Les groupes de pairs au secours des agents

Rémi Uzan
Les groupes de pairs au secours des agents

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Alors que l’usure au travail devient une préoccupation grandissante dans la FPT, de nouveaux outils font leur apparition. L’atelier d’échange ou d’analyse des pratiques professionnelles et les groupes de co-développement donnent aux agents et aux cadres un espace de respiration et de co-construction pour mieux travailler. Ils allient aspects techniques et émotionnels. Les résultats sont bons, à condition de respecter quelques règles de base.

Article publié le 21/03/2016

Le cadre territorial est confronté à des multiples tensions dans son travail. Dans les cas extrêmes, elles peuvent mener à l’épuisement professionnel. Parmi les facteurs générateurs de tension : le décalage entre ce qu’il fait et ce qui lui est prescrit. Par exemple ce rapport d’analyse des offres qui traîne depuis trois semaines, et qui ne sera jamais prêt pour la commission d’appel d’offres. Ou encore, le décalage entre ce que le cadre souhaiterait ne pas faire. Mais qu’il doit faire. Ainsi ce rapport d’analyse des offres dont l’élu a déjà décidé quel candidat sortirait gagnant. Et il y a bien sûr toutes les interactions avec le personnel à qui on demande de faire plus avec moins.

Alors que faire ? Outre la sacro-sainte formation, émergent aujourd’hui de manière importante deux outils, selon Violeta Moskalu, formatrice au CNFPT. Ils ont en commun l’appel aux pairs pour trouver des solutions.

Autre point de convergence, ils s’intéressent à l’aspect technique (un peu) mais surtout émotionnel du travail. Il s’agit des ateliers d’analyse de pratiques professionnelles et des groupes de co-développement (voir encadré).

Les groupes de co-développement, mode d’emploi
Les groupes de co-développement (Co-Dev) sont, nés dans les années quatre-vingt au Canada. Ils ont été formalisés par deux chercheurs : Claude Champagne et Adrien Payette. Jean-Pierre Testa, qui anime de nombreux groupes de co-développement pour le groupe Cegos, nous présente la méthode :
« Chaque séance dure environ 2 h 30, une fois tous les mois ou 6 semaines.
Les 5 (au minimum) à 8 participants doivent donc prévoir d’être mobilisés une demi-journée. Après le choix de la problématique, Il y a sept phases :
• Exposé : on laisse un temps à une personne du groupe, désignée comme « le client », pour exposer sa problématique sans intervention des autres.
• La manchette (en référence à un journal) : on propose au « client » de synthétiser sa problématique. Quel titre lui donnerait-il ? On écrit la manchette au paperboard.
• Clarification : les autres participants posent des questions pour préciser le problème. L’animateur veille à ce qu’il n’y ait pas, à ce stade, l’énoncé d’un début de solution.
• Le contrat : qu’est-ce que le « client » attend de la part des autres participants, désignés comme « les consultants ». Des conseils, des retours d’expérience ? Le contrat est affiché sur le tableau papier par l’animateur.
• La consultation : le « client » donne la parole aux « consultants » sur leurs expériences, leurs conseils. Le « client » doit noter toutes les données énoncées par les « consultants ».
• Le plan d’actions : on va demander au « client » de relire l’ensemble des solutions, des options qu’il a notées et de choisir celles qu’il souhaite mettre en œuvre. Chaque « consultant » prend un temps pour dire ce qu’il retire pour lui-même de la séance.
• Le bilan : « client » et « consultants » restituent ce qu’ils retiennent de la séance.
Les problématiques sont comportementales, relationnelles ou émotionnelles, pas techniques. Pour le « client », le groupe de co-développement permet de prendre de la distance avec une problématique qui génère une charge émotionnelle forte. Il repart avec de nombreuses options de solutions.
Le prérequis, c’est que les gens se sentent suffisamment en confiance pour se livrer.

Lutte contre l’usure professionnelle

L’analyse des pratiques est née au cours des années quarante dans le milieu médical en Grande-Bretagne. Elle s’applique aujourd’hui aux professions où la relation est importante.
Candide Lopes, ergothérapeute, travaille dans le secteur médico-social. Depuis 16 ans, elle côtoie des personnes porteuses de handicaps. Les cas sont lourds : « personnes souffrant de cancer, de maladie dégénérative, en fin de vie, enfants polyhandicapés ». Les ateliers d’analyse de pratiques ont plusieurs vertus : « Prendre du recul sur les situations rencontrées, voir que mes collègues rencontrent les mêmes problématiques, éviter l’usure professionnelle. Il existe un espace où l’on peut parler. Quand on n’en a pas, on repart avec les valises pleines ». Son atelier a lieu tous les mois, sur une base volontaire et regroupe de huit à dix personnes. Il est animé par un psychologue : « les mieux à même d’analyser ce genre de situations ».

Respecter quelques règles simples
Les ateliers d’échange et d’analyse des pratiques professionnelles et les groupes de co-développement doivent obéir à quelques règles simples pour être efficaces.
À faire
• Proposer un cadre clair et structuré qui permette l’expression de chacun en toute sécurité.
• Proposer quelques règles simples : confidentialité, neutralité, bienveillance. En effet, souligne Candide Lopes : « on livre un peu de soi, de son ressenti, de son être ». D’où l’importance de la confiance.
• Faire animer les différents ateliers par une personne extérieure à l’institution.
• Évoquer les situations qui posent problème à l’agent d’un point de vue relationnel et émotionnel.
• Évoquer les pratiques professionnelles : ce qu’on fait et dont on ne parle pas ; ce que l’on souhaiterait faire et qu’on ne parvient pas à faire ; ce que l’on fait et qu’on ne veut pas faire ; ce qu’on fait sans avoir conscience qu’on le fait.
À éviter
• Mettre sur la table des problèmes institutionnels (du style : « De toute façon la direction ne nous écoute jamais… »), ou exclusivement techniques.
• Pratiquer une langue de bois qui reste à la surface des problèmes.
• Brider la parole des participants.

Apaiser les choses

Psychologue, c’est la profession de Cécile Colin qui intervient dans un centre d’action médico-sociale précoce (CAMSP).

Ces centres s’adressent aux enfants de 0 à 6 ans souffrant de troubles divers. Elle est participante à des ateliers d’échange de pratiques professionnelles de 1 h 30 qui ont lieu tous les mois.

« L’intervention d’une personne extérieure permet de prendre de la distance, d’entendre chez les collègues ce qui fait sens dans leur expérience. »

Cécile perçoit plusieurs intérêts à cet atelier de partage : « prendre le temps en équipe de se poser sur des situations cliniques difficiles, qui mobilisent chez nous des mouvements psychiques parfois compliqués. L’intervention dans ce cas d’une personne extérieure permet de prendre de la distance, d’entendre chez les collègues ce qui fait sens dans leur expérience et ce qui met à mal ».

L’entrée via le théâtre

Autre moyen de lancer les échanges, le jeu théâtral.

Hélène Deregnier, comédienne, anime des ateliers de partage des pratiques professionnelles pour le compte de la société Théâtre à la carte. Chaque séance débute par une saynète introductive.  « C’est la scène théâtrale qui déclenche des échanges sur les pratiques professionnelles ». Elle est ainsi intervenue pour un conseil départemental autour de la cohésion d’équipe.

H.Deregnier1  Hélène Deregnier, comédienne

CandideLopesCandide Lopes, ergothérapeute 

CecileColinCécile Colin, psychologue

testa  Jean-Pierre Testa, animateur de groupes de co-développement pour le groupe Cegos

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