Les territoires riches ne veulent plus des territoires pauvres

Les territoires riches ne veulent plus des territoires pauvres

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© dampoint

De nouvelles tensions entre nations et territoires s’affirment alors que s’étendent régionalismes et séparatismes. Il est temps de fonder sérieusement la coopération territoriale et la décentralisation. Dans son livre que nous avons lu pour vous*, Laurent Davezies s’inquiète des souhaits de sécession de divers territoires riches, Écosse, Catalogne, Flandre, Padanie, qui amènent à réviser les fondamentaux de ce qui fait la cohésion d’une nation.

Un modèle occidental de cohésion territoriale façonne depuis des décennies les réalités de la géographie économique par de puissants transferts socio-fiscaux. Ce modèle de « keynésianisme territorial », partout, s’érode. Et l’affirmation de l’objectif d’égalité territoriale perd en consistance. Pour Davezies ((Laurent Davezies est professeur au CNAM en économie et développement des territoires et expert indépendant.)), les inégalités territoriales ont d’ailleurs, en elles-mêmes, leur importance. Et en phase de développement, notamment, le déséquilibre s’impose.

La tentation de la sécession

Le grand sujet ne relève ni du bricolage idéologique, ni du mécano administratif. Les défis liés aux nouvelles fragmentations nationales procèdent de logiques qui dépassent les frontières. Diagnostic du docteur Davezies : les riches n’ont plus besoin de leurs pauvres. De grands territoires aisées voudraient devenir de petites nations plus isolées, divorçant d’autres territoires de leur pays. Dans un monde économique enraciné, fermé et immobile, de puissants correcteurs des inégalités entre territoires autorisaient la cohésion économique nationale.

Dans un monde fluide, ouvert et mobile, ces solidarités sont moins évidentes. Auparavant, la production automobile en région parisienne stimulait la production de pneus à Clermont. Il n’en va plus du tout de même, dans l’économie immatérielle, quand la première matière première est la matière grise. Les territoires riches, s’affranchissant des solidarités redistributives, peuvent ainsi souhaiter se séparer des plus défavorisés. Plus précisément, ce ne sont pas les grandes métropoles mondialisées (Paris, New York ou Tokyo), mais des métropoles de second rang, à affirmation identitaire plus marquée, qui envisagent la sécession.

Malaise dans la décentralisation

L’ambition davezienne est de trouver les fondements, la grammaire, d’un optimum d’organisation territoriale, à rebours des tendances contemporaines à l’émiettement. Notre auteur s’emploie à démonter les principes de la décentralisation, ou plutôt à en souligner, après relecture de classiques (Durkheim, Montesquieu, Musgrave, Perroux, Kuznets, Renan, Clisthène), l’indigence.

Le docteur Davezies ne prescrit pas, pour cette décentralisation orpheline de doctrine, de potion magique. Il invite à étudier plus sérieusement la redistribution interterritoriale en tant qu’assurance mutuelle et nationale de long terme. Davezies se fait alors plutôt cuistot, aspirant à ce que l’on trouve la bonne recette et les bons dosages des différentes fonctions des budgets publics (redistribution, stabilisation, prestation) aux bonnes échelles. Ceci afin de réduire (au sens culinaire) les tensions entre régions dans leur nation. Concrètement, une réforme territoriale ne doit dès lors pas se limiter à redécouper mais se destiner à relier.

Ce petit livre rouge-violet, à pages souvent surprenantes, rappelle essentiellement que le défaut de cohésion et de fondation mène à la désintégration. Un enjeu essentiel, dans un monde à 200 pays, 7 000 langues, 300 mouvements régionalistes, où à la lutte des classes se substitue la lutte des places et des taxes.

Extraits
« Hier, l’industrie automobile des Grands Lacs faisait travailler l’Amérique entière ; aujourd’hui, Hollywood fait travailler seulement Los Angeles. »
« Si le Nord-Pas-de-Calais ou le Michigan avaient pris leur indépendance après la guerre, il n’est pas sûr que la Bretagne ou l’Alabama seraient aujourd’hui aussi développés. »
« Ce n’est pas en découpant ou en coupant, mais au contraire en renforçant les liens, que l’on sortira par le haut des différentes crises des organisations territoriales. »

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