Logement social : quand Taïwan propose une répartition plus juste

Marjolaine Koch

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Logement social : quand Taïwan propose une répartition plus juste

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Depuis la Révolution des tournesols de 2014, Taïwan vit un renouveau politique. De nouvelles têtes au pouvoir, issues de mouvances démocratiques et progressistes, envisagent les politiques sociales sous un nouveau jour. En injectant, notamment, de la participation citoyenne mêlée aux nouvelles technologies.

Pour la première fois depuis des décennies, le nouveau maire de la capitale n’appartient à aucun des deux grands partis du paysage taïwanais. Ko Wen-Je, médecin élu grâce à son activisme sur les réseaux sociaux, a ravi Taïpei en s’appuyant sur une démarche participative. Normal, dès lors, qu’il envisage son action sous cet angle. L’une de ses premières actions a porté sur le logement, l’une des plus fortes problématiques du pays. La loi stipule que 10 % du parc de logements doivent être réservés à du logement social, destiné aux personnes n’ayant pas les moyens de payer un loyer. Ko Wen-Je a décidé de doubler ce plafond et d’inclure de nouveaux bénéficiaires.

Doubler les bénéficiaires

Son souhait : ajouter les personnes qui auraient les moyens de payer un loyer, mais dont la situation n’incite pas les propriétaires à les choisir. Une intention louable. Mais comment déterminer cette catégorie de personnes ? Sont visées, pêle-mêle, les personnes âgées, les aborigènes, les parents célibataires, les personnes handicapées physiques, les autistes… Pour que l’initiative réussisse, il fallait une sacrée dose de concertation pour déterminer le plus justement possible, et avec l’assentiment des personnes concernées, de la procédure à suivre. Doit-on considérer que, parmi ces catégories, certaines sont plus prioritaires que d’autres ? Comment les atteindre, les aider dans leurs démarches ?

Services sociaux, associations et agents publics sont sollicités par le biais d’un questionnaire en ligne simple et facile à mettre en place.

Pour entamer le projet, il faut d’abord trouver et informer les futurs bénéficiaires. Services sociaux, associations et agents publics sont sollicités par le biais d’un « Googleform », un questionnaire en ligne simple et facile à mettre en place. Ce questionnaire résume l’initiative, et permet en même temps de récolter les coordonnées des potentiels futurs bénéficiaires. Public a priori peu connecté, il fallait trouver un moyen de les atteindre rapidement.

Les futurs bénéficiaires d'aide au logement sont partie prenante

En parallèle, le directeur des affaires sociales de la ville se met en scène dans une vidéo Youtube très courte (deux minutes), pour expliquer le but de la démarche et les étapes du processus. Il achève sa présentation en s’engageant publiquement à respecter le protocole établi. Une équipe est rapidement constituée pour collecter tous les faits possibles. Une fois passés à la moulinette, les chiffres (typologie et démographie des bénéficiaires, prix du loyer et son évolution etc.) sont présentés sous forme d’infographies visuelles et efficaces. L’idée n’est pas de tirer des conclusions de ces travaux, mais plutôt de s’appuyer sur cette base de travail et de chiffres pour les étapes suivantes.

Le directeur des affaires sociales de la ville se met en scène dans une vidéo Youtube très courte pour expliquer le but et les étapes de la démarche.

C’est ensuite que les futurs bénéficiaires interviennent : des rencontres physiques sont organisées afin que chacun puisse partager son ressenti, trouver des valeurs communes et des principes communs. Certains témoignent des difficultés concrètes qu’ils ont rencontrées dans leur parcours pour se loger et, entre autres, des groupes de discussions se forment.

Troisième étape : organiser des discussions filmées par des caméras 360° pour suivre la réunion en ligne, de manière réaliste. Participent à ces rencontres les futurs bénéficiaires et des citoyens lambda, dits « grand public ». Ensemble, ils doivent partir des faits pour faire émerger des propositions concrètes. Chaque nouvelle réunion part des conclusions émises lors de la précédente pour que la progression soit visible. Ces moments ont été l’occasion, pour les futurs bénéficiaires, de déterminer concrètement le niveau de difficulté dans lequel ils se trouvent, en comparant leur situation à celle des autres. Ainsi, une mère aborigène qui venait plaider sa cause a pris conscience que la situation des autistes était bien plus critique que la sienne, au point de déclarer que ces personnes devraient être prioritaires sur elle. Après plusieurs déclarations du même type, le représentant de la communauté aborigène a finalement renoncé à être prioritaire dans cette démarche. Une initiative soutenue par la communauté, qui aurait été impensable sans ces tours de table.

De l’utilité du numérique
Pourquoi filmer et retransmettre en direct ces rencontres ? Outre la transparence du procédé, cette démarche permet également aux spécialistes techniques, qui ne font pas partie des intervenants autour de la table, de répondre instantanément à certaines questions, pour leur permettre d’aller plus loin et plus vite. Ils peuvent aussi rebondir immédiatement pour proposer des idées concrètes en fonction des témoignages ou problèmes soulevés durant le débat.

La liste de mes propositions

Pour parachever la démarche, les participants au projet remettent une liste de propositions au directeur des affaires sociales. Grâce à ce précieux outil de travail, précis et documenté, il peut entamer son action, non sans avoir listé les propositions en trois catégories.

Ce qu’il peut faire directement :
- ce qui ne dépend pas uniquement de lui mais qu’il s’engage à essayer de faire avec ses collègues ;
- ce qui est hors budget actuellement mais qu’il reconsidérera à chaque nouveau budget.

Dans ce projet, le décideur final aura été impliqué dès les prémisses. Cette démarche conjointe – primordial pour qu’elle soit menée en bonne intelligence et comprise de tous – a permis à la municipalité de répondre avec acuité aux besoins de la population. Et alors qu’il était rarissime jusque-là d’intégrer la population dans les projets qui, pourtant, la concernent au premier plan, cette méthode commence à devenir naturelle pour la nouvelle génération.

Audrey Tang, la hackeuse taïwanaise qui réinvente la démocratie
Depuis le 1er octobre, Audrey Tang a rejoint le gouvernement pour s’occuper des questions numériques. À 35 ans, cette programmeuse autodidacte a pour souci l’action politique. Son objectif : créer des outils pour changer le social. Celle qui se définit comme une « hackeuse civique » apprend la programmation à 8 ans, avec un livre, un crayon et du papier pour tout outil. Avec un père doctorant qui étudie les mouvements sociaux, elle s’intéresse également très tôt aux processus démocratiques. À 12 ans, elle découvre le World wide web et quitte l’école. À 15, elle monte sa première start-up, un moteur de recherche pour les textes en mandarin…

Très impliquée dans la communauté open source, où l’entraide est la règle, elle se demande déjà comment transférer ce genre de comportement dans la cité. À 17 ans, elle devient consultante, tend à développer des projets qui ont pour point commun l’autogestion, la confiance en l’intelligence collective et la collaboration. Des valeurs chevillées au corps, qui l’ont amenée, il y a trois ans, à annoncer sa retraite : elle ne créera plus de start-up à la chaîne. L’activisme politique sera son cheval de bataille.

En 2012, le gouvernement taïwanais met en ligne une vidéo pour expliquer une réforme économique complexe, où les citoyens sont présentés comme incapables de la comprendre. Insultée par cette vidéo, Audrey Tang rejoint un groupe de hackers pour libérer les données budgétaires du gouvernement et les mettre à disposition du public sur un site clair, lisible et joli. Pour numériser les données, il faut les réécrire dans des tableurs, mais qui accepterait d’y passer des jours, bénévolement ? Alors ils créent un jeu Facebook dans lequel les joueurs doivent recopier les chiffres d’une image le plus rapidement possible, avec une barre de progression. En fait de jeu, les participants sont en train de réunir une énorme masse de données, découpée en de toutes petites images à recopier (même système que les « captchas »). Le projet attire 9 000 personnes en 24 heures. Grâce à ce jeu, tous les grands ministères taïwanais disposent d’une version plus lisible de leurs données : l’Éducation, le Travail, la Santé… Ce projet, intitulé «. g0v » (au lieu du .gov officiel), est en passe d’être intégré par le gouvernement. En 2014, le mouvement des Tournesols, qui fait descendre les gens dans la rue, provoque un électrochoc : désormais, les citoyens attendent d’être intégrés dans un processus démocratique délibératif. Le nouveau gouvernement qu’a rejoint Audrey Tang, mené par un Premier ministre qui était auparavant ingénieur, marque l’émergence d’une nouvelle génération politique.

Lire aussi : Réussir la démocratie numérique

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