Les coronapistes en route (doucement) vers la pérennisation

Séverine Cattiaux
Les coronapistes en route (doucement) vers la pérennisation

PROSP_LCT543-dec-2020

Près d’un millier de kilomètres de coronapistes ont vu le jour pour répondre à la crise sanitaire. Six mois plus tard, la grande majorité existe toujours. Mais les obstacles à une inscription dans le temps de ces pistes sont là, notamment financiers. Reste donc à transformer l’essai.

Beaucoup de coronapistes devraient être pérennisées. À la mi-septembre, 79 % de collectivités envisagent d’aménager en dur au moins une partie de leurs pistes cyclables de transition, selon l’étude du Club des villes et territoires cyclables ((D’après l’étude intitulée « Suivi qualitatif de la dynamique des aménagements cyclables et piétons de transition en France » sortie en octobre 2020. Le Club des villes et territoires cyclables s’est basé sur l’exploitation des réponses de 105 collectivités mobilisées par les coronapistes.)). Au vu de l’engouement remporté ((D’après l’observatoire « Fréquentation vélo et déconfinement » de l’association Vélo & territoires, le niveau de fréquentation cyclable a progressé sur la période du 11 mai au 29 octobre 2020, de 30 % pour la période de post-confinement par rapport à la même période en 2019, de 34 % en milieu urbain, de 16 % en périurbain, et de 17 % en rural.)) par ces pistes, le contraire eut été surprenant. Cela dit, les décideurs ne veulent tout de même pas brûler les étapes.

Et se donnent le temps de concerter, d’échelonner les travaux et de trouver des ressources financières. Deux mois après l’annonce en septembre de la ministre de la Transition écologique, les 100 millions d’euros pour la pérennisation des coronapistes se font toujours attendre.

Les travaux légers pour commencer

La pérennisation ne va pas se faire en un claquement doigt.

À la mi-septembre, d’après l’enquête du Club des villes et territoires cyclables, 40 % des collectivités prévoient de transformer en aménagements durables « la totalité ou presque de leurs aménagements », 39 % évoquent d’y aller « au cas par cas » et 21 % « n’ont pas encore de visibilité » sur le futur de leurs aménagements de transition.

Dans la métropole grenobloise où « les tempo vélo » sont quasi toutes conservées, à l’exception de trois tronçons, la pérennisation s’effectuera en deux temps.

Les travaux plus lourds signe d’une « intégration beaucoup plus propre dans le paysage » arriveront plus tard

La première étape a démarré. Elle consiste à repeindre en blanc les marquages jaunes et fixer les balises dans le sol. « L’idée est d’envoyer un signal, de montrer qu’on n’est plus dans du chantier, ou de l’expérimentation » explique Sylvain Laval, vice-président en charge des infrastructures cyclables et des mobilités douces à la Métropole de Grenoble. En revanche, les travaux plus lourds, en vue d’une « intégration beaucoup plus propre dans le paysage » arriveront plus tard, dixit le vice-président. Quand ? Il est trop tôt pour le dire, car ils n’ont pas encore été programmés. « ça ne se fait pas en cinq minutes » lance l’élu.

Urbanisme tactique et saut qualitatif
L’urbanisme tactique a ouvert le champ des possibles. « On s’est permis de donner de la place aux cyclistes, les piétons ont gagné en qualité de vie, la vitesse des voitures a baissé » constate satisfait Emmanuel Colin de Verdière, président de l’Association pour le développement des transports en commun (ADTC) à Grenoble. Le succès des coronapistes doit aussi beaucoup aux 10 à 15 ans de planification issue de la réflexion des associations du vélo et des techniciens des collectivités. L’urgence a également poussé les acteurs à gagner en expertise et à s’inspirer des bonnes pratiques à l’étranger. Tous les spécialistes savent que les intersections sont des zones redoutables pour les cyclistes. Dans les agglomérations, quatre accidents mortels de cyclistes sur dix surviennent aux intersections, selon l’observatoire national interministériel de la sécurité routière. Au Havre a ainsi été aménagé le premier carrefour à feu « à la néerlandaise » favorisant la covisibilité des usagers. Porte de Saint-Cloud, des bandes cyclables sécurisées sont apparues dans les giratoires. Des îlots de protection ont été positionnés aux quatre coins d’un carrefour entre Bobigny et Noisy-le-Sec. Inversement, faute d’expertise, de moyens et de volonté aussi, les coronapistes ont été très peu aménagées dans les petites communes, où la hausse de la pratique du cycle a pourtant été constatée. La conséquence s’est traduite par une augmentation des accidents de cyclistes. « Il est temps d’aménager les pistes en milieu rural, martèle Olivier Schneider. Non le vélo n’est pas un enjeu urbain et de bobos !».

Comptage, concertation, arbitrages

Avant de graver les coronapistes dans le bitume, une majorité de collectivités prennent le temps d’évaluer les nouvelles pistes cyclables. Elles veulent « objectiver les débats » répondent les collectivités dans les questionnaires renvoyés au Club des villes cyclables. Elles sont nombreuses à consulter les citoyens, et ne se contentent pas de l’avis des associations d’usagers du vélo, ou des unions de quartier.

À Mulhouse par exemple, les élus ont lancé de juin à septembre, une concertation en ligne. Pour recueillir des avis d’usagers, des circuits vélo ont aussi été organisés sur les coronapistes lors d’une journée sans voiture, courant septembre.

La concertation sera approfondie avec les riverains sur certains secteurs.

« Aujourd’hui on n’a pas toutes les chaussées en capacité d’absorber une véritable piste cyclable »

Bilan pour l’heure : neuf sur douze kilomètres de pistes, mixant coronapistes et aménagements existants, vont être consolidés. Malgré ce chiffre honorable, le compte n’y est pas, pour Dominique Rosenfeld, de l’association pro-vélo CADre. « Certains tronçons de pistes vont encore rester sur les trottoirs ! » déplore-t-il notamment. Ce sont des compromis nécessaires pour le vivre ensemble, considère Claudine Boni Da Silva, adjointe aux mobilités à Mulhouse. « Il ne faut pas se voiler la face, aujourd’hui on n’a pas toutes les chaussées en capacité d’absorber une véritable piste cyclable » ajoute-t-elle.

Des leviers financiers en partie opérationnels

« La poursuite de la dynamique de mai 2020 va dépendre de la situation économique des collectivités » déclare gravement Olivier Schneider, président de Fédération française des usagers de la bicyclette. La situation des finances locales n’étant pas brillante, l’État est très attendu.

« Pour pérenniser ces aménagements, il faudrait au moins ces 100 millions d’euros supplémentaires annoncés par l’État » jauge Olivier Schneider. Autre inquiétude que soulèvent les collectivités : les modalités des appels à projets du Fonds mobilités actives sont « inadaptées » à la demande d’aide pour la pérennisation des coronapistes.

Le stationnement sécurisé des cycles est un enjeu majeur pour garder captifs les nouveaux usagers du vélo

Courant septembre, seulement 24 % des collectivités ont candidaté au dernier appel, clos fin octobre. La raison : l’État accorde une aide de 100 000 euros minimum, et ce, en contrepartie d’un engagement financier important des collectivités. Une bonne nouvelle tout de même, les décideurs peuvent se tourner dès à présent vers la « dotation de soutien à l’investissement local » (DSIL) renflouée dans le cadre du plan de relance. Les préfets de département distribuent les enveloppes jusqu’en décembre 2021. Contrairement aux appels à projet de l’État, ce coup de pouce ne nécessite ni cofinancement ni de montant minimal de travaux.

Des aides pour le stationnement et l’intermodalité

L’aménagement en dur des coronapistes n’est pas le seul défi qui attend les territoires. Le stationnement sécurisé des cycles est un enjeu majeur pour garder captifs les nouveaux usagers du vélo. « La possibilité d’embarquer son vélo dans les transports, à bord d’un train ou d’un TER, est aussi une attente forte » souligne Anne Isimat-Mirin, membre du collectif Vélo Ile-de-France.

Le message semble avoir été entendu. Pour faciliter l’intermodalité, les stationnements dans les gares, et encourager le « vélotaf » selon l’expression de Barbara Pompili, l’État débloque 100 millions d’euros en direction des régions.

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