Logements : faut-il bétonner à tout prix ?

Patrick Martin-Genier
Logements : faut-il bétonner à tout prix ?

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© Karl-Heinz Strüdel

Le manque de logements, notamment sociaux, en France est une évidence. La question se pose aujourd’hui aux décideurs publics locaux, dont les maires et présidents des intercommunalités, de savoir comment répondre à une telle exigence, tout en évitant de dégrader la qualité de vie dans les agglomérations en termes de développement durable. Des tensions pourraient naître dans les exécutifs locaux.
Forts du constat de telles carences en matière de logements sociaux, le gouvernement et le Parlement ont tenté, depuis une quinzaine d’années, de donner aux pouvoirs publics les moyens d’accroître le chantier des logements, en particulier les logements sociaux.La loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain de décembre 2000 visait déjà à développer le logement social en France, en obligeant les communes de plus de 3 500 habitants (1 500 en Ile-de-France) à disposer d’un taux minimum de 20 % de logements sociaux. Cette loi, qui avait suscité sa part d’opposition, fut bien sûr appliquée, mais avec une certaine réticence de communes qui ne désiraient pas, pour des raisons politiques, accueillir de tels logements, encourant ainsi des sanctions financières. De fait, beaucoup de communes choisissaient de payer l’amende plutôt que de construire des logements sociaux.

Une méfiance vis-à-vis des élus locaux

La Loi Alur ((Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové.)), dite « loi Duflot », qui ne comprend pas moins de 177 articles, est venue renforcer le dispositif. L’amende augmente et pourra atteindre 10 % du budget total de la commune.
Le dispositif de la loi Alur se fonde sur un principe de méfiance vis-à-vis des maires, sauf dans les communes déjà bien fournies en logements sociaux.
On peut dire que le dispositif qu’il instaure se fonde sur un principe de méfiance vis-à-vis des maires qui, par expérience, sauf dans les communes déjà bien fournies en logements sociaux, ont affiché leurs réticences à développer encore plus l’offre de logements dans leurs communes.

Les acteurs et leur rôle : - la loi Alur renforce les pouvoirs des présidents des intercommunalités ; - les principales concernées sont les EPCI à fiscalité propre et les métropoles ; la première étant la métropole de Lyon, qui verra le jour le 1er janvier 2015 ; - en cas de carence des présidents dans l’exercice de leur mission, le préfet pourra exercer un pouvoir de substitution, consacrant ainsi un recul dans le principe de libre administration des collectivités territoriales ; - en cas de non-respect des obligations relatives aux quotas de logements sociaux, une procédure de constat de carence est engagée à l’initiative du préfet. L’exercice du droit de préemption lui est transféré lorsque l’aliénation porte sur un terrain, bâti ou non bâti, affecté au logement ; - la loi Alur étend cette compétence à l’aliénation de tous les droits et biens énumérés aux 1° à 3° du L.213-1 du Code de l’urbanisme.

La densification de l’espace

Beaucoup d’outils puissants vont ainsi permettre aux exécutifs de décider de programmes ambitieux, afin de lancer les chantiers de construction de logements. Ainsi, les schémas de cohérence territoriaux (Scot) deviennent des documents intégrateurs de l’ensemble des schémas et normes locales. Ils s’imposent aux autres normes d’urbanisme.L’objectif politique est clairement de densifier l’espace géographique. Toutefois, il existe aujourd’hui un risque non négligeable qu’un tel objectif, non contrôlé, aboutisse dans les années qui viennent à une extension des zones urbaines dans des domaines jusque-là soit ignorés, soit protégés, justifiant mitage ou grignotage des espaces préservés.
Des parcs entiers pourraient être sacrifiés sur l’autel de la densification urbanistique, quitte à changer les PLU.
Les premiers espaces concernés seront bien sûr les espaces verts disponibles dans les agglomérations. Il est ainsi très probable que des parcs entiers puissent être sacrifiés sur l’autel de la densification urbanistique, quitte à changer les plans locaux d’urbanisme qui, de fait et par la loi, deviennent intercommunaux. On peut penser à des parcs de loisirs qui seraient rognés, à des parcs entourant certains bâtiments tels que les hôpitaux qui disposent de grands espaces pour les malades (par exemple le projet de construction de logements HLM dans le parc de l’hôpital Sainte-Périne à Paris qui, après avoir été abandonné suite à la levée de boucliers des habitants et des protecteurs de la nature, serait de nouveau à l’étude). On peut penser aussi aux espaces forestiers encore préservés, tels que les coulées vertes dans les villes, qui pourraient être amputées d’une partie de leur surface pour y construire des logements.Enfin, les terres agricoles encore protégées pourraient aussi être sacrifiées à cette fin, notamment dans certaines parties du territoire promises à la réalisation de grands projets (comme le stade des Lumières de l’OL dans l’est-Lyonnais). Seraient également concernées les parties ouest des agglomérations, qui sont souvent les plus privilégiées en termes de catégories socioprofessionnelles et, il faut le dire, les plus agréables à vivre : elles devront contribuer d’autant plus à l’effort de construction de logements que les espaces verts y sont les plus nombreux. Enfin, l’espace littoral pourrait avoir à souffrir encore plus du mitage qui le ronge depuis plusieurs années, malgré la résistance d’espaces encore dédiés à l’agriculture.

Seuil de densification

Or, ce qui est en jeu est ni plus ni moins que l’équilibre socio-économique et écologique des villes. N’est-il pas temps de lancer un cri d’alarme ? Les villes n’ont-elles pas aujourd’hui un seuil au-delà duquel une densification à marche forcée risquerait de les défigurer et d’y réduire considérablement la qualité de la vie ? N’existe-il pas d’autres pistes possibles que d’imposer du haut une politique, qui provoquera certainement des tensions politiques dans les municipalités, au moment où l’exigence de développement durable devient une préoccupation majeure de nos concitoyens ?

Des incitations et des incertitudes Tout projet d’aménagement et de développement durable devra comporter une étude de la consommation d’espace. L’État devrait proposer de céder gratuitement ou à prix très réduit un certain nombre de ses propriétés inutilisées, afin de les transformer en logements sociaux. Entre 900 et 1 000 sites auraient déjà été identifiés, représentant plus de 2000 hectares. Les calculs réalisés permettent d’estimer que ces terrains devraient permettre de réaliser plus de 110 000 logements. Toutefois, face à la montée en puissance des métropoles et la diminution conséquente des pouvoirs des maires qui s’ensuivront, il n’est pas certain que les contraintes écologiques seront bien prises en compte. Pourquoi ne pas consacrer une partie des terrains de l’État à la réalisation d’espaces verts qui, souvent, manquent cruellement en centre-ville ? Quid des communes qui ne possèdent pas de réserves foncières suffisantes ?

Enfin, une ville ne se construit plus sans une participation de ses habitants. La France est ainsi largement en retard par rapport à ses voisins européens s’agissant de la démocratie participative. En d’autres termes, on ne construira pas la ville contre la volonté de ses habitants. La densification se heurtera bien sûr à la volonté d’éviter un surbétonnage des villes, qui irait à l’encontre de l’objectif de développement durable.

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