivités locales, les politiques publiques étant des produits, le modèle marche assez bien.
Par exemple : « La Vache à lait » : c’est une action populaire mais coûteuse. Je pense à la politique sportive. « La Star » : le prêt à taux 0 qui ne coûte rien à la collectivité et qui est très apprécié des habitants.
« Le Poids mort », c’est une action « invisible » mais coûteuse. Un enjeu fort de la prospective est d’éviter de transformer des « Vaches à lait » en « Poids morts »… par exemple avec des délégations de service public mal maîtrisées, ou des investissements mal calibrés qui généreront trop de coûts fixes sur de longues périodes… « Le Dilemme », c’est une action « invisible » et qui coûte peu : c’est le lot de décisions anciennes, obsolètes, qui perdurent par habitude.

« Retrouver la relation-client »

Stéphane Callegaro, 43 ans, a passé 13 ans dans le milieu bancaire. Il est aujourd’hui directeur général d’Habitat Landes Océanes. « Je suis motivé par la notion de service rendu aux citoyens. Nous permettons à des familles de se loger ou de devenir propriétaires via l’accession sociale. Nous participons à la construction d’un parcours de vie. Cette relation au client-usager me passionne. Je l’avais progressivement perdue dans la banque. »

« Fort de café que le benchmarking n’ait pas cours dans le public »

Christian Le Denmat, 57 ans, a passé 25 ans dans le grand groupe de métallurgie qui est devenu Arcelor-Mittal. Il est aujourd’hui contrôleur de gestion à la ville de La Roche-sur-Yon (Vendée). « Dans le privé, un domaine concurrentiel, on va chercher ailleurs les bonnes idées via le benchmarking. C’est une richesse pour avancer. Aussi, j’ai trouvé fort de café que dans le public cela se fasse encore trop peu alors qu’il n’y a pas de concurrence. On commence à y arriver, à travers notamment les associations comme l’Association finances gestion évaluation des collectivités territoriales ou des réseaux tels que Cyberservices. Mais ce n’est pas encore un réflexe. »

« Avec plusieurs patrons, on marche parfois sur des œufs »

Philippe Chuche, 50 ans, a été formé en école de commerce, il a passé 20 ans en PME et filiales de grands groupes, dans des fonctions de direction financière. Il est aujourd’hui contrôleur de gestion, chef de projet à la ville de Bègles pour une opération de renouvellement urbain. « Je travaille avec le maire et cinq élus. C’est beaucoup plus difficile quand on a plusieurs patrons. Les objectifs des uns et des autres sont souvent difficiles à décrypter et à concilier, on marche parfois sur des œufs. »

J’ai défendu la nécessité d’élaborer un projet de service à 5 ans avec le personnel, ce qui a amené des changements dans les manières de travailler.

« Avoir une vision prospective »

Catherine*, 58 ans, est directrice en maison départementale des personnes handicapées depuis 2008. Diplômée en sciences de l’éducation et en comptabilité, elle a passé 15 ans dans le secteur des banques et des assurances. « J’ai surtout travaillé dans des organisations structurées par le mode projet, des plans d’actions et des objectifs négociés. Au conseil général, l’organisation est centrée sur une hiérarchie pyramidale, des processus routiniers, des actions centrées sur le quotidien, inscrites au budget annuel. J’essaie d’amener une vision plus prospective : je présente toujours des budgets glissants à 3 ans, j’ai également défendu la nécessité d’élaborer un projet de service à 5 ans avec le personnel, ce qui a amené des changements dans les manières de travailler. Cela a suscité parfois des tensions ou des incompréhensions avec le personnel et le conseil général. »

* Le prénom a été changé.

L’œil de l'expert
« Les collectivités vont redéfinir le périmètre de leurs activités »
Tony Lourenço a fondé "Territoires RH", un cabinet novateur dans les passerelles privé-public. La plupart de nos témoins en sont issus.
Il constate un fort taux de réussite de ces passerelles, qu’il attribue à une évolution progressive des organisations publiques : « Sous contrainte financière croissante, les collectivités vont devoir trouver de nouvelles marges de manœuvre. Notamment en se recentrant sur leur cœur de métier et en optimisant leur fonctionnement interne. C’est pourquoi elles sont ouvertes à de nouveaux profils, en particulier ceux provenant du privé, qui ont connu et géré depuis plus de 15 ans des contextes de fusion, mutualisation, externalisation. Ces professionnels ont développé une certaine agilité, intellectuelle et comportementale, nécessaire pour mener les changements de périmètres et mutualisations à venir. »

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