Les vrais enjeux derrière la fin de l'ENA

Jean-Jacques Roux

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Les vrais enjeux derrière la fin de l'ENA

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L’ENA a été le symbole du mérite et de l’égalitarisme républicain. Elle est désormais celui d’une élite qui ne sait plus partager. Mais plutôt qu’à ce symbole, on devrait s’attaquer aux multiples plafonds de verre qui verrouillent notre société.

«Passer du Capitole à la Roche tarpéienne »… Jamais cet adage n’a eu autant de pertinence et d’acuité pour synthétiser la situation de l’ENA.

Hier symbole de l’excellence française, antichambre des grandes carrières parisiennes aussi bien dans les domaines économiques que dans ceux de la Haute administration et de la politique, l’ENA est aujourd’hui vouée aux gémonies, honnie en tant que symbole de la société fermée, aujourd’hui insupportable avec son cortège d’inégalités sociales, de l’entre-soi culturel, du parisianisme sectaire et des conflits d’intérêts pantouflards (un comble pour les gens qui n’ont jamais mis les pieds en Charente).

Lire aussi l'interview de Fabien Tastet

Des exigences devenues des impératifs

Pourquoi ce basculement ? Parce ce que, entre-temps, se sont amplifiées les sensibilités issues des exigences relatives à l’égalité des chances (la France méritocratique étant un des pays de l’OCDE corrigeant le moins les inégalités), additionnées à celles relatives à la « France périphérique » et enfin à toutes les fractures sociales françaises. Rappelons-nous : « Les Héritiers » de Bourdieu datent de 1964, « Paris et le désert français » date de 1947, la campagne de Jacques Chirac sur la lutte contre les fractures sociales date de 1995. Aucun de ces sujets n’a été manifestement traité en temps et heure. Conséquence : ces exigences ont donc fini par devenir des impératifs décisionnels.

Alors, pour ou contre la chute de la maison ENA ? Mais est-ce là le vrai sujet ? Il semble que non.

Lire aussi : La fonction publique dans l'œil des réformes

Les vraies questions

Ne devrait-on pas plutôt se centrer sur la révolution culturelle qu’attend toujours la France plutôt que s’acharner sur un établissement qui a bien des défauts à corriger mais qui n’est peut-être qu’un symbole d’un mal bien plus profond ? Le questionnement mérite d’être posé, d’autant plus si on le nourrit d’autres questions bien ordinaires, pour ne prendre que quelques exemples d’une liste non exhaustive qui illustre dans trop de quotidiens les multiples plafonds de verre culturels qui encombrent le monde de travail : est-il normal que la couleur de peau ait une influence sur la décision de recrutement ?

Est-il normal d’être gênant dans le monde professionnel à partir de 55 ans ?

Est-il normal de moins bien payer une femme salariée ?
Est-il normal qu’un candidat à un emploi soit mal vu s’il n’a pas un CV linéaire et ascendant depuis ses études ?
Est-il normal de n’être considéré dans le monde professionnel qu’à partir de 40 ans ?
Est-il normal d’être gênant dans le monde professionnel à partir de 55 ans ?
Est-il normal de si peu vouloir donner de responsabilités à des jeunes gens ou de leur demander d’être à la fois jeunes, diplômés et expérimentés ?
Est-il normal de juger définitivement un individu et ses capacités sur un diplôme présent ou absent ?

Arrêter cette folie

Ce qui vaut pour l’élite vaut pour le monde du travail dans son ensemble, public comme privé. N’est-ce pas là le vrai cœur du sujet ?

D’arrêter cette folie chez tous ces recruteurs encombrés pour ne pas dire viciés par un nombre impressionnant de préjugés, de courtes vues, de stéréotypes et de diktat de diplômes… Comme le dit très justement Jean-Michel Eymeri-Douzans dans « Le 1 » n° 247 : « La France est dirigée par une oligarchie. Mais toutes les sociétés le sont. La seule question qui vaille est de savoir si cette oligarchie est ouverte ou fermée ».

« La seule question qui vaille est de savoir si cette oligarchie est ouverte ou fermée »

L’enjeu est bien entendu de construire une élite ouverte sur la pluralité de la société (sociale, géographique, singularités,…), mais c’est un enjeu bien restreint si le reste ne suit pas.

Au vu du malaise sociétal, l’heure n’est même plus à l’ascenseur social, l’heure est désormais à l’aspirateur social.

Lire aussi : La Haute fonction publique doit être plus représentative de la société française

Lancer la conquête

La vraie mission historique et disruptive du président de la République est de favoriser et d’accompagner l’émergence d’un monde du travail « ouvert », ce qu’il n’a jamais été jusqu’à présent chez nous.

Il a fallu à la France un régicide pour lancer la conquête démocratique. Faudra-t-il un "ENAcide" pour lancer la conquête de la société ouverte ?

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