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© Frédérique Bertrand
L’image a circulé sur tous les réseaux, comme une attraction inattendue et la solution à un problème que bien des villes, à travers le monde, étaient en train de subir au moment même : l’accumulation de chaleur dans le bitume des routes. Pour faire baisser la température, la métropole américaine a choisi la technique du « cool pavement », ou « route fraîche » en français, qui permet aux voies de rester plus fraîches même en plein soleil, grâce à l’amélioration de la réflexivité de la chaussée.
Los Angeles est l’une des premières villes au monde à tester cette technique : composée de quatre millions d’habitants et d’un faible nombre de parcs, la cité des Anges a été construite autour de la voiture. Avec sa configuration actuelle, la température dépasse les 35 degrés six jours par an.
Selon Michael Boswell, professeur à la California Polytechnic State University, « d’ici 2050, on s’attend à 22 jours et d’ici 2100, à 54 jours. » Fortement engagé dans la lutte contre le changement climatique malgré le retrait des USA de l’accord de Paris sur le climat, le maire, Éric Garcetti, a donc opté pour cet enduit. Il permettrait, selon les tests réalisés devant la presse, d’obtenir une différence de température de 6 à 7 degrés au niveau du sol. Sur une surface noire, la température peut atteindre 43 °C par forte chaleur. Avec le revêtement, elle est de 36 °C. Mais quelle surface faut-il recouvrir pour que cette différence soit perceptible par les habitants, chez eux ? À cela, nous n’avons pas encore de réponse.
La recherche avance
Les recherches sur les méthodes susceptibles d’éviter ces îlots de chaleur se sont multipliées après l’épisode de canicule de 2003 qui a touché l’Europe. La vague de chaleur y avait provoqué la mort de 70 000 habitants, dont 20 000 en France, principalement dans les zones urbaines. Depuis, de nombreuses villes, comme Barcelone, à la pointe sur le sujet, se sont outillées pour étudier le phénomène et le combattre (voir encadré « pour aller plus loin »). La végétation est généralement la première arme utilisée : étoffer les parcs, prendre soin de l’existant, mais aussi planter des arbres et arbustes au sommet des immeubles. Mais cet agencement de végétation doit être soigneusement étudié : si l’implantation empêche la brise d’atteindre le sol, l’effet peut être inversé, et la chaleur et la pollution peuvent rester bloquées au sol.
Peut-on envisager « d’inonder » certaines zones en période de forte chaleur pour faire redescendre la température ?
Autre moyen rapide et relativement bon marché : utiliser la circulation de l’eau. Bassins, rigoles, fontaines, récupération des eaux pluviales, réserves artificielles opèrent un rôle de thermorégulation dans la ville. Mais l’utilisation de l’eau soulève d’autres questions et contraintes : comment l’utiliser sans la polluer ? Peut-on envisager « d’inonder » certaines zones en période de forte chaleur pour faire redescendre la température ? Et quel comportement adopter en période de sécheresse et de canicule ?
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Montréal : deux arrondissements en action
Pour réduire les problèmes d’îlots de chaleur, l’arrondissement Rosemont-Petite-Patrie a adapté son règlement d’urbanisme. Les dispositions favorisant la présence de végétaux sur l’espace tant public que privé ont été multipliées. Ensuite, le règlement n’autorise, comme revêtement des toits plats ou de faible pente, que des toits verts ou dont l’indice de réflectance solaire est élevé. L’arrondissement Saint-Laurent s’est quant à lui doté d’un règlement encadrant l’aménagement des espaces de stationnement. Il se décline en 10 points, comprenant la réduction du nombre de cases de stationnement et de leur largeur minimale, l’intégration d’espaces verts et l’utilisation de pavé alvéolé comme revêtement.
Le rôle de l’architecture
L’architecture joue également un rôle important dans l’éradication des îlots de chaleur : la forme des immeubles influe sur la circulation de l’air. Aux Émirats arabes unis notamment, certaines architectures sont privilégiées car elles capturent le vent au-dessus des toits et le poussent vers le bas, au niveau des passants.
Enfin bien sûr, l’encouragement aux modes de déplacement doux est l’un des points clés de toute ville qui souhaite se débarrasser de ces îlots de chaleur. Reste que, pour être efficaces, ces opérations doivent être de grande ampleur : même en atteignant 20 à 30 % de toits verts, « vous ne constaterez aucun effet au niveau de la rue » selon Saskia Buchholz, climatologue du German Meteorological Office. Dans la même ligne, Jean-Jacques Terrin, responsable scientifique du programme Popsu Europe (voir encadré), rappelle que « les constructions existantes à réhabiliter représentent 88 % des travaux à réaliser dans les villes, et que les 12 % de bâtiments neufs sont relativement peu significatifs » dans l’ensemble. Autrement dit, même si les règles appliquées pour les nouveaux bâtiments permettent de limiter le réchauffement, il faut prendre à bras-le-corps l’autre partie de l’iceberg, qui pose une série de contraintes et de problématiques autrement difficiles à régler.
C’est quoi un Îlot de chaleur ?
L’îlot de chaleur urbain désigne une zone dont la température de l’air ou de surface est plus élevée que dans les autres zones du même milieu urbain. Le phénomène physique est simple : en journée, le macadam et le béton emmagasinent la chaleur provenant du soleil et de la circulation. La nuit, elle est libérée. Mais quand la nuit n’est pas assez longue pour la dissiper intégralement, la journée suivante réchauffe davantage la zone touchée, augmentant sensiblement la température, jour après jour. La différence peut atteindre 10 °C avec une zone similaire.
Pour aller plus loin
Popsu, la plate-forme de réflexion urbaine
Lancée en 2009, la plate-forme d’observation des projets et stratégies urbaines (Popsu) est un espace d’échanges entre les acteurs des villes européennes et les milieux de la recherche urbaine en Europe. Il résulte de ces rencontres une série de documents disponibles en ligne, et dont l’un des thèmes est consacré aux îlots de chaleur urbains. Barcelone a notamment fait l’objet d’un séminaire en 2014, au cours duquel ont été présentées les initiatives mises en place par la municipalité. Outre un système d’évaluation et de projection élaboré, qui a permis de constater que la température au centre de la ville pouvait être supérieure de 4 à 5 °C par rapport à la périphérie, les solutions mises en place ont été exposées. Toitures froides, matériaux hautement réfléchissants avec peu de conductivité thermique, pavés froids, toitures vertes sont disséminés sur les zones stratégiques. Mais comme l’a soulevé, lors de ces rencontres, Jean-Jacques Terrin, responsable scientifique du programme Popsu Europe, la plupart des villes sont confrontées à la question de leur relation avec le patrimoine bâti : « comment on réduit les îlots de chaleur dans un tissu patrimonial qui n’est pas facile à modifier ? » Et outre la problématique des quartiers historiques, difficiles à modifier tout en en préservant l’âme, le chercheur souligne la nécessité de développer des outils d’évaluation : pour l’instant, ce sont surtout des outils de simulation qui ont vu le jour, mais il faut se donner les moyens de constater concrètement les avancées de ces nouvelles techniques destinées à atténuer la chaleur.
http://www.popsu.archi.fr/popsu-europe
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