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S’interroger sur la pénétration du vote frontiste dans les trois fonctions publiques, « c’est un questionnement typiquement journaliste », nous renvoie un de nos interlocuteurs. « Il existe environ 5 millions de fonctionnaires en France dont les votes relèvent de l’intimité des isoloirs. Et les fonctionnaires sont des citoyens comme les autres. Donc… », poursuit-il.
« L’implantation [du FN] au sein des trois fonctions publiques s’est confirmée de manière impressionnante lors du premier tour des élections régionales de 2015 ».
Au Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po.), le chercheur Luc Rouban suit de près l’évolution du vote FN chez les fonctionnaires. Dans une première note (décembre 2015), écrite dans la foulée des élections régionales, il assure : « L’implantation [du FN] au sein des trois fonctions publiques s’est confirmée de manière impressionnante lors du premier tour des élections régionales de 2015 ». Au-delà des chiffres, il note un « changement qualitatif » : le parti de Marine Le Pen conquiert « un univers socioprofessionnel qui lui était traditionnellement hostile et prend même racine au cœur du monde enseignant ». Une implantation qui épouse « les lignes d’une fracture sociale [séparant] les cadres des agents d’exécution ».
Si seuls les policiers et les gendarmes votaient…
L’élection de François Hollande à l’Élysée en 2012 avait amorcé ce mouvement. Trois ans plus tard, il s’est accéléré, du fait notamment d’une adhésion plus affirmée des catégories C. « La différence observable jusqu’ici entre les salariés du public [et du privé] s’estompe sérieusement, ce qui conduit à relativiser l’argument selon lequel le vote FN serait la marque politique des salariés précaires ou en danger de perdre leur emploi comme des personnes peu diplômées ».
En décembre 2015, le FN se situait à 27,3 % en moyenne nationale (source : Enquête électorale française du Cevipof) ; chez les salariés du privé, il réalisait 29 %, 24,6 % auprès des agents du public. C’est à l’Hospitalière que le discours du FN passe le mieux (26 %). Suivent la Territoriale (23,5 %) et l’État (22,7 %).
En trois ans, le mouvement s’est accéléré, du fait notamment d’une adhésion plus affirmée des catégories C.
En affinant les données, on s’aperçoit clairement que le FN fait un tabac dans les catégories C : 44,7 % pour l’Hospitalière, 39 % pour l’État et 28,8 % pour la Territoriale. De 2012 à 2015, certaines catégories se sont radicalisées : le vote FN a bondi de 16 à 22,7 % dans la fonction publique d’État, de 17 % à 23,5 % dans la Territoriale et de 19 % à 26 % dans l’Hospitalière. Avec des pics : si seuls les policiers et les gendarmes votaient en France, Marine Le Pen serait présidente de la République dès le premier tour ! (Avec 51,5 % de suffrages en 2015…).
Méthodologie de l'enquête Cevipof
Les résultats du Cevipof reposent sur des vagues. Vagues 1, 2, 3, 4 et 9 de l’Enquête électorale française, réalisées entre le 14 novembre et le 29 novembre 2015, le 22 janvier et le 2 février 2016, le 11 mars et le 20 mars 2016, le 13 mai et le 23 mai 2016 puis entre le 2 et le 8 décembre 2016 auprès de 23 061, 21 385, 21 326, 19 455 et 18 013 personnes interrogées selon la méthode des quotas.
Macron, Fillon et Hollande changent la donne
La dernière note du Cevipof (janvier 2017, note 28, vague 9) atténue quelque peu ce constat. En décembre 2016, les salariés du public voteraient pour un candidat de gauche entre 29 % et 39,5 % en fonction de l’offre de candidature, alors que les salariés du privé se situeraient entre 22 % et 30 %. Les candidats du centre (en y incluant Emmanuel Macron) et de la droite rallieraient entre 39 % et 49 % des suffrages du secteur public (entre 46 % et 54 % dans le secteur privé) alors que Marine Le Pen verrait sa position s’effriter entre 21 % et 22 % (entre 23 % et 24 % dans le privé). La victoire surprise de François Fillon aux primaires de la droite et du centre, le retrait de François Hollande et la montée en puissance d’Emmanuel Macron ont donc induit une droitisation et un recentrement du vote des fonctionnaires.