Les faits, rien que les faits...

Philippe Laporte

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Les faits, rien que les faits...

prestidigitateur

© victor zastol

On peut faire dire ce qu’on veut à une information. Comme on préfère entendre ce qu’on sait déjà, il est facile de ne rien remettre en question. Et si nous changions d’attitude, même si c’est angoissant ?

À l’opposé d’un certain journalisme, prétendant ne rapporter que de purs faits, c’est-à-dire la réalité, se trouve un philosophe qui proclame : « il n’y pas de faits, il n’y a que des interprétations ». Sans parler des prestidigitateurs, qui ont un principe élémentaire, consistant à attirer l’attention sur un fait secondaire, pour distraire de la perception du fait principal. Sans parler de « l’effet Koulechov », qui permet de manipuler l’interprétation par l’ordre de montage d’images neutres...

La question est de construire une représentation de la société suffisamment cohérente ou séduisante pour qu’une majorité de citoyens s’y rallie.

Les fait triturés

Prenons quelques faits et voyons comment les ordonner, les extrapoler et les triturer.

• Il n’y a jamais eu aussi peu de meurtres en France (745 en 2013). Ce chiffre a été divisé par deux depuis 20 ans. C’est une nouveauté depuis que les statistiques criminelles existent. Ou nous n’avons jamais été dans une société aussi peu violente, ou l’amélioration du système médical permet de sauver davantage de victimes d’agressions.

La question est de construire une représentation de la société suffisamment cohérente ou séduisante pour qu’une majorité de citoyens s’y rallie.

• Il n’y a jamais eu autant de personnes en prison (78 500). Ce chiffre a été multiplié par deux depuis 1981. Ou nous n’avons jamais été dans une société aussi délinquante, ou les réponses pénales sont de plus en plus répressives en criminalisant une part grandissante de la population.

• Le taux de croissance de la production par habitant en Europe de l’Ouest, qui était de 4 % sur la période 1950-1970, est tombé à 2,3 % sur 1970-1990, puis à 1,5 % sur 1990-2012. Ou nous devons tout faire pour retrouver une croissance génératrice d’emplois, ou nous devons nous habituer durablement à des taux de croissance faibles et répartir le travail sur l’ensemble de la population active.

• Les Français travaillent plus que les Allemands (35,7 heures hebdomadaires, quand la Grèce est à plus de 40 et les Pays-Bas à moins de 32) et sont parmi les plus productifs au monde (79 000 euros par emploi). Ou le problème de la compétitivité est dans la qualité des emplois, le dumping fiscal et social, ou nous devons encore plus travailler, faire travailler davantage de personnes, réduire le salaire moyen et augmenter encore notre productivité.

• 250 000 immigrés arrivent en France chaque année (2012), ce qui est un des plus faibles chiffres de l’OCDE (600 000 en Allemagne, 450 000 au Royaume-Uni, 280 000 en Italie) par rapport à la population. Ou nous ne pouvons accueillir toute « la misère du monde » et nous devons renforcer les contrôles et les quotas pour assurer une bonne intégration, ou nous avons une politique raisonnable et mesurée, qui prend une juste part des migrations.

« À chacun sa vérité »

C’est « à chacun sa vérité », vérité qui se construit par une combinaison de faits, par leur mise en perspective et les rapports, plus ou moins honnêtes, que l’on peut faire entre les causes et les conséquences, sans parler des causalités circulaires et des prophéties auto-réalisatrices.

Les consommateurs de médias sont souvent déjà convaincus de ce qu’ils lisent ou entendent.

Cette prise de conscience nietzschéenne devrait conduire les commentateurs à davantage de modestie, à privilégier l’analyse objective plutôt que l’émotion, quand elle s’appuie sur des faits parcellaires et décontextualisés. Les consommateurs de médias sont souvent déjà convaincus de ce qu’ils lisent ou entendent. Ils ne cherchent dans l’information que des faits allant dans leur sens, pour être confortés dans leur vision du monde. En effet, remettre ses certitudes en question crée de l’angoisse, fait perdre sa tranquillité et sa bonne conscience.

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