Logements sociaux : les communes carencées sont-elles excusables ?

Stéphane Menu

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Logements sociaux : les communes carencées sont-elles excusables ?

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© Hellen Sergeyeva

Certains maires excipent de leur bonne foi : le mur de la loi SRU est infranchissable à leurs yeux. Et l’objectif des 25 % à atteindre à l’horizon 2025 les effraie. Doit-on leur prêter une oreille attentive ? Leurs excuses s’appuient-elles sur des fondements compréhensibles ? Pas vraiment…

C’est l’ancien député-maire UMP de Versailles, Étienne Pinte, qui le répète en boucle : construire du logement social relève de la seule volonté politique !

Christophe Robert, délégué général de la fondation Abbé Pierre, est idéalement placé pour étalonner ce volontarisme : « Je siège à la commission nationale SRU. Dans cette instance, nous analysons les dossiers des maires qui n’avancent pas dans la bonne direction. Nous voulons savoir s’ils ont réellement tout mis en œuvre pour dépasser les contraintes foncières dont ils parlent. Exemple éclairant : si un maire nous assure qu’une zone inondable l’empêche de construire du logement social et que la production dans le parc privé est élevée, cela indique clairement qu’il a fait un choix idéologique. Son argumentaire n’est donc pas recevable ».

Et de préciser : « Cette loi SRU est tout de même bien foutue (lire encadré), elle est plus incitative que coercitive. Prenons un exemple un peu caricatural : une commune devra payer 150 euros d’amende par logement social manquant ; au final, la somme pourra être importante ; admettons que ce soit 3 millions. Si le maire s’est engagé à construire un programme de logements sociaux dont le montant est identique, il n’aura pas à payer l’amende ! Il y a donc très peu de communes qui paient de façon injustifiée ».

Un maire qui assure qu’une zone inondable l’empêche de construire du logement social alors que la production dans le parc privé est élevée, fait clairement un choix idéologique.

Dans son dernier rapport d’activité (année 2014), la fondation a établi que 1 141 communes étaient soumises à l’obligation de construire du logement social, 605 d’entre elles étaient « mises à l’amende », 189 étaient des communes carencées, à savoir des communes où l’absence de logement social est telle que le préfet a les moyens de se substituer au maire pour « imposer » leur construction.

Toujours en 2014, ces amendes ont permis de collecter 51 millions d’euros, qui ont alimenté le Fonds d’aménagement urbain (FAU), dont l’objet est de financer du logement social. « Je dis que la loi SRU fonctionne bien. Or, la situation du mal-logement perdure. Ce qui signifie que le parc privé n’est pas suffisamment sollicité pour sortir de la crise », poursuit Christophe Robert.

François Molard, directeur du Foncier et de l’Habitat à Grenoble Alpes Métropole : « Aucune excuse »
« La seule excuse valable que l’on pourrait accepter de la part d’un maire serait de nature financière. Mais il dispose de nombreux outils pour atténuer cette contrainte : le droit de préemption, les emplacements réservés pour le logement social, les secteurs de mixité sociale, le PLU, les expropriations, le montage de programme à partir de baux emphytéotiques, etc. Il est vrai que le logement social peut coûter cher aux communes qui ont pris du retard, c’est un fait établi. L’objectif de 25 % n’est pas inatteignable, il relève tout bonnement de la volonté politique ».

« La gestion du foncier est un peu folle »

Jean Montagnac, maire LR de Carry-le-Rouet (13), n’est franchement pas du même avis que le délégué général de la Fondation Abbé Pierre. Carry-le-Rouet est un village carencé. Très carencé, même : « Nous sommes à 0,75 % de logements sociaux au regard de la loi SRU », assure Jean Montagnac. Résultat : « 388 000 euros d’amende en 2015. Nous allons perdre aussi 50 000 à 60 000 euros du fait de la péréquation financière entre villes riches et pauvres. Et les dotations de l’État baissent aussi. Mon budget d’investissement n’est que d’1,4 million d’euros. Je vais mettre en veilleuse certains projets », poursuit-il, amer.

Lire aussi : Vers une obligation de logement social... plus vraiment obligatoire

Le maire ne digère pas d’être pointé du doigt : « Je veux construire du logement social. Sur le territoire, cinquante et une familles vivent dans des bungalows, dans un camping, elles attendent, mais je ne peux pas ». Les empêchements sont législatifs (loi Littoral, Natura 2000), la commune ne dispose d’aucun patrimoine foncier et le rachat de terrains se chiffrerait à des millions d’euros. « Nous disposons de 46 logements sociaux. Dix à douze logements sociaux sont prévus. Je dois en construire, au regard de la loi, 780 ! »

La gestion du foncier est folle. On nous demande tout, de construire du parc social, d’accueillir de nouvelles entreprises tout en veillant aux zones naturelles, aux inondations, aux incendies.

La singularité de la commune repose sur le fait que deux propriétaires privés se partagent l’essentiel des biens. Et quand l’un d’entre eux consent à céder 5 hectares pour un projet de création de 41 logements sociaux, ce projet est retoqué au tribunal administratif à la suite d’un recours pour défaut d’information au public. Face à cette situation ubuesque, Jean Montagnac a écrit à Manuel Valls pour l’inviter à « prendre conscience de la réalité d’une commune carencée. Bien sûr, je n’ai pas reçu de réponse ».

Même son de cloche du côté d’Hervé Stassinos, maire LR du Pradet (Var) : « Nous sommes à 9 % de logements sociaux et, clairement, je ne vois pas comment nous arriverons à 25 % en 2025. Je l’ai dit au préfet, la gestion du foncier est aujourd’hui un peu folle. On nous demande tout, de construire du parc social, d’accueillir de nouvelles entreprises tout en veillant aux zones naturelles, aux inondations, aux incendies. Tout se croise et se contredit ».

Les effets positifs de la loi SRU
La loi SRU (du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains) et son fameux article 55 imposant 20 % de logements sociaux dans les communes de plus de 3 500 habitants (1 500 en Ile-de-France) ont-ils atteint l’objectif de créer plus de logements sociaux et d’en rééquilibrer l’offre territoriale ?
Oui, semble indiquer une étude sur Les dynamiques locales dans le logement social de 1999 à 2011 : l’effet de la loi SRU. du Commissariat général du développement durable (CGDD). Sur un plan purement quantitatif, l’impact de la loi SRU peut sembler timide : en 1999, la France comptait sur son territoire 4,1 millions de logements sociaux ; on en dénombrait 4,4 millions en 2011, soit une progression de 7,5 %.
À y regarder de plus près, le CGDD identifie le « rôle essentiel » de la loi SRU au cours des années 2000, expliquant à elle seule entre 2000 et 2008 « près de la moitié des évolutions observées dans les communes, en ciblant notamment celles qui sont le moins dotées en logements sociaux ».
L’étude pointe cependant d’importants déséquilibres dans la répartition géographique des logements sociaux. L’ouest de la France en est richement doté. Les agglomérations parisienne, lyonnaise, marseillaise et lilloise présentent également un maillage dense. Un contexte très à l’opposé de ce qui se passe dans les zones rurales du Centre, du Sud-Ouest et de l’Est.
C’est dans ces régions que la loi SRU s’est révélée sous son effet à la fois positif et négatif, regroupant « la quasi-totalité des communes qui ont développé leur offre sociale locative au sein de leur parc résidentiel entre 1999 et 2011, mais également des communes où l’importance du parc social a significativement décru sur la période ».
Le CGDD remet d’ailleurs au centre du jeu le rôle central de la volonté politique dans la mise en œuvre d’un plan de rattrapage des déficits en habitat social. L’efficacité du levier « article 55 de la loi SRU » saute aux yeux : de 1999 à 2011, le nombre de logements sociaux a progressé de 12,7 % dans les communes concernées par le seuil des 20 %, contre 6 % pour celles qui ne le sont pas et 9 % dans celles concernées mais appliquant la loi en faisant des efforts significatifs en matière d’habitat social. La vraie réussite de l’article 55 se vérifie dans les communes les plus en retard en termes d’offre sociale locative. Illustration : dans les communes disposant au départ de 5 à 10 % de logements sociaux, la hausse sur la période donnée est de 17,5 % contre 7,9 % dans les communes non concernées.

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