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© zinkevych
Dans une collectivité territoriale, comme dans une entreprise ou une association, on ne travaille pas. On travaille toujours « avec ». La nature même du travail est « col-laboration », du latin cum-laborare, travailler-avec. Travailler dans une institution, c’est se trouver dans une situation d’interdépendance parce que son activité dépend de celle des autres et réciproquement.
Le travail est cependant une relation d’un type un peu particulier puisqu’il s’agit de collaborer avec des personnes que l’on n’a pas choisies, que l’on n’apprécie pas forcément et avec lesquelles on ne passerait pas forcément un week-end. C’est peut-être pour cette raison que de plus en plus de personnes décident de fuir l’institution et de tenter des formes plus autonomes et solitaires de travail malgré les risques qu’elles comportent.
La collaboration, nouvel enjeu managérial
Collaborer n’a rien de naturel, ce n’est pas le don inné. Cette forme de travail est même devenue la norme du travail assez récemment et parions que ce ne sera pas toujours le cas dans le futur. Les sciences des organisations ont donc dû imaginer des moyens de résoudre la difficulté au point de donner l’impression que la collaboration était naturelle, voire même désirée. Les organisations, les structures, les modes de gouvernance mais aussi toutes les règles et les procédures suggèrent, définissent, encadrent ou protègent ces relations.
Collaborer n’a rien de naturel, ce n’est pas le don inné.
Tous les salariés savent pourtant que ces relations ne vont pas de soi ; elles s’avèrent même difficiles et parfois néfastes ou douloureuses alors que leur qualité devient dans certaines activités un facteur de performance et de qualité du travail effectué. Les relations sont donc un enjeu managérial majeur, pour autant que l’on dépasse une approche trop romantique de la question.
Le « problème » des relations au travail
Le succès remporté par l’ouvrage de Bob Sutton ((Sutton, B. « Objectif Zéro sale-con ». Vuibert, 2010.)) traduit combien les relations peuvent être difficiles avec des managers toxiques. Mais chacun sait que la toxicité, non réservée à une position hiérarchique, est une caractéristique largement partagée. Au moins la figure du chef constitue-t-elle souvent un bouc émissaire pratique pour un mal-vivre au travail, mais quand les organisations s’aplatissent et deviennent plus informelles, c’est l’ensemble des relations qui deviennent problématiques.
Mais chacun sait que la toxicité, non réservée à une position hiérarchique, est une caractéristique largement partagée.
Les relations insatisfaisantes et douloureuses sont fréquemment une cause de perte de sommeil et les spécialistes des risques psychosociaux reconnaissent aujourd’hui qu’elles constituent un élément important de l’expérience vécue au travail, au-delà même des modalités de gestion, de la pression des objectifs ou de la seule action du management.
Souligner l’importance des relations ne va pas de soi à l’heure où la personne tient lieu de référence unique à nos conceptions anthropologiques. Développement personnel, primat du ressenti, liberté de choix sont autant de valeurs qui mettent la personne au centre en ne faisant des relations qu’une des modalités de l’expérience individuelle. Il faut dire pour les spécialistes du management que tout ce qui est personnel est plus facile à définir et mesurer que le collectif : c’est d’ailleurs la base du système d’informations de la gestion des ressources humaines.
Les organisations ont résolu le problème en figeant les relations dans des structures avec des règles pour en définir et encadrer le contenu, la portée et les modalités.
Les relations humaines sont toujours complexes et imprévisibles : depuis l’aube de l’humanité, la littérature continue sans cesse de l’illustrer. Elles ne devraient pas être plus aisées dans ce monde du travail où il faut produire avec ceux que l’on n’a pas choisis. Les organisations ont résolu le problème en figeant les relations dans des structures avec des règles pour en définir et encadrer le contenu, la portée et les modalités. La chaîne de production est l’emblème de cette maîtrise poussée à l’extrême et on en connaît les limites.
Le besoin de relations
Cependant la dimension relationnelle ne peut être occultée ou négligée pour au moins trois raisons pratiques, avant même de considérer des aspects anthropologiques plus fondamentaux..
Premièrement, la relation est un facteur de motivation. Besoins sociaux, souci d’affiliation, attente de reconnaissance des autres, la dimension relationnelle est un élément de motivation popularisé par l’Ecole des Relations humaines. Les théories actuelles de l’entreprise libérée remettent au goût du jour ces motivations éternelles en donnant une importance nouvelle aux équipes de travail de base où la qualité des relations permet de se libérer d’organisations contraignantes, de susciter les initiatives et de générer de la créativité.
Dans une structure transversale, c’est la capacité à développer des relations de travail efficaces qui produit l’efficacité.
Sur un plan plus opérationnel, les relations prennent aussi plus d’importance au fur et à mesure que les structures s’allègent (diminution des niveaux hiérarchiques) ou se complexifient. En effet moins de structure ou des structures plus complexes rendent, pour des raisons différentes, les relations encore plus nécessaires et déterminantes de la performance : dans une structure transversale, c’est la capacité à développer des relations de travail efficaces qui produit l’efficacité. Quand les positions hiérarchiques ne fournissent plus d’armure protectrice, les relations humaines sont au centre de l’expérience de travail.
Enfin, à l’heure où les institutions s’interrogent sur leur responsabilité sociale, on peut se demander si le contexte relationnel offert grâce au travail ne procède pas de cette responsabilité dans une société où les solitudes sont nombreuses et souvent douloureuses.
Les perspectives de la relation
La mise en valeur des relations requiert un autre point de vue anthropologique rompant avec l’individualisme ambiant ; la dimension relationnelle y devient essentielle pour la personne, avec un individu essentiellement relationnel plutôt qu’il ne décide et construit ses relations comme un petit ingénieur. Ce déplacement anthropologique est d’autant plus exigeant que, souvent, le développement des relations ne répond plus à aucun besoin déclaré. Quand la virtualité et le numérique caractérisent les modes de collaboration, cela peut devenir un enjeu managérial majeur pour les managers de forcer les relations, de les rendre obligatoires et de faire des contacts physiques une obligation.
Les travaux d’Adam Grant ((Grant, A. “Give and Take”. Viking, 2013.)) nous ouvrent à ce propos de nouvelles perspectives. Il distingue les takers (prédateurs) des givers (offreurs) ; les premiers cherchent dans les relations à utiliser les autres et le monde à leur profit alors que les offreurs sont dans l’ouverture, l’aide et la facilitation. Bien évidemment, les offreurs peuvent se faire avoir dans le jeu politique des organisations mais Grant observe aussi que des offreurs s’en sortent aussi souvent le mieux, en particulier ceux qui ne sont pas tournés vers les autres par souci de s’oublier eux-mêmes. Cette ouverture relationnelle n’est donc pas qu’une pratique gentillette et moralisatrice mais tout simplement un mode de comportement très concret où la collaboration, le « travail-avec » devient la nature même du travail dans des institutions sommées de la renforcer sans cesse.
CULTIVER SES RELATIONS AU TRAVAIL
A faire
- Susciter, voire même imposer des rencontres face à face, même quand elles ne sont ni apparemment nécessaires, ni désirées
- Dire « bonjour » en écoutant la réponse et en regardant la personne
- Ecouter quelqu’un jusqu’au bout
A éviter
- Se ruer sur son smartphone dès la pause
- Répondre trop rapidement à certains mails
- Rester en contact seulement avec ceux que l’on apprécie